Par Naoufel Brahimi El Mili 2021 n'est pas uniquement une nouvelle année. Elle représente le début d'une nouvelle et inconnue ère. L'apparition du coronavirus est une forme étrange d'un «11 septembre». Une inqualifiable attaque terroriste qui va transformer l'ordre mondial et les rapports avec le monde arabo-musulman. Les dégâts de ce virus vont au-delà des deux tours jumelles pour atteindre les confins les plus éloignés de la planète. Seulement, cette fois-ci, il n'y a pas de responsable ni de coupable que les armées les plus avancées iront tenter de dénicher dans les grottes de Tora Bora. Pourtant, les victimes du coronavirus se comptent en centaines de milliers et aucun pays au monde n'est épargné. La Covid-19 ne s'attaque pas uniquement au système respiratoire des êtres humains, mais aussi à l'économie. Au passage, elle transforme radicalement les mœurs sociétales et politiques. Les Jeux olympiques de Tokyo sont annulés. Le Tour de France, également. Les footballeurs jouent dans des stades vides. Apparaissent de nouveaux comportements : télétravail, distanciation sociale, click and collect, confinement, couvre-feu... Sur le plan politique, le vote est soit reporté soit se fait à distance comme aux Etats-Unis et qui provoque contestations et imbroglios. Les meetings populaires sont déconseillés. Place aux télétransmissions des discours des candidats avant le télé-vote des électeurs qui ne peuvent ni embrasser ni serrer la main des postulants au suffrage universel. Comment s'en défendre ? En nous lavant les mains et en portant des masques, nous dit-on. Un vaccin est attendu comme le messie, une onction médicale salvatrice nous est promise. Tant mieux, mais plus rien ne sera comme avant. La mise en turbulence des systèmes connus est bien installée, peut-être durablement. Qu'en est-il en Algérie ? Le Président est contaminé comme certains chefs d'Etat, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Le Hirak est essoufflé mais pas uniquement à cause du coronavirus. Une révolution inédite qui a mis fin aux vingt honteuses se trouve, en toute logique, exposée aux vents du dégagisme. Il y a un lien mécanique entre la corruption à échelle industrielle jugée devant les tribunaux d'Alger et la généralisation du «tous pourris». Système, dégage ! Ils doivent tous dégager et on repart à zéro avec le grand risque que le pays peut s'installer dans ce chiffre inventé par les Arabes. L'élection présidentielle a réglé la crise du régime mais pas la crise politique, aggravée par la pandémie. Seules des négociations peuvent en dessiner l'issue. Mais avec qui ? D'un côté, le Hirak n'est ni structuré ni doté d'un leadership. De l'autre, des incarcérations interpellantes sont loin d'apporter l'apaisement pourtant indispensable. Chacun doit faire un pas pour rechercher des synthèses novatrices. Aucune maladie ne tombe au bon moment, celle du Président Abdelmadjid Tebboune, encore plus. Son absence du pays doublée de la pandémie entraîne un malvenu immobilisme, marque de fabrique de l'ancien régime. Le Président est rentré au pays la dernière semaine de 2020. Bien que je pense au film de Youcef Chahine, produit par l'Algérie, Le retour de l'enfant prodigue, celui du chef de l'Etat doit en être autrement, voire à l'opposé. Dans le long métrage tourné au bord du Nil en 1976, la dramaturgie du réalisateur s'axe autour de la désillusion. Or, dans le cas de l'Algérie, l'enjeu est l'espoir, celui d'une Algérie nouvelle annoncée et attendue. Maintenant qu'une nouvelle Constitution fixe les pouvoirs du Président, il peut les utiliser sans modération en ayant en tête l'un des conseils de Nicolas Machiavel publiés dans son ouvrage intemporel Le Prince. L'auteur florentin préconise un changement radical : tous et tout de suite. Tout au long d'une année d'exercice, certes troublée par la Covid-19, des erreurs de casting au sein de l'actuel gouvernement sont flagrantes. Sans parler de celles du Parlement, heureusement finissant. Au final, avec des nouvelles têtes au niveau de l'Exécutif et des têtes représentatives du Hirak, une synthèse constructive reste à portée de main. Le tout ne se fera pas en un jour mais, pour des raisons exogènes, une année est déjà perdue. Suite aux ravages du coronavirus, je pense à Joseph Schumpeter, concepteur de la «destruction créatrice», l'économie a besoin de purges pour se relancer mais pas uniquement l'économie. L'idée est transposée dans un domaine politique plus large par Jean-Jacques Servan Schreiber dans son livre Le défi mondial (1980), où il fait le lien entre les bombes atomiques lâchées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 avec l'exceptionnel essor économique du Japon, quelques années plus tard. L'argumentation de l'auteur, connu par ses initiales, JJSS, est bien construite. Pour le Président Tebboune, le défi est national, ensuite régional. D'Allemagne, dans son unique apparition, il avait annoncé son retour, presqu'à la façon de Terminator : «I will be back.» En effet, tant de chantiers sont à achever, quelques têtes au passage, vraisemblablement. Le Président est le seul capable de mener à bien cette mission car il est doté de pouvoirs constitutionnels. Il peut conduire à élaborer une synthèse novatrice à travers des négociations ou un dialogue mais avec des forces représentatives qui peuvent émerger suite à des forts gestes d'apaisement. Je ne crois pas à l'irréconciliable. Même au Venezuela, pays dévasté par la corruption et des ingérences étrangères et non des moindres, Donald Trump en tête, le Président Nicolas Maduro négocie souvent dans le secret avec son irréductible opposant Juan Gaido. Le premier est élu alors que le second est autoproclamé mais soutenu par les grandes puissances occidentales. S'ils veulent sauver leur pays, ils doivent aboutir à un accord pour mettre fin à cette guerre qui ne peut qu'enfanter deux vaincus. Sinon... Sur le plan régional, pour l'Algérie, la situation est encore plus dramatique. Notre pays est entouré de guerres froides, tièdes et chaudes. C'est beaucoup. L'issue est à la fois diplomatique et économique. La diplomatie algérienne a retrouvé ses couleurs. Pas l'économie. Une véritable relance de l'industrie appuyée par une agriculture florissante est un premier élément. Reste à savoir avec quels partenaires dans une économie mondialisée. La France ? Pas uniquement, le tissu industriel de ce pays ne représente que 10% de la valeur ajoutée. Sans oublier l'histoire complexe. La Russie ? Depuis la fin de l'Union soviétique, ce pays ne compte que 153 millions d'habitants, moins du double de la population allemande. Géographiquement, la Russie est un grand pays avec plus de 17 millions de kilomètres carrés mais dont 80% de la surface est gelée en permanence. Vladimir Poutine peut être considéré comme un allié militaire et diplomatique tant que ses intérêts sont préservés. Il est vrai qu'il lorgne le continent africain, la République Centrafricaine en est la preuve. Reste à savoir à quel prix l'Algérie peut faire de la Russie un partenaire stratégique, autrement que lui offrir des débouchés militaires commerciaux. Les deux pays sont producteurs de gaz et de pétrole, cela peut constituer une base surtout quand, un jour, les cours reprennent le chemin de la hausse. La Turquie est l'un des quatre pays avec qui l'Algérie a des accords exceptionnels de coopération. L'armée turque est considérée comme la quatrième armée au monde. Un rang maudit, déjà attribué à l'Irak de Saddam Hussein, ensuite à la Corée du Nord. Sans oublier que l'Arabie Saoudite dans certains classements est présentée comme la quatrième armée du monde mais seulement en quincailleries. Son enlisement au Yémen, drame humanitaire volontairement oublié, en est la preuve. Les ambitions néo-ottomanes d'Erdogan sont-elles un atout pour l'Algérie ? Pas toujours, car le maître d'Ankara veut être le chef de file des Frères musulmans. Par ailleurs, les intrusions turques en Libye ne sont pas forcément un élément de confort pour Alger. La Chine ? Premier partenaire économique de l'Algérie mais dont la volonté hégémonique sur l'Afrique peut ne pas être rassurante à long terme. La profondeur géopolitique de l'Algérie demeure le continent africain. Cependant, peu à peu, des membres de l'Union africaine reconnaissent Israël quand ils n'ouvrent pas des consulats à Laâyoune, les deux sont plus ou moins liés. Ils sont souverains, paraît-il, c'est donc leur droit. Après ce rapide tour d'horizon mondial, il apparaît que notre pays a tendance à être enclavé. On s'en doutait déjà. Alors s'impose une action diplomatique pour faire un panachage de partenariats et d'alliances en puisant dans la valeur ajoutée de certains de ces pays et en insistant sur les intérêts concomitants. Ce n'est pas facile, mais Alger en est capable. «Vous avez oublié les Etats-Unis», pourriez-vous me dire. Surtout que cette puissance a un nouveau président. Nouveau ? Pas tant que ça. Joe Biden était pendant huit années le vice-président de Barack Obama. Ce dernier, concernant notre région, n'a fait que prononcer un discours au Caire le 4 juin 2009. Avec des mots recherchés dont certains sont puisés du Coran, le premier Président noir de l'Amérique parle de nouveau départ (new beginning), il annonce la rupture avec la politique de George W. Bush. Deux années plus tard, le Printemps arabe enflamme la région et les implantations des colonies juives en Cisjordanie n'ont jamais cessé malgré ses injonctions déclamatoires. Mon propos n'est pas d'ignorer les Etats-Unis mais seulement de ne pas y accrocher trop d'espoir. Géographiquement et stratégiquement, le Sahara occidental est considéré par Washington comme sa façade maritime. Pour la capitale américaine, le roi du Maroc est un partenaire commode. Et encore plus maintenant qu'il a mis fin à une longue hypocrisie en normalisant ses relations avec Israël. Pendant deux jours, en juillet 1986, Hassan II a royalement reçu le Premier ministre israélien, Shimon Perez, dans sa résidence d'été à Ifrane, et sans parler des visites encore tenues secrètes. Bien entendu, Joe Biden ne sera président effectif que le 20 janvier prochain, faut-il lui accorder le bénéfice du doute et dénier du même coup l'une des grandes constantes de la politique étrangère américaine, démocrates et républicains confondus ? La réponse est dans la question. Je ne veux point donner à mon article une connotation pessimiste bien que mon titre fasse référence au film catastrophe Le jour d'après (2004) qui évoque un système de tempête qui gèle l'hémisphère nord de la planète. Je fais seulement un parallèle entre des ouragans glaciaux et le virus Covid. J'aurais pu intituler ma chronique «La fin de l'histoire» si le brillant auteur du livre Francis Fukuyama ne s'était pas trompé sur toute la ligne. Nous sommes encore très loin de la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme sur les autres idéologies politiques. Le libéralisme a montré ses limites avec la crise financière de 2008. L'idéologie islamiste tente de remplacer la communiste. La démocratie, pour sa part, est attendue, ici et là, comme le fut Godot dans la célèbre pièce de Samuel Beckett. Par ailleurs, il vaut mieux espérer que l'inverse. Une Algérie nouvelle ne peut émerger qu'après l'enterrement définitif de l'Algérie ancienne. Le mode d'emploi figure en grande partie dans une des pages du Prince. Les écrits de l'auteur florentin n'ont pas pris une ride, même quelques siècles plus tard. N. B. E. M. P.-S. : Bonne nouvelle année quand même.