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Une famille au service de la révolution
LE PERE, LA MERE ET LEURS DEUX FILS TOMBES AU CHAMP D'HONNEUR
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 07 - 2020

Ils se sont sacrifiés, en famille, pour que le pays recouvre son indépendance dont on a célébré, hier, le 58e anniversaire. Eux, ce sont le père, Rabah Landri, son épouse, Messaouda Loukkad, et leurs deux fils, Chabane et Ahmed, ne laissant en vie que leur fils Saïd, qui a perpétué leur mémoire en prénommant son unique fils du prénom de son défunt père et l'une de ses filles de celui de sa chère mère. Ceci avant que l'unique fils ne fasse de même en attribuant à deux de ses trois fils les prénoms de ses deux oncles. Ci-dessous, le portrait de tout un chacun des quatre membres de cette famille martyre, en hommage à leur sacrifice suprême, au moment où bien d'autres compatriotes, pourtant bien mieux lotis socialement, ont choisi le confort matériel de la trahison et de la collaboration avec l'administration coloniale.
LANDRI RABAH
Fils de Ali et de Oumelkhir Khelfane (1904-1957)
Il donna tout à la patrie
Nous pouvons mesurer le degré de conviction d'une personne à une cause donnée à travers le tribut qu'elle paye pour sa concrétisation. A la veille du déclenchement de la Guerre de libération nationale, Rabah Landri était père de famille. Il menait une vie tranquille de paysan kabyle. Le courant nationaliste faisait bouillonner les esprits des Algériens avides de justice. Le système colonial avait instauré une injustice sociale criante et une ségrégation dans les droits entre les indigènes et les colons.C'était cette soif de justice qui constitua le socle de la conviction d'instauration de la République algérienne démocratique et populaire. Les autres considérations raciales et religieuses n'ont fait que consolider la conviction née dans l'esprit de l'Algérien. Da Rabah débuta dans l'activité secrète avec le FLN. Ce n'est qu'en 1956 qu'il regagna définitivement les rangs de l'ALN. Il ne quittera jamais la région des Ath-Sedqa et des Ouacifs. Nos rares témoignages mentionnent sa participation à maints accrochages et sabotages d'installations de l'administration coloniale dans les environs immédiats de son village.
Il faut relever que le fait d'activer dans sa région constituait une lame à double tranchant tant il est vrai qu'on y trouve aisément gîte et nourriture auprès des gens que l'on connaît mais en parallèle, on était exposé au travail de taupe exercé par les relais de l'Algérie française.
Da Rabah ne s'est pas seulement inféodé à la cause nationale tout seul, mais il entraîna avec lui toute sa famille, sa femme et deux de ses enfants, mettant ainsi toute sa lignée au service de son idéal de liberté.
Sa capture en 1958 trouverait sa raison justement dans le service offert par des harkis à leurs chefs. Il fut emprisonné dans une geôle coloniale au niveau du camp du village où il trouvera la mort, succombant certainement aux atrocités des tortures qu'il dut subir. Il était atteint de cécité, lui qui était arrêté à Lghar n wennar, en contrebas du village, en compagnie de son fils Ahmed, abattu, lui, et enterré sur les lieux-mêmes. Si son nom résonne, néanmoins, encore de nos jours ,puisque l'unique fils de son seul rejeton épargné par la guerre, le porte, on ne saura jamais où il a été
enterré.
LANDRI NEE LOUKKAD MESSAOUDA
Fille de Ahmed et de Tassadit Fettache (1916-1958)
Bravoure d'une femme
Seul son foulard a été retrouvé à Ticcewt n tbubert, dépotoir du village, non loin du camp militaire colonial, où elle a été mutilée au bout de plusieurs «séances» de torture. Il y a de ces familles auxquelles le prix de la libération était plus cher que toutes les autres. Nous ne savons pas par quel miracle la lignée de Nna Messaouda a échappé à la félonie de l'occupant.
Durant la Guerre de libération nationale, il suffisait qu'un de ses membres s'engage dans les rangs de l'ALN pour que toute la famille, à son corps défendant, s'y retrouve totalement impliquée. Il était à la limite du suicide que de demeurer au village quand il est certain qu'on est la cible directe de l'occupant. Convaincue de la justesse de la cause de son mari et ses deux enfants qui étaient résolument engagés dans la lutte armée, mais au vu de son engagement, elle restera au village, faisant fi de tous les dangers qui pesaient sur elle. Le courage de la brave femme la mènera à recevoir régulièrement son mari et ses deux enfants maquisards accompagnés souvent de leurs camarades de combat.
Ce dont les autorités coloniales ne tarderont pas à être mis au parfum, leurs relais n'étant pas restés indifférents aux activités de cette dame bien singulière. Nna Messaouda dut gérer comme elle pouvait les «visites» de soldats avant d'être arrêtée et emprisonnée en 1958. Durant son séjour carcéral dans les geôles du camp militaire du village, elle subira les pires atrocités avant d'être mutilée, non loin de là, au lieudit Ticcewt n tbubert et son corps jeté à même les ordures s'y trouvant, le site servant de dépotoir.
Et à l'exception de son foulard que l'on finira par récupérer plus tard, détail par lequel on aura compris qu'elle a été assassinée, on ne retrouvera, cependant, aucune trace du corps de notre héroïne Nna Messaouda.
LANDRI CHABANE
Fils de Rabah et de Loukad Messaouda (1940-1961)
Même s'il ne regagna les rangs de l'ALN qu'une année après son père Rabah et son frère Ahmed, il a eu plus de temps d'activité militaire qu'eux puisqu'il ne tombera sous les balles ennemies qu'un an avant l'indépendance du pays. C'est peut-être en raison de son jeune âge et dans le souci de prendre soin de sa mère et de son jeune frère qu'il demeurera quelques années au village et ne regagnera les maquis qu'en 1957. Ceci dit, Dda Chabane était loin de rester les bras croisés puisqu'il activait secrètement et était dans l'attente du moment approprié pour s'engager dans les maquis. C'est dans le milieu citadin qu'il s'initiera à l'activité de sabotage portant un coup dur aux intérêts coloniaux. Il sera, d'ailleurs, cité dans la planification et l'exécution de bien d'attentats dans la région de Bouira, voire à Médéa. Il avait un handicap de taille, celui de ne pas opérer dans une région qu'il connaît comme celle de ses aïeux dont il connaît le moindre recoin. Une terre natale qu'il ne regagnait que rarement, juste pour voir la famille et donner signe de vie. C'est d'ailleurs lors de l'une de ses furtives virées villageoises que sa mère a été dénoncée pour avoir commis le «péché» de l'avoir hébergé et nourri, en compagnie de camarades de combat. Celle-ci sera traînée au camp militaire du village pour être torturée jusqu'à sa mort.
Et la longévité de son activité dans les maquis reviendrait à son intelligence exceptionnelle et son érudition dans les techniques de guerre, en sus de son impressionnante constitution physique puisqu'il était très robuste. Ceux qui l'ont connu dressent de lui le portrait d'un très bel et élégant homme et d'une taille très imposante. Il tombera au champ d'honneur une année avant l'indépendance du pays, lors de l'une des innombrables embuscades tendues à l'ennemi. C'était en 1961 du côté de la région de Ahl-el-Kseur, dans la wilaya de Bouira, où il était de passage chez une famille de moudjahidine. Il y sera d'ailleurs enterré par des vieilles femmes. Dda Chabane avait 21 ans et n'a pas laissé de descendance car célibataire. Un cousin à lui pérennisera sa mémoire, en donnant son nom à son fils. De même, un collège dans la ville de Bouira est baptisé en son nom.
LANDRI AHMED
Fils de Rabah et de Messaouda Loukad (1937-1958)
L'appel de la patrie
Une famille née pour servir la cause nationale. Nos rares témoignages n'arrivent pas à nous faire trancher qui a précédé l'autre vers les maquis. Une chose est néanmoins sûre, elle s'est progressivement engagée dans la lutte armée. Et à l'aube de celle-ci, Ahmed Landri était un jeune homme de vingt et un ans, marié à quatre reprises sans pouvoir, néanmoins, avoir des enfants. Les raisons d'épouser la cause libératrice du pays du joug colonial ne manquaient pas pour lui. Nous ne citerons que celles qui constituèrent l'essence même de l'engagement indéfectible de milliers d'Algériens ayant répondu à l'appel du 1er Novembre 1954. L'injustice sociale, qui faisait de l'Algérien un sous-citoyen, un indigène, a ouvert les portes à tous les mécontentements qui ont donné naissance à la révolte. Les politiciens du FLN n'ont fait que canaliser cette colère pour en faire une véritable force de frappe. Et Dda Ahmed faisait partie des noyaux durs des membres de l'ALN qui ne reculaient devant rien. De sa conviction de contribuer à la mise en place d'une Algérie par ses enfants est né ce courage inégalé. Il était de ces héroïques actes de sabotage des diverses installations de l'ennemi dans la région des Ouacifs, en plus de nombre d'embuscades tendues à la soldatesque coloniale. C'est d'ailleurs, lors d'une des ces opérations, un accrochage avec les soldats ennemis au lieudit Icudax, en contrebas du village, qu'il tombera en martyr, les armes à la main. Il était en compagnie de son père qui, lui, sera capturé avant de succomber une année plus tard, aux pires tortures de la soldatesque coloniale au camp militaire du village. C'était en 1956, ouvrant, ainsi, le chemin du sacrifice suprême à presque toute la famille puisque son père, sa mère et, enfin, son frère Chabane le rejoindront dans l'au-delà.
Mohammed Kebci


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