L'effondrement des prix du pétrole, lundi, n'est pas un simple «accident de marché», tout comme le rebond enregistré hier mardi n'est pas un signe de reprise totalement fiable, tant les fondamentaux pour un regain durable font encore défaut, notamment la réduction de l'offre jusque-là abondante. Entre la situation sanitaire mondiale et la guerre des prix déclenchée par l'Arabie Saoudite, le doute demeure toujours aussi épais, surtout pour les pays tirant l'essentiel de leurs ressources à partir de la fiscalité pétrolière, à l'instar de l'Algérie qui planche sur une loi de finances complémentaire qui s'annonce comme un «sacré exercice» pour ceux chargés de la ficeler. Avec, d'une part, un potentiel de production de 12 millions de barils par jour qu'elle pourrait allègrement atteindre, voire dépasser de 2 à 3 centaines de milliers, dès le mois prochain et, d'autre part, des prix préférentiels défiant toute concurrence accordés à ses clients asiatiques et américains, l'Arabie Saoudite n'a pas fait dans la demi-mesure pour répondre au refus russe d'adhérer à la proposition d'une réduction supplémentaire de la production de 1,5 million de barils par jour dans le cadre de l'Opep+. Une façon de faire de la part des Saoudiens qui a produit l'effet d'une déflagration sur le marché mondial du pétrole qui n'a plus vécu une séance aussi catastrophique, avec tous ses dégâts collatéraux, notamment sur les marchés financiers du monde entier, depuis près d'une trentaine d'années, depuis la guerre du Golfe, plus précisément. Ces «échanges» russo-saoudiens se sont finalement soldés, lundi à la clôture des marchés, par les pires séances depuis 1991, avec des chutes de 25% du cours à Londres comme à New York, après avoir atteint les 30% en début de journée de lundi. En fin de séance, lundi soir, le baril de WTI a fini par afficher 31,13 dollars, alors que quelques heures plus tôt, sur le marché londonien, le prix du baril de Brent s'était établi à 34,36 dollars, soit les prix les plus bas depuis quatre ans. Ainsi, dans l'historique des journées noires vécues par le pétrole, il y aura désormais cette journée du 9 mars 2020. Cette journée qui a fait couler des sueurs froides même aux majors de l'industrie pétrolière, pourtant bien armées pour faire face à bien des impondérables, et aux Etats, principalement ceux tirant l'essentiel de leurs ressources à partir de la fiscalité pétrolière, à l'instar de l'Algérie, déjà pas très servie par le cours du pétrole lorsqu'il tourne autour des 50 dollars le baril, comme l'illustre parfaitement la loi de finances en application qui prévoit un déficit du budget de l'Etat de plus de 1 500 milliards de dinars, alors que celui du Trésor devrait avoisiner les 2 450 milliards de dinars. C'est donc un catastrophique cours qu'a pris le marché pétrolier mondial, suscitant les pires prédictions un peu partout pour les mois qui viennent, surtout que beaucoup d'analystes n'ont pas écarté la possibilité que les Russes décident de répondre du tac au tac aux Saoudiens en agissant d'une manière ou d'une autre, impliquant ainsi une inondation du marché en pétrole et ce, au moment où l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit une tendance toujours à la baisse de la demande en or noir. «L'impact de l'épidémie due au coronavirus sur les marchés pétroliers est temporaire, mais les défis de long terme qui pèsent sur les pays producteurs sont là pour longtemps, en particulier pour ceux qui sont lourdement dépendants des revenus des hydrocarbures», expliquait, il y a deux jours, Fatih Birol, le directeur exécutif de l'AIE. Un état des lieux qui a de quoi faire craindre des jours encore plus difficiles qu'ils ne le sont déjà aux pays qui ont misé sur un baril de pétrole à 50 dollars. C'est donc un lundi noir qui plus est n'augurait rien de bon qui puisse atténuer la tension, d'autant que les supputations des analystes les plus avertis de par le monde pariaient que la Russie n'allait pas reculer, tout autant que les Saoudiens. Scénario presque intégralement balayé dès les premières minutes après l'ouverture des marchés. Asiatique d'abord, où le pétrole s'est mis à regagner des couleurs pour atteindre des proportions plus optimistes encore à la mi-journée sur les deux marchés les plus «significatifs», puisque sur le Mercantile Exchange de New York, le baril de WTI montait de pratiquement 9%, à 33,93 dollars, après avoir, à un moment, dépassé les 10% pour afficher un inespéré, quelques heures plus tôt, 34,42 dollars. De l'autre côté de l'Atlantique, sur le marché londonien, le baril de Brent valait 37,30 dollars, soit une hausse de 8,56%, après avoir affiché 37,75 dollars. Un retournement du marché dû à la sortie surprise du ministre russe de l'Energie, Alexandre Novak, qui assurait que son pays n'excluait pas de nouvelles actions en coordination avec l'Opep, dans le but de stabiliser le marché, ouvrant ainsi la porte à un rapprochement entre les membres de ce qui constituait, jusqu'à il y a trois jours, l'Opec+. Comme le notait le site spécialisé Prix du baril, qui reprenait un spécialiste de la Banque royale du Canada, le regain du Brent et du WTI après le krach de lundi est soutenu également par, d'abord, la reprise des marchés boursiers, qui ont, eux aussi, fortement chuté lundi, puis par les déclarations du Président américain Donald Trump, qui a fait état de mesures «de grande ampleur» pour venir en aide à l'économie américaine face aux répercussions de l'épidémie du coronavirus. Une accalmie qui, toutefois, n'était pas de nature à totalement éloigner les craintes tant les projections dans l'immédiat ne sont pas favorables à un rebond durable, comme le laissent supposer les prévisions de l'AIE qui, hier, annonçait une offre excédentaire de pétrole sur le marché d'environ 1,5 million de barils par jour. Azedine Maktour