Joe Biden, fragilisé par le retrait américain chaotique d'Afghanistan, mise sur le succès d'un gigantesque plan de réformes sociales pour rebondir, mais ses espoirs sont suspendus à la voix du sénateur démocrate modéré Joe Manchin, qui a répété dimanche son opposition, fustigeant une procédure précipitée. Après les commémorations solennelles du 20e anniversaire des attentats du 11-Septembre, la politique intérieure reprend ses droits cette semaine au Congrès avec les arbitrages attendus, mercredi, des différentes commissions parlementaires sur le grand projet social qui doit marquer la présidence Biden. Baptisé «Build Back Better» («Reconstruire en mieux»), il prévoit 3 500 milliards de dollars d'investissements sur dix ans pour «transformer» la société américaine: des maternelles gratuites, un meilleur accès à la santé, des investissements dans les logements publics, des régularisations d'immigrés, et la lutte contre le changement climatique. Compte tenu de l'opposition républicaine, les démocrates devront l'adopter avec leurs seules voix cet automne. Ils contrôlent le Congrès mais leur majorité est ténue au Sénat, avec 50 élus sur 100, et une seule voix démocrate peut faire tomber le grand projet de Joe Biden. Joe Manchin, partisan avec sa collègue centriste Kyrsten Sinema d'une enveloppe plus proche de 1 000 ou 1 500 milliards de dollars, dispose donc d'un moyen de pression extraordinaire pour obtenir des concessions. Le sénateur de Virginie occidentale, un des Etats les plus pauvres du pays et acquis à Donald Trump, a fait la tournée des émissions politiques télévisées dominicales pour marteler son message. «Je ne pourrai pas soutenir 3 500 milliards», a-t-il répété. «On n'a pas besoin de se précipiter et de le boucler en une semaine», a-t-il dit sur NBC, répondant au chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer ,qui a assuré vouloir avancer «sans ralentir» pour adopter le texte. «Prendre le temps» Joe Manchin a notamment cité une inflation «encore très forte et galopante qui a fait augmenter le prix de l'essence et des courses» des habitants de son Etat, une pandémie pas encore jugulée, le montant de la dette américaine, l'incertitude sur de futures crises internationales, sans oublier les fonds d'un précédent plan d'aide d'urgence économique de l'administration Biden qui n'ont pas encore été dépensés. «Nous avons approuvé 5 400 milliards de dollars depuis un an et demi, et beaucoup de cet argent reste encore à dépenser, personne ne sera abandonné cette année et pendant une grande partie de l'année prochaine», a-t-il ajouté sur ABC. «Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas prendre le temps, délibérer et travailler», s'est défendu le sénateur, assurant qu'il ne sera pas «le seul» à voter contre le texte s'il n'est pas amendé. Son opposition a provoqué la colère des élus démocrates les plus à gauche comme Alexandria Ocasio-Cortez, qui l'a accusé d'être proche des grands groupes pétroliers et des partisans des énergies fossiles. Pour faire plier Joe Manchin, plusieurs élus démocrates ont menacé de bloquer un autre grand projet censé marquer le mandat de M. Biden, qui prévoit des investissements massifs pour moderniser les infrastructures, actuellement en discussion à la Chambre des représentants. Le texte a déjà été adopté au Sénat grâce aux voix de 19 élus républicains après d'intenses tractations menées par Kyrsten Sinema. «S'ils jouent un jeu politique avec les besoins de l'Amérique, je peux vous dire que l'Amérique va reculer», a répondu Joe Manchin sur CNN. Le sénateur indépendant progressiste Bernie Sanders a au contraire assuré, dimanche, qu'il soutenait cette stratégie de blocage, fustigeant en retour la pression «pas du tout acceptable» mise par Joe Manchin. Les deux projets de loi sont intrinsèquement liés depuis le début des discussions au Congrès et «ce serait terrible pour les Américains si les deux textes échouaient», a-t-il insisté sur CNN.