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Heureux les martyrs qui n'ont rien vu de M. A. Bessaoud réédité
Le maquis démystifié !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 11 - 2014

Réédité récemment chez les Editions Koukou, le livre-témoignage de Mohand Arab Bessaoud Heureux les martyrs qui n'ont rien vu dont la première édition remonte à 1963, offre un éclairage saisissant sur une partie de la vie de maquis durant la guerre de Libération nationale et sur les origines de l'autoritarisme dans l'Algérie indépendante.
Au lendemain de l'indépendance, ce livre a eu l'effet d'une bombe. Et pour cause, sous le règne d'une idéologie dominante sacralisant la Révolution algérienne et ses dirigeants, notamment ceux qui ont accaparé le pouvoir après la libération, Mohand Aârab Bessaoud publie un brûlot tonitruant où il décrit un maquis en proie aux divisions, à l'autoritarisme de certains chefs et aux trahisons.
Décidé à dévoiler, sans autocensure ni langue de bois, ce dont il a été un témoin direct depuis qu'il a rejoint la lutte armée, l'auteur retient l'attention dès les premières lignes tant son style est à la fois limpide et percutant tandis que les révélations sont souvent ahurissantes.
Outré par l'orientation prise par l'Algérie indépendante sous la houlette de ses nouveaux maîtres avides de pouvoir, convaincu que la Révolution a été trahie et souillée, M. A. Bessaoud dresse un réquisitoire sans ambiguïté où il raconte des aspects insoupçonnés de la vie de maquis, la voracité et l'injustice qui régnaient parmi les dirigeants de l'époque, les intrigues et les coups fourrés, les traitements inhumains subis par des milliers de djounoud de la part de leurs hiérarchies, etc.
Il commence néanmoins par la remise en cause virulente de l'idéologie arabiste qui a prévalu pendant la guerre et au lendemain de l'indépendance. Le futur fondateur de l'Académie berbère (1966) fustige le déni identitaire et rappelle, à juste titre, que la berbérité n'a jamais été synonyme de division : «N'entendez pas par là que je cherche à ressusciter la vieille querelle berbéro-arabe, si savamment entretenue par la France. Je le voudrais, d'ailleurs, que je ne le pourrais pas car les Kabyles sont si sensibles à l'unité de l'Algérie qu'ils vomiraient celui des leurs qui voudrait y attenter» (P. 17).
L'auteur va plus loin en proposant une alternative à la fameuse République arabe unie, chère à Abdennasser et à son vassal Ben Bella, qui serait l'URSI (Union des Républiques socialistes islamiques) !
Car contrairement au mythe que beaucoup érigent autour de M. A. Bessaoud, sa réflexion aussi subversive fût-elle à l'époque n'a jamais remis en cause le socle religieux dont la sacralité, pourtant étroitement liée à celle de la langue arabe, ne semble pas le gêner et dont il n'a pas pu (ou pas voulu) souligner le dangereux exclusivisme qui sévit en Algérie jusqu'à nos jours.
Wilayas III et IV : de pire en pis !
Par ailleurs, l'auteur va jeter son dévolu tout au long des 125 pages sur les «4 B» : Boussouf, Boumediene, Belkacem et Bentobal. Son récit commence en 1957, lorsque Bessaoud fut affecté à sa demande à la Wilaya IV, fuyant une Wilaya III qui, selon lui, «croulait sous le règne de l'imbécillité et de l'impéritie, toutes deux rehaussées par des grades et des médailles» et qui, sous la houlette de Krim Belkacem était «figée, sclérosée dans sa forme première» à telle enseigne que «les vrais révolutionnaires, écartés des responsabilités, souffraient le martyre» (P. 30).
Une Wilaya devenue le théâtre d'abus de pouvoir, de paresse et de déni de compétence dont l'auteur raconte plusieurs faits marquants à l'instar du discours diviseur entretenu par ses commissaires politiques à l'égard de certains villages.
Des djounoud traités en esclaves !
En arrivant à la Wilaya IV qui jouissait d'une bien meilleure réputation, Bessaoud espère donc retrouver le véritable esprit de la Révolution, mais il ne tardera pas à déchanter en constatant les innombrables excès des chefs, la désorganisation et le clanisme entretenu. Il témoigne de situations assez écœurantes comme ce chef de zone qui traite ses soldats comme des esclaves, ou encore le manque d'eau et de nourriture, la négligence systématique des soins médicaux de première nécessité, etc.
L'auteur s'installera ensuite à Oujda, dont il livre un témoignage effarant sur le tandem Boussouf-Boumediene et leurs sous-fifres.
En effet, au fil des «anecdotes» et des abus dont l'auteur dit avoir été témoin, le lecteur pourrait très vite conclure que l'indépendance de l'Algérie fut tout simplement un miracle au vu des dissensions, de l'incompétence et des pratiques antipatriotiques qui pullulaient dans cette région mais aussi dans d'autres Wilayas.
Bessaoud décrit des responsables de l'ALN, la gâchette facile, se menaçant armes au poing, un Boumediene «provoquant les combattants à la bagarre quand il ne les giflait pas», un Boussouf qui aimait à dire (et à prendre pour exemple) : «Hitler et Franco s'entouraient d'hommes à eux», un colonel qui donnait sa main à baiser, une récession volontaire des médicaments pour les soldats blessés des Wilayas de l'intérieur, etc.
Bessaoud explique donc que tous ces abus et bien d'autres l'ont poussé, avec d'autres «officiers intègres» de l'ALN, à ourdir un plan pour la liquidation physique de Boussouf ; ce qui sera appelé «Le complot des officiers» dont l'échec les conduira à faire signer une pétition à nombre de militaires et d'intellectuels algériens résidant au Maroc où ils dénoncent les dérives du fondateur du MALG et réclament une enquête... Une enquête interne sera effectivement ouverte, non pas contre Boussouf, mais contre les rédacteurs de la pétition ; elle sera menée par Lakhdar Bentobal dont l'auteur affirme qu'il recourait souvent à la torture. Heureux les martyrs qui n'ont rien vu qui fut interdit en 1963 par le régime de Ben Bella, remet également en cause les versions officielles de la mort de Abane Ramdane et du colonel Amirouche.
Concernant ce dernier, Bessaoud ne tranche pas, mais il est le premier à soumettre au lecteur les éléments troublants (les codes radio utilisés) qui ont conduit à l'assassinat du chef de la Wilaya III et qui tendent à démontrer que Boumediene et Boussouf n'y sont pas étrangers !
Le livre est passionnant à plus d'un titre : il constitue un témoignage direct, souple, non démagogue, se permettant même parfois des échappées humoristiques. 51 ans après sa publication, l'ouvrage n'a pas pris une seule ride et son style pamphlétaire, parfois féroce, ne manquera pas de séduire les férus d'histoire, notamment ceux que le langage démagogique et auto-glorificateur de la plupart des témoins actuels, rebute au plus haut point !
Sarah Haidar
Heureux les martyrs qui n'ont rien vu de M. A. Bessaoud. Editions Koukou, 2014. 125 Pages. Prix public : 500 DA.


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