Ce qui nous est arriv� en voyant la petite Chahra, l�avaleuse de gaz butane, au niveau de ce petit village d�Ighzer Boulghem, perdu au milieu de nulle part, nous a laiss� sans voix pendant plusieurs minutes avant de nous ressaisir et nous secouer un peu, en essayant tant bien que mal de nous remettre. Reportage r�alis� par Yazid Yahiaoui Non, il y a de ces ph�nom�nes et de ces situations qui nous rappellent � nous les humains, � nous les Terriens comme dirait l�autre, combien nous sommes petits, mais aussi combien nous serons grands en nous penchant et en venant en aide aux autres. Une souffrance dans la solitude Les gens soufrent en 2010. Jamais nous n�avons pens� qu�en 2010, il subsistait encore des hommes vivant dans une pr�carit� et un d�nuement aussi criants. Mais surtout, jamais nous n�avons pens� que dans l�Alg�rie de 2010, il subsistait des malades pas du tout ordinaires, qui plus sont issus de familles des plus d�munies, sans que leur �tat ne puisse �mouvoir et faire bouger le petit doigt des responsables. Le cas de Chahra Trib�che est des plus �difiants. C�est une plaie b�ante qui ne sera cicatris�e que le jour o� les responsables, depuis le chef de da�ra de Bechloul jusqu�au Premier ministre en passant par tous les responsables hi�rarchiques, prendront conscience de leur devoir envers cette malade. Chahra est n�e un certain 14 septembre 1995. Elle �tait n�e pour vivre libre et heureuse. Issue d�une famille pauvre, son papa subsistait aux besoins de sa famille en �margeant au registre du filet social depuis trois ans d�j�. Il le restera jusqu�� aujourd�hui. 18 ans que ce p�re malheureux ex�cute de basses besognes au niveau de l�APC d�Ahl Ksar moyennant la modique (maudite !) somme de 3 000 DA du filet social. Chahra devait grandir dans cette petite bicoque construite en terre et situ�e au village Ighzer Boulghem dans la commune d�Ahl-Ksar, � 30 km au sud-est de Bouira. A quatre ans, les conditions de vie de Chahra n�avaient gu�re �volu�. Il suffisait d�un rien pour que n�importe quelle maladie s�installe. En cette ann�e 1999, cette maudite maladie arriva. La petite et innocente Chahra sera atteinte d�une m�ningite. Prise d�un acc�s de fi�vre, sa pauvre famille pensant � une fi�vre passag�re ne dut l�admettre � l�h�pital que plusieurs jours plus tard. Et ce fut trop tard. Les s�quelles que cette maladie laissera sur la petite Chahra seront irr�versibles. Quelques semaines � peine apr�s sa sortie de l�h�pital de Bouira, la petite Chahra, qui parlait � peine, arborait des comportements les plus bizarres. Elle s�isolait de plus en plus dans les garages et autres coins de la maison, surtout la cuisine, et la m�re a mis beaucoup de temps pour s�apercevoir ce que la fillette d�� peine 4 ans faisait dans ses retranchements : un comportement relevant du paranormal. La petite Chahra prend le tuyau du gaz butane dans sa bouche et ouvre le robinet. Elle inhale le gaz butane comme on inhale un bon parfum. La petite ne retire sa bouche qu�apr�s �vanouissement. Ce comportement que la famille pensait passager est devenu malheureusement quotidien. La petite fille qui grandissait cherchait par tous les moyens � se procurer sa bouteille de gaz butane pour en inhaler le gaz jusqu�� l��vanouissement. A 6 ans, les membres de sa famille qui pensaient qu�avec l��cole tout rentrerait dans l�ordre ont vite d�chant� avec l�am�re sentence : la petite Chahra est une attard�e mentale ; elle ne pouvait suivre des �tudes. Depuis, sa famille a tap� � toutes les portes, et les m�decins qui l�ont � maintes fois examin�e, n�ont rien pu faire pour elle si ce n�est lui prescrire des calmants et en lui d�livrant une carte d�invalide pour b�n�ficier de cette maigre pension de 1 000 DA avant d��tre port�e � 4 000 DA. Des comprim�s pour la calmer durant les acc�s de crise fr�quents qui la terrassent et la plongent dans un �tat comateux pendant plusieurs minutes. �Elle peut rester des heures, ber�ant la bouteille de gaz� Innocente dans son inconscience, la pauvre Chahra nous regardait craintivement. Ce n�est qu�apr�s lui avoir parl� qu�elle commen�a � se rassurer de notre pr�sence. Son cousin Mohamed que nous avons trouv� sur place, nous dira que sa ni�ce Chahra souffre et malgr� les appels incessants de la famille, aucun responsable ne s�est pr�sent� pour la prendre en charge. Le regard innocent de la pauvre fait mal au c�ur. Habill�e d�une longue robe traditionnelle, la petite Chahra �tait assise � m�me le sol lorsque nous l�abordions. Sa bouche �tait envahie par des mouches qu�elle n�ose m�me pas chasser de ses mains dont les doigts portaient des blessures au niveau des articulations. Quand elle �prouve le besoin du gaz, elle fait sa crise en cognant avec ses mains tout ce qu�elle trouve sur son passage. Souvent, elle se blesse� Chahra avait des yeux somnolents et son cousin nous dira qu�elle avait vol� depuis tout � l�heure quelques bouff�es de gaz � la cuisine. Comment s�y prend-elle ? �En criant et en mena�ant les femmes qui s�y trouvent ; ses cousines, sa m�re, etc., � l�aide de pierres et de tout autre objet qu�elle trouve � port�e de main. Son seul objectif dans ces moments de manque est d�acc�der � la bouteille de gaz. Une fois son d�sir assouvi, elle ressort fatigu�e mais calme comme elle l�est maintenant�, nous dira le cousin Mohamed qui se bat depuis des ann�es, �tant le seul membre de la famille instruit tant le p�re de Chahra est analphab�te et incapable de faire quoi que ce soit. Sur place, lorsque nous avons essay� de lui parler, Chahra marmonna des mots � peine audibles que son cousin se presse de nous expliquer. Puis tout d�un coup, elle nous lance : �Tu m�estimes ?� �Oui, bien s�r que nous t�estimons�, lui r�pondons-nous avant de voir son visage s�illuminer. Il s�illuminera davantage lorsque son cousin lui fera la proposition de lui ramener la bouteille de gaz. Il voulait absolument � ce que nous assistions en direct au comportement de sa ni�ce � la vue de cette bouteille de gaz. Effectivement, d�s l�annonce, Chahra fera un large sourire tout en lui disant : �C�est vrai �a ?� Et lorsque Mohamed, entre-temps le p�re Rezki entra dans la pi�ce, arrive depuis la cuisine avec la bouteille de gaz butane, la petite Chahra se leva imm�diatement et commen�a � danser. A la mani�re d�un enfant qui se voit offrir un bon cadeau ou autre objet de jeu qu�il aime. Et avec le consentement de son cousin et son p�re, elle prit dans sa bouche le tuyau avant d�ouvrir la bouteille toute seule. Elle inhala une bonne bouff�e de gaz, refait l�action deux fois avant de fermer la bouteille et se lever. Des gestes faits avec une grande application comme si la petite retrouve tous ses sens et sa lucidit� � la seule vue de cet objet de ses d�sirs. En somme, un ph�nom�ne paranormal digne d�un suivi et d�une �tude de la part d��quipes m�dicales. D�apr�s son cousin, sa ni�ce Chahra inhale le gaz butane comme ferait un asthmatique avec la Ventoline, ou pour dire vrai comme le ferait un toxicomane en sniffant de la coca�ne. Elle inhale le gaz jusqu�� l'enivrement. �Elle peut rester des heures et des heures en ber�ant la bouteille de gaz� dira-t-il. Quand la mis�re se conjugue avec l�ignorance Le p�re Rezki, qui m�ne une vie de mis�re avec le petit salaire du filet social ainsi que les dons des voisins et autres �mes charitables, n�en peut plus. Et comme le malheur ne vient jamais seul, un autre gar�on, Nassim, �g� aujourd�hui de ans, souffre lui aussi apr�s avoir contract� une m�ningite � l��ge de 3 ans. Aujourd�hui, le pauvre Nassim est pratiquement paralys� et muet. Les m�decins lui ont prescrit des s�ances de sauna et de r��ducation mais par manque de moyens, le p�re ne peut assurer aucun soin pour son fils, lequel nous avons retrouv� dans une autre pi�ce dans cette mis�rable demeure. Difficile de retenir ses larmes et surtout sa col�re devant tant d�abandon et surtout de mis�re dans une Alg�rie de 2010. Une famille compos�e de 6 personnes, le p�re en ch�mage, ignorant et vivant du filet social depuis 18 ans, une m�re au foyer, et deux handicap�s � charge dont une fillette de 15 ans qui arbore un comportement qui rel�ve du paranormal et un gar�on qui risque le handicap si une prise en charge n�est pas assur�e. Les deux autres enfants, Nassima, 3 ans, et Achour, 17 ans, sont les seules consolations des parents. Cependant, la vie au village reste des plus pr�caires. Surtout au niveau de ce petit hameau o� vit la famille Trib�che qui compte quelques maisonn�es. Un endroit o� l�eau du robinet n�a jamais coul� bien que la conduite d�AEP ait �t� install�e depuis 2006, une route d�labr�e et travers�e par plusieurs rigoles trac�es par les derni�res pluies du mois de juin, et pour boucler la boucle, une chaumi�re digne de l��ge de pierre. Malgr� toutes ces vicissitudes, le p�re esp�re encore en nous rappelant les promesses du P/APC de lui procurer un poste d�cent d�s que possible et celle d�un d�put� qui lui aurait promis �galement un travail et, surtout, un espoir fou de voir un jour des �mes charitables prendre en charge ses deux enfants, la pauvre Chahra et le petit Nassim. Pour Rezki, l�espoir est de se voir un jour recruter dans une entreprise comme ouvrier � c�est son seul souhait. Eh oui, travailler comme ouvrier pourra procurer du bonheur que tous les milliards du monde ne peuvent procurer � et de voir une �me charitable se manifester pour prendre ses enfants, particuli�rement Chahra, en charge. Rappelons tout de m�me qu�en 2006, le minist�re de la Solidarit� s�est manifest� aupr�s de cette famille pour la prise en charge de la petite Chahra mais en exigeant � ce que ses papiers soient fin pr�ts dans les 24 heures qui suivent. Autant dire qu�ils avaient d�lib�r�ment exig� l�impossible pour clore imm�diatement le dossier.