Par Iddir Ahmed Zaïd(*) Après avoir payé un lourd tribut durant la décennie noire, l'intelligence est malmenée aujourd'hui et réduite aux marges de la société au lieu d'être distinguée et intégrée comme variable dynamique essentielle dans la stratégie de développement du pays au motif déjà de son coût pour le Trésor public. Souvent, on ignore que le peu de valeur ajoutée qui subsiste encore chez nous est le fruit de cette intelligence négligée réduite partout à un vulgaire résidu d'incompétence, ce capital humain dont on se plaît à évoquer la disqualification. Bref, on se nourrit et s'abreuve au quotidien de déclarations d'incompétence et de nihilisme. On traque l'éclosion et l'expression de l'intelligence constructive qui, bien qu'elle soit le ferment essentiel et le ciment de la cohésion sociétale, est confinée tristement dans les méandres de la marginalité. D'ailleurs, elle est mesurée par sa masse quantitative, les effectifs notamment, et non par sa qualité, sa réussite absolue et sa résilience devant l'échec. Ainsi, avec cette démarche corrosive à ancrage historique profond consacrant la primauté de la médiocrité, des sciences infuse et occulte et des apparats, sur le savoir stricto sensu et l'intelligence, et l'emprise de la culture de la dévalorisation de l'être scientifique dans toute sa quintessence, souvent par le fait de détenteurs délurés d'une compétence douteuse, on a glissé notoirement en trois décennies de ce que l'on a convenu d'appeler de nos jours le vivre-ensemble – le nôtre bien sûr et non celui importé de chez ceux qui découvrent que l'on peut vivre ensemble –, du respect d'autrui, à la culture de la haine de tout ce qui est en nous, de tout ce qui est à nous et fait chez nous. La haine d'autrui et de soi s'est installée dans les espaces public, privé et même éducationnel et familial, générant conflit sur conflit. Il n'y a que l'étranger, l'homme, le pays et l'objet, qui a estime chez ceux qui portent la bure de la sainteté et de la compétence pour proclamer l'incompétence généralisée et penser détenir le must de l'excellence empruntée aux autres au mépris de nos valeurs sociétales et nos capacités plus puissantes pourtant. On va traiter les personnes dévouées, réellement compétentes qui travaillent et cultivent l'intérêt général de «pauvres types». Dès lors, s'est cristallisé dans le corps social un processus gravissime en la dévalorisation, la dénaturation et la disqualification de notre intellect et capital humain pour lesquels l'Etat a investi des milliards de dollars et qui profite à l'étranger. Alors, c'est à s'interroger sur qui a mis au placard des milliers d'ingénieurs et cadres à l'apogée de la courbe de leurs capacités contributives. Qui a lancé leur mise à la retraite et incité au débat polémique sur la suppression de la retraite anticipée pour engendrer des centaines de milliers de départs à la retraite ? Ce n'est point les salaires mirobolants et attractifs des compagnies étrangères comme il est suggéré. C'est plutôt le système de la culture de la rumeur, la marginalisation et le peu de cas fait d'eux et de leurs compétences intrinsèques. C'est le fait qu'ils ne soient pas considérés et traités à leur juste valeur, à la mesure de leur savoir-faire et leur intelligence. Et l'on crie à l'indisponibilité et à la rareté de ressources humaines et d'encadrement compétent. Pour réaliser la gravité de la situation délétère dans laquelle se débat l'intelligence malmenée, il suffit de se référer au dernier concours de recrutement du secteur de l'éducation nationale : près de 750 000 candidats pour moins de 9 000 postes, soit un ratio de près de 1 : 83 que l'on semble apprécier comme une performance dans le secteur. Cet exemple peut être étendu à tous les secteurs de la vie publique. En fait, c'est un indicateur qui fait peur, parce qu'il exprime un taux de chômage déguisé affectant une forte population d'universitaires et qui montre surtout les limites et l'indigence des politiques de l'emploi et économique du pays. Et l'on continue à spéculer sur le déficit de compétence et le recours aux compétences et savoir-faire étrangers «pour ne pas s'isoler du reste du monde». Apparemment, il vaut mieux s'isoler des siens que des étrangers pour des raisons d'incompétence et de compétence respectivement. On feint d'oublier que la compétence s'acquiert aussi. Comme on apprend l'habitude de vivre avant celle d'acquérir de penser, on apprend d'abord, on s'exerce pour être ensuite compétent. On ne naît pas compétent, on le devient, et puis, barba non facit philosophum, la barbe ne fait pas le philosophe. Ce n'est pas parce qu'on évoque souvent l'incompétence des autres, qu'on est soi-même le Compétent et l'Excellent. Souvent, sa propre compétence on la tient de la canne ou du sceptre de la légitimité qu'on s'arroge par le pouvoir qu'on détient et exerce par tout moyen pour durer au poste, dont celui de verser les autres dans le champ de l'incompétence. Comme conséquence du phénomène de déboutement de la compétence locale, après le transfert de technologie, les usines clés en main, les contrats-bateaux, les mises à niveau récurrentes des entreprises, les audits et autres actes saugrenus payés à coups de milliards, on en vient aux lois. Des bureaux d'études et cabinets de conseil étrangers sont maintenant sollicités pour élaborer nos propres lois. On a connu une telle expérience en la loi relative au Schéma national de l'aménagement du territoire dans les années 2 000 confiée à un bureau d'études d'un pays de la rive nord de la Méditerranée qui n'a fait que calquer les grandes lignes d'une approche mise à l'œuvre dans ce pays quelques décennies auparavant. Dans les formes, c'était une belle loi qui consigne le rêve absolu des équilibres essentiels et l'harmonie du développement de notre territoire dans toute sa diversité. On se souvient de cette rencontre organisée dans un complexe touristique où étaient conviées des centaines de personnes pour débattre de l'avant-projet. Mais que nous a-t-elle apporté en mesurables tangibles du bien-être sociétal et du développement stricto sensu ? Difficile d'y répondre ! Dès lors, on se sent crispé et on ne peut qu'être dubitatif sur cette initiative. Se faire élaborer une loi sur les hydrocarbures par des étrangers, c'est déjà une forme d'atteinte à la souveraineté de l'Etat souvent évoquée, un écart à la ligne rouge brandie à tout moment, et une offre de bienvenue au risque d'ouvrir une brèche au processus de l'asymétrie d'information et de compétence dans les relations futures avec les partenaires étrangers dans le domaine. Rien n'est épargné par l'onde des contrats avec l'étranger, au point où apparemment on ne sait plus cuisiner des pommes de terre et des carottes dans les cantines de la société la plus pourvue et la plus pourvoyeuse en rente du pays ! Art culinaire quand tu nous tiens. Là encore, nous sommes agrégés au syndrome de l'incompétence, nous dont les ancêtres ont inventé et diffusé le plat le plus prestigieux, le plus économique et le plus complet au monde, le couscous, et cette galette au levain que les Péruviens appellent le pain berbère. Il faut s'en rendre aux contrats avec les compétents de ce monde pendant que les compétents d'ici n'émargent pas aux plats cuisinés par des incompétents. Bien sûr, c'est du business. De l'utopie socialo-arabo-islamiste, les enthousiasmes ont cédé la place à l'engourdissement et aux intérêts privés laissant moisir les bienfaits de l'intelligence. Tant que les ressources naturelles abondent, la culture du mérite est écrasée par celle de la défiance et de l'ostentation puérile des bateleurs, véritable poison de l'évolution vers la démocratie et toute forme de développement rimant avec le bien-être social. Soyez spectateurs et consommateurs, vous les détenteurs de la compétence d'abord et vous, le peuple ensuite, laissez la quintessence de la rare excellence agir. Pendant que le peuple, ou ce que l'on a convenu d'appeler ainsi, continue à s'enfoncer avec la subsidence accélérée de la pseudo-dévotion zélée et mercantiliste, des faux-semblants, de la tendance à la soumission inconditionnelle et au culte de la personnalité, les heureux potentats versent dans l'ostentation et le dandysme servile envers la piétaille sans la moindre déférence ni distinction, ni même pitié ou compassion de l'homme pour l'homme, le plus noble de l'éventail des sentiments humains pour paraphraser J.-M. Amrouche. Ils s'efforcent d'étonner toujours plus, leur vocation étant dans la singularité, tandis que leur perfection et leur excellence se logent dans la coquille de la surenchère. Cette culture de l'offense qui devient un fait d'école, de caste ou de classe, enfante la haine de soi, le doute en ses propres capacités, accroissant davantage le fossé qui nous sépare des nations développées. Dans ce règne de la désinvolture et de la méprise approuvées, toute personne qui se croit stratège et compétente en accédant à un poste de commande balaie d'un coup les actes de ses prédécesseurs et déclare l'instant zéro en arborant la mode de la feuille de route qui, du reste, ne se divulgue jamais parce que tout simplement il n'y en a pas. On cultive alors la théorie du rien, du nihilisme et du culte de la binarité. Il y a «le un», c'est lui, celui qui porte la bure de la prolixité de la compétence et du pouvoir, et tout le reste c'est le zéro pointé. Le prédécesseur n'a jamais rien fait et le grand messie arrive, désigné par «ceux d'en haut», s'y met et développe ses entourloupettes discursives en soufflant le vent d'une nouvelle stratégie généraliste et évidente dont on ne perçoit ni les objectifs, ni les voies et moyens à mobiliser, ni la provenance des ressources nécessaires au développement de ses réalisations. On vise des objectifs grandioses, comme se frayer une place parmi les grands leaders mondiaux des hydrocarbures, par exemple, en réalisant un bond extraordinaire, un jumping lumineux en doublant ses performances avec les compétences et bien sûr… l'excellence. Comme si ces grands leaders vont mettre leur étendard en berne, les clés sous le paillasson et croiser les bras pour qu'on les rattrape et les dépasse en une décennie. On va faire du business pour accroître subtilement son chiffre d'affaires à raison de 12 milliards de dollars l'an ! Souvent, on emmaillote la marchandise dans une layette parée d'anglicismes en vogue pour faire impression de maîtriser son sujet, ces termes exotiques qui font la joie des gens pressés et orgueilleux. Parler la novlangue, ce sabir exotique, fait paraître intelligent, compétent, incontournable et surtout fort important et détenir la crème du savoir. Pendant ce temps, on voyage aux States et on continue à lorgner au quotidien aux frétillements de la courbe des cours du pétrole, si bien qu'incidemment, il s'est emparé du citoyen, habité par l'esprit des importations, une fièvre de l'éventuelle décadence rentière. En fait, si compétence et maîtrise du sujet il y avait chez ces proclamés détenteurs de clés magiques et leurs assimilés, cela ferait longtemps que les choses auraient changé avec ou sans business planning. Sinon, comment expliquer qu'aujourd'hui des entreprises publiques s'en remettent aux imams et autres zaouïas pour sensibiliser les fidèles, qui pour récupérer ses créances, qui pour faire admettre l'exploitation du gaz de schiste ? Et pourtant, ces mêmes entreprises ont été ravalées à coups de milliards pour requinquer leurs capacités managériales, mettre à niveau leurs ressources humaines et leurs organisations par des bureaux d'études et cabinets étrangers, pour enfin de compte être incapables de rembourser leurs dettes auprès des banques publiques. En voilà de nouveaux modes de gestion, et on arbore le business planning et autres termes envoûtants pour exhiber ce supposé savoir-faire qui voile en fait une intellectualité désolément creuse et insipide et le recours à l'étranger. Voilà qu'on s'en remet aux grimoires et autres talismans pour faire advenir ce que la compétence devait naturellement réaliser : Sonelgaz pour rationaliser la consommation de l'énergie et récupérer ses créances impayées comme l'ADE d'ailleurs, Sonatrach pour faire admettre le recours à l'incontournable alternative énergétique du gaz de schiste. En même temps, un secteur aussi puissant et névralgique que la justice déclare de son côté plus de 7 000 milliards DA d'amendes impayées, soit près de 50 milliards €, tandis que le ministère des Finances avouait il y a 2 ans un montant de 3 500 milliards DA de créances fiscales non recouvrées, soit près de 25 milliards €. Aux dernières nouvelles, le montant total de la fiscalité non recouvrée s'élève à 12 500 milliards DA, soit près de 92.5 milliards € ou l'équivalent des réserves de change disponibles ! Aveu d'échec et montre du bon usage de l'intelligence dans les entreprises et les institutions publiques ! Où étaient et sont ces institutions fortes dont on ne cesse de louer et clamer la rigueur ? Que de manques à gagner dans les recettes de la trésorerie publique ! Un vrai mélange des genres et un indicateur de l'obsolescence des pratiques managériales et du capital-crédibilité entamé des entreprises et institutions publiques. Mais pour lisser le côté rêche des discours, on augure la réussite sensationnelle de la stratégie envisagée par l'annonce prometteuse de «gouttes de pétrole après 5 forages» dans le bassin de Béchar. Il me rappelle qu'en 2011, le ministre de l'Energie révélait périodiquement de nouvelles découvertes importantes. Cela fait déjà 7 ans qui se sont écoulés et qu'on clamait découverte sur découverte d'indices prometteurs. Mais on reste toujours au même point, aux supputations, et si on stagne au même niveau de production ou même on décline, c'est la faute aux autres. Que de temps perdu à répéter, décennie après décennie, le même refrain tel un disque rayé, sans jamais entamer le premier couplet de la chanson qui devait nous sortir du sous-développement, nous mener vers l'émergence, construire une économie productive et compétitive, et harnacher le chameau de l'innovation. Dans le sillon de cette utopie obsessionnelle, il a été annoncé que notre recherche, à travers la découverte exceptionnelle de l'un de ses cerveaux enfuis établi aux States sauvera l'humanité du démon des polymères polluants qui noircit l'environnement, en l'occurrence le sachet noir, cet objet insolite pratiquement institué au détriment du couffin traditionnel. Pour rappel, un ardent défenseur du développement durable en a fait son affaire en tant que ministre et avait prononcé la sentence et l'oraison funèbre de son éradication. Comble du plan du développement durable, le fameux sachet noir est toujours là, il est même un peu plus sombre et beaucoup plus présent. Quant au promoteur de son éradication il a été gratifié ambassadeur des déserts et des terres arides pour la Convention des nations unies sur la lutte contre la désertification. Ni le sachet noir ni le désert n'ont reculé. Il s'en est même ajouté un petit sachet vert innovateur qui détrône la boîte métallique et l'emballage en papier de la chique, cet autre polluant buccal dont abusent goulûment nos concitoyens de tous âges. Que de temps perdu depuis ces annonces ! Rente et discours fallacieux continuent de sévir et affaisser davantage notre habitus d'Algérien inflexible et fier de son orgueil. La guerre pour notre indépendance a duré 7 ans et demi, et on est sorti victorieux d'une grande puissance avec d'énormes sacrifices humains, économiques et environnementaux, grâce à l'intelligence, la compétence et l'excellence de nos jeunes aînés dont nous sommes très fiers. Mais depuis quatre décennies, on quête l'indépendance de notre économie vis-à-vis de la rente pétrolière et son corollaire anesthésiant et paralysant la distribution. En vain. On est cloué au lit de l'assistanat et de la complainte permanente, par le syndrome hollandais, le Dutch disease pour mieux résonner. Il est vrai que depuis longtemps notre pays n'inclut plus dans la texture du gouvernement le portefeuille du ministère de l'Economie, maillon fort susceptible d'assurer cohérence et cohésion aux actions des divers secteurs et d'en arrêter une stratégie porteuse. Il y a autant de ministères que de haquets monoplaces et, souvent, chacun mène le sien sans tenir compte de ce que font les voisins. Point de ministère de l'Economie et point d'économie d'ailleurs, en tout cas, celle que l'on annonce depuis des lustres et qui nous permettrait de survivre à la rente pétrolière. Depuis 1995, il n'y a eu que des ministères des Finances et du Budget. On sait engranger les revenus des hydrocarbures, les affecter et les dépenser. Et on investit beaucoup dans le basique. On a oublié l'essentiel : le productif. Et quand les caisses résonnent vides, on tente de tranquilliser avec les discours salvateurs et terrifiants. Et l'on va chercher les gouttes de pétrole dans les formations argilo-gréseuses, les réservoirs compacts, l'offshore et les shales depuis peu. Ça fait très élégant ces anglicismes et ça terrifie en même temps. On va racler les anciens réservoirs de gisements connus mais inexploitables à une époque passée pour des raisons de coûts, de technologie inadaptée et de rentabilité. On enterre le gisement tel un rapace cache sa proie dans un terrier. Et on y revient quand les conditions s'y prêtent. On injecte même du gaz pour entretenir le niveau de production de certaines accumulations. On redécouvre ainsi un gisement. Pour rassurer, on évoquera la découverte de gouttes d'huile dans des coins réinvestis du Sud-Ouest saharien. C'est bien et c'est prometteur. Des indices certainement. C'est à s'arracher les cheveux. Ainsi, on se défocalisera de l'acquisition tant décriée d'une vieille raffinerie. L'expression des gestionnaires du rail, un train peut en cacher un autre, semble aisément transposable aux managers des hydrocarbures, et une raffinerie peut en cacher une autre. On explique que le projet de la raffinerie de Hassi Messaoud mettra du temps à être réalisé et puis c'est un investissement lourd. Encore une question du temps d'Einstein et de sa constante cosmologique. Pour parer au plus pressé, on en a acquis une qui remonte presque à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est du business chez les Italiens et auprès d'une major du pétrole. On se confond en spéculations, en chiffres et en petits calculs économiques pour démontrer ou réfuter une ineptie, une action totalement délétère. Il ne faut pas sortir de quelque école ou institut célébrissime, comme le prétendent ces experts dont la qualité de l'expertise ne se mesure qu'à la longueur du texte porté sur l'instrument trompeur qu'est la carte de visite ou le curriculum vitæ — on peut tous en confectionner à volonté et les garnir de tous les sacres, diplômes et attributions que l'on désire — pour réaliser que cette histoire d'acquisition d'une raffinerie sur le territoire italien sonne comme un coup d'épée de bois sur la cuirasse de bronze d'un soldat romain, ou plutôt, comme un acte immature, même si on se cache derrière la chromaticité du business. Pas n'importe quel business et pas avec n'importe quels businessmen et conseillers. On ne peut pas nous bercer avec ce spectre de termes envoûtants, fussent-ils débités avec une charge acoustique harvardienne. On doit expliquer, informer et faire dans les standards de la nouvelle communication au lieu de stratégies alambiquées. Dès lors, l'annonce précipitée de l'ouverture des plis d'un appel d'offres portant réalisation d'un projet de raffinerie à Hassi Messaoud résonne comme un écho de compensation de l'acquisition incommode et incommodante d'un amas de tuyauteries qualifié économiquement «d'actif toxique», remontant à la lointaine époque des travaux d'exploration et de découverte des premiers gisements d'hydrocarbures du Sahara. Si on tente de s'arrimer au développement du numérique, si on mise sur des centrales à commande automatisées pour l'exploitation de nos gisements, comment acquérir à coups de centaines de millions de dollars un vieil alambic qui commence certainement à fumer comme ces camions Berliet des pilleurs de sable écumant plages et lits d'oueds au mépris de la nature et de l'environnement. Voilà encore un autre secteur-clé où le discours coule à flots et l'ingénierie est mise au congélateur. Il faut oser le faire et clamer comme étant l'affaire du siècle. Business quand tu nous tiens ! Au lieu d'aller créer ou sauvegarder de l'emploi en Italie, commençons par en créer chez nous et employer les jeunes diplômés de nos universités, au lieu de les caler dans les arcanes de la bureaucratie de la fonction publique à remplir des bordereaux d'envoi et classer des courriers. Un proverbe de chez nous dit bien w'ibγan ad yexdem lewqam, ad yezwir deg at wexxam, ou à peu de choses près, charité bien ordonnée commence par soi- même. Et pourtant, il en sort des ingénieurs, des masters dans la chimie du pétrole, le transport des hydrocarbures, le forage, la géologie, la mécanique, l'automatique, l'informatique, le raffinage, l'énergétique, le marketing, le management, et bien d'autres spécialités fines. Donc apprêtons-leur des usines ici, chez nous, au nord, au sud, à l'est, à l'ouest. Formons-les davantage s'il le faut aux tâches précises en leur cédant un peu de cette compétence épique détenue par les perles rares, pour les adapter aux métiers dont seuls les intitulés sont déclinés en anglais, les fondamentaux scientifiques restant toujours les mêmes. Ainsi, ils seront compétents. Sinon, on a beau diminuer nos capacités et jouer aux messies, rien ne changera. La marginalisation, le rejet, la réduction, voire l'humiliation des siens et la référence permanente aux compétences étrangères ne font que tirer vers les abysses les plus sombres notre économie et notre pays. Sans le partage et la valorisation des connaissances, du savoir et des efforts, on ne peut rien ériger de positif. Dès lors, on doit songer à la reconstruction d'une élite au fait de ce qui nous attend, de la vérité de notre histoire et de nos valeurs. Sans cela nous serons condamnés à subir comme des parias la dynamique des autres. Ailleurs, l'élite se respecte, se détache du reste par la puissance de son intelligence, sa clairvoyance, son sens de l'équité et de la justice, son discernement pour jouer un rôle de ferment régulateur de la société, de médiateur entre les gouvernants et les citoyens. L'élite est une force morale, cette gerbe de citoyens avisés se détachant du commun par une meilleure vision de la résolution des problèmes et un bon usage des forces de la société. En quelque sorte, ils font force de loi, devant la loi scélérate et même devant la loi tout court si on vient à en abuser. Ici, de l'élite il ne subsiste pratiquement que le mot. Elle n'est plus qu'une mesure de la distance qui sépare ceux qui sont censés l'incarner du sommet de la pyramide des strates des gouvernants et leurs clients. L'élite se construit par la sagesse et la culture de la sagesse et de la connaissance, du savoir s'entend, et non par la désignation par des relais de cercles d'intérêts ou de personnes adossées aux gouvernants. Elle ne se décrète pas par la proximité aux sphères politiques et les accointances et l'appartenance au coussin amortisseur et lubrificateur de l'exercice du pouvoir. Elle est le fait de l'émergence et de la reconnaissance par les siens en tant que telle. Chez nous, l'élite renvoie aux cercles du clientélisme et aux faux-semblants et ne revêt plus depuis des lustres l'habitus de la distinction et de l'irréfragabilité, du sentiment de la neutralité et d'être au service du commun et de l'intérêt général par le savoir et le bon sens. Elle est rabougrie et soumise depuis fort longtemps, après avoir perdu son indépendance, son sens de l'observation et depuis sa fonction intellectuelle dans une société désorientée et orientée vers la consommation du discours. Quand l'élite est laminée, il ne peut en sortir rien de bon, et un pays qui perd son élite et dilapide son intelligence, son capital social, que peut lui apporter son capital physique ou l'assistance étrangère si ce n'est l'asservir davantage par la télé-colonisation et la dépendance chronique, l'addiction à la chose étrangère et son expertise adulée ? On est face à une question existentielle des plus épineuses pour le devenir des générations futures qui n'ont pour l'instant d'autre alternative que de rompre les ressorts et grossir les rangs des flux migratoires au prix de leur dignité et leur vie. Et de s'interroger à qui incombe la gravissime responsabilité de ce phénomène abject de déshumanisation ? Avec ses paroles de visionnaire qui dépeignent de quoi l'avenir sera fait, incarnant le retour aux sources et aux liminaires du concept développement durable et la responsabilité projetée sur les générations futures, le sage cheikh Mohand clamait : «Laxer n zzman, ad d-yegwri ufellah' d mmis, d win yettat'afen imi-s», ou «à la fin des temps survivront le paysan avec ses enfants, et ceux qui sauront garder le silence» ou encore, «laxer n zzman, ad d-gwrin at tz'egwa, at tregwa, d at qel ssniaa», ou «à la fin des temps survivront les hommes des forêts, ceux des pays irrigués et les sans-industrie». Alors s'il subsiste encore quelque peu de bon sens, on doit sérieusement méditer la pertinence et l'actualité de ces dits prononcés à l'époque où l'huile de roche brute ou qed'ran, réputé pour son amertume, se vendait et se troquait comme remède miracle par les colporteurs dans des outres en peau de chèvre alors qu'on s'éclairait à la bougie et à la mèche de lampes d'argile nourrie d'huile d'olive, mais la lumière de l'intelligence s'investissait savamment dans le discernement et la sagesse féconde, loin des spéculations outrancières. A l'inverse des délectations des discours factices et fallacieux de ces nombreux bateleurs vendeurs de vent, le Verbe de nos aïeux coulait de miel, de vertus et vérités transférables et atemporelles. On gagnerait à le remettre au goût du jour, pendant que l'on s'évertue à discourir sur les villes intelligentes, les smart-cities pour être in, à travers une rencontre somptueuse où le nombre de convives paraît plus pertinent que la valeur ajoutée attendue de la manifestation. On gagnerait à initier une opération de restauration de la capitale avec les centaines de millions de DA destinés à cette manifestation pendant que des projets d'hygiène et de salubrité publique sont gelés. Ceci aiderait au lifting des quartiers historiques de la capitale dont l'état de délabrement est, hélas, très avancé. Peut-être faudrait-il user de matériaux intelligents pour ce faire ? Lors de cette rencontre, on a relevé que l'Algérie disposait de ressources appréciables dans tous les domaines, comprendre les ressources naturelles, et elle serait en grand besoin de savoir et d'expérience, notamment dans le domaine des technologies. Ne serait-on pas en contradiction avec ces bilans des politiques publiques distillés avec fatuité ? Et serait-on à ce point en train d'errer dans un désert d'aridité scientifique et intellectuelle pour afficher des attitudes aussi lunatiques et lancer des appels désespérés à l'aide des étrangers et de ceux qui ont choisi ailleurs comme plateformes de vie ? Il devient plutôt crucial de s'attacher davantage les services de ceux qui tentent d'assurer, dans cette atmosphère d'ignominie et de dévalorisation de l'esprit, le minimum pour maintenir les fonctions vitales du pays et de son économie, et de signifier que l'intelligence artificielle ne peut fonctionner sans l'intelligence humaine et avec les seules ressources physiques, fut-on dans la cité des miracles et des mirages. N'est-ce pas le moment opportun d'en finir avec cet héritage historique du complexe handicapant de la primauté de l'extérieur sur l'intérieur, des analphabètes bateleurs sur la compétence, qui a coûté cher à nos Aînés ? En fait, la question majeure est là, pavée de la cruelle vérité. I. A. Z. (*) Géophysicien, université Mouloud-Mammeri.