J'avais tout préparé. Le plan. Les idées. La chute. Et les petits effets de dérision. C'est le temps de la dérision, il faut le reconnaître. J'avais tout écrit dans ma tête. Oui, j'avais écrit dans ma tête. Ça ne vous arrive pas à vous d'écrire dans votre caboche ? Moi, je ne fais que ça. Depuis tout jeune, j'écris dans ma tête. Et je me parle à moi-même. Il ne faut pas voir autre chose que ça. Je vois des sourcils en accents circonflexes. Ne vous en faites pas, je vais bien. Enfin, autant que faire se peut. J'ai encore le cerveau en place. Du moins, je le pense. Je l'espère. Puis, il y a des toubibs qui remettent les idées en place. Ou le cerveau à l'endroit, quand il se met à plonger. Voilà, j'ai tout préparé dans ma tête. L'actualité s'accélère dans notre pays. Oui, je voulais parler justement de cette actualité. Mais au fond de moi, dans ce qui me sert de caboche, j'avais envie de faire une incursion philosophique. Attention, je ne suis pas philosophe. Même si nous le sommes tous, un tant soit peu. Un philosophe du café du coin ! Il était question que je tartine sur l'amitié qui se fait désirer. Ou sur la fidélité, comme si la fidélité se détermine d'un coup de tête. Sur l'amour, tel qu'Aragon l'a écrit de si fort belle manière. J'ai bien réfléchi à tout cela. J'ai préparé des citations exquises. Je suis ordonné, quand je le décide. J'ai pensé, dans ma petite tête, que l'amitié relève d'un parcours de combattant ; il faut (com)plaire à l'autre ; parfois, sinon souvent, il faut supporter l'autre. Ça arrive, non ? Je ne sais pas pour vous. Puis quand l'amitié s'installe, on se sent bien avec l'ami ; puis, l'habitude complique la complicité. Il suffit d'un geste, d'une parole mal interprétée ou d'un oubli, pour que l'amitié (ce reflet contraire) s'effiloche. Je ne vais pas vous parler d'amour. Chacun s'arrange avec ses amours et ses emmerdes. Ça était dit avant moi, n'est-ce pas ? C'est de la philosophie de café, je vous ai prévenu. Dans tout ça, je n'ai pas pu mettre la main sur mon brain-trust. Voilà, les amis s'évanouissent dans la nature, au moment où on en a le plus besoin. De ce fait, je me suis retrouvé seul sur une route pleine à craquer. Zid la chaleur. L'humidité. Puis ces poissons qui se noient dans un barrage. C'est à n'y rien comprendre. Les trottoirs, aujourd'hui, ne désemplissent pas. A croire que personne ne travaille. Je sais que les fonctionnaires communaux sont en grève. Je ne connais pas les raisons. Je n'ai pas pu faire les mille pas ; ce n'est pas la volonté qui manque. Sauf que je n'en vois pas l'utilité. Mon toubib insiste pour me faire marcher. C'est bon pour la santé, me dit-il ! Mais où mettre le pas avec tous ces marcheurs ? Ça tamponne de partout. Où mettre l'amitié et l'amour, ou la fidélité, dans cette cohue, qui n'en finit pas. Et cette chaleur suffocante qui annihile toute énergie. Je ne marche pas. Je traine les pieds. Et les idées fuient ma tête, à toute vitesse. Je suis loin de mon incursion philosophique. Je suis loin de toute philosophie. Je suis pris, à la gorge, par la réalité. Dès lors, je m'arrange comme je peux. Je ne veux pas grand-chose, juste un peu de fraîcheur. Je lève la tête, il me semble voir le soleil me faire un bras d'honneur. Quand je vois tout ce beau monde insensible à cette canicule, qui fait les prolongations, j'aimerais bien connaître sa position sur le 12 décembre. C'est le jour du vote, pardi. J'irai voter, bien sûr. J'ai déjà raté une élection. Je ne raterai pas celle-là. Et tout ce beau monde, autour de moi, ira-t-il voter ? C'est la bonne question, la très bonne question. A la façon dont se meut ce beau monde, je le vois mal se diriger vers le bureau de vote. C'est du moins mon impression. Je suis tenté de poser la question ici et là. J'ai peur de la réaction de la rue. La rue ne veut pas de cette élection. Mais, ça y est, c'est décidé ! Les élections iront à leur terme. Sauf si le scénario de la dernière fois se renouvelle. C'est une hypothèse à ne pas exclure. Les candidats ? Il y en aura, cette fois-ci. Des noms se chuchotent. De potentiels candidats, oui ! Ça promet, ya kho ! Je traîne toujours mes pieds. Je suis au comble de la suffocation. Dire que je voulais tartiner sur l'amour. Et l'amitié. Ça n'existe que dans les contes. Quoique dans les contes de grand-mère, il a été surtout question d'ogre et d'ogresse. De «bichouh». Yakhi, «bichouh» est parti définitivement de notre pays. Du moins, je le pense. Je voudrais demander à ce beau monde s'il n'y a plus de «bichouh», ici. Je sais que ce beau monde me rira au nez. Et me prendra pour un maboul. «De quoi parle-t-il çui'là ? Il est toqué de la tête». C'est juste une simple question. Je n'ai pas demandé grand-chose. Puis, ce beau monde ira-t-il voter ? En Tunisie, les Tunisiens ont voté. Ils ont mis en application le «dégagisme». Et si cela se produisait en Algérie ! Et si un Président neuf, anti-système, n'ayant rien à voir avec les vieux schémas de pensée, qui va casser la baraque, ayant l'oreille populaire, démocrate jusqu'au bout des ongles, venu pour servir, sortait des urnes, je serais – ce jour là – le plus heureux des algériens. Serait-ce du domaine du possible ? La fin de l'année le dira… Vous voyez, je suis loin de l'amour. De l'amitié. Et de la fidélité. Loin de tout élan poétique. Vous voyez, des jeunes meurent encore de vouloir tenter la harga. Ces jeunes, «anséjizés» à souhait, veulent autre chose que ce simulacre de vie. Le mode de vie occidentale supplante tous les autres modes de vie, y compris le nôtre. Il ne faut pas se leurrer là-dessus. Ce beau monde, autour de moi, pense-t-il comme moi ? A le voir traîner son ennui sur des trottoirs obèses, il me semble que oui. Allez proposer à ces jeunes un bulletin de vote ou un visa, leur choix sera vite fait : le visa, pardi ! Ne me posez pas la question à moi, c'est inutile, vous connaissez ma réponse. Et je connais la vôtre ! Ne vous en faites pas, je la respecte. Il n'y a aucune honte à chercher, ailleurs, son bonheur. La honte doit être chez ceux qui nous ont amenés à cette situation. Dans tout ça, je reste toujours un algéro-désespéré. Y. M.