[email protected] Couvée par l'église du Sacré-Cœur, en plein centre d'Alger, la petite bibliothèque de la basilique attire encore les férus de la lecture. Des livres recouverts de feuilles en plastique ornent les rayonnages en bois. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les âges. L'odeur des vieux ouvrages éveillent en nous les souvenirs lointains des bibliothèques des écoles, où les écoliers humaient l'odeur du vieux papier, fiers et heureux de caresser les pages d'un roman de la Bibliothèque verte. Ils avaient hâte de retrouver leurs héros, qui les berçaient dans leurs rêves et fructifiaient leur imaginaire. Une salle tenue par des sœurs volontaires qui n'ont plus toute leur jeunesse, mais qui demeurent fidèles au rendez-vous hebdomadaire. Elles retrouvent tous les mardis leur siège, et, avenantes, accueillent leurs fidèles lecteurs. L'une assise derrière un ancien bureau se charge de la caisse. Le prêt coûte la symbolique somme de 20 DA pour les adultes et 15 pour les enfants. Un chauffage à gaz butane réchauffe les vieux os de notre préposée. Cette volontaire de 70 ans remplace depuis peu sa prédécesseur, âgée de 90 ans. «Fatiguée, elle est retournée en France, mais son cœur est resté en Algérie où elle a passé pratiquement toute sa vie.» La nouvelle n'en pense pas moins, tout comme sa collègue. Elles aussi ont choisi de rester dans le pays où elles ne se sont jamais senties étrangères. La comptabilité n'est pas le fort de notre septuagénaire, mais elle fait toujours vérifier la monnaie par les abonnés. Ces derniers, comme chaque mardi, bien qu'ils ne se bousculent pas au portillon, traversent le portique, des livres à la main. Ils ont droit à trois. Une jeune fille, très fashion, les salue. C'est une habituée des lieux. On demande des nouvelles de sa tante et comment s'est déroulé son dernier examen. Notre étudiante est justement stressée par celui qu'elle doit passer samedi. Elle a déniché Léon l'Africain de Amin Maalouf, et la joie de vivre d'Emile Zola. «Zola m'a tellement fasciné que je le lirai pour la seconde fois. Ils vont tous les deux me tenir compagnie ce week-end, et surtout m'apaiser et me relaxer avant l'examen.» Pour ce retraité, au corps longiligne, au visage émacié, venir de Bab-El-oued, à pied, explorer la caverne pour se ressourcer est un rituel. Il passe des denses rayonnages autobiographiques aux classiques. Aujourd'hui, déçu, il ne trouvera pas le Tolstoï qu'il cherchait. La petite Maya, âgée de 9 ans, a trouvé son bonheur après une fouille minutieuse. Hésitant entre deux titres, elle finit par serrer contre sa poitrine Cosette.Du rayonnage opposé, notre sœur presse le pas en s'adressant à un nouvel abonné : «Regardez cet ouvrage : un véritable trésor, je viens de le découvrir, je vais de ce pas le poser sur le présentoir. Vous voyez, il n'a jamais été consulté !» Elle déposera délicatement cette masse de papier jauni en évidence, avant de s'occuper d'un autre lecteur.