Un épisode de ma vie d'enfant a occupé, jusqu'à très récemment, une place très importante dans ma vie : l'amitié de mon fidèle compagnon, Rex. Je m'en rappelle comme si cela datait d'hier. Je suis né un 26 novembre 1964 à Tissemsilt. Eh oui ! Juste deux ans après l'indépendance. Issu d'une famille nombreuse et très modeste, mon père, paix à son âme, était marchand de légumes malgré son certificat de fin d'études décroché durant la période coloniale. Il était excellent en langue française. Et c'est de lui que je tiens l'essentiel des notions de base de cette langue, à côté bien sûr de mon excellent niveau en langue arabe. Ma mère, quant à elle, illettrée, était femme au foyer et s'occupait avec beaucoup d'adresse et de tendresse de ses six fils et ses cinq filles. A Tissemsilt, un petit patelin à 250 km au sud-ouest de la capitale où j'ai passé toute mon enfance, comme tous les enfants de cette époque, nous n'avions pas beaucoup de moyaens de distraction. Mon seul loisir c'était mon chien Rex. Je passais une bonne partie de la journée avec lui, nous nous éloignions du lieu de notre habitation mais je me sentais en sécurité. Rex connaissait tous les membres de ma grande famille et avait une façon très particulière de les accueillir. En effet, dès qu'il voyait mon père ou un de mes frères ou sœurs, il agitait fortement la queue. Il lui arrivait même d'en reconnaître quelques-uns. C'était le cas de ma tante qui venait pour la première fois d'Oran nous rendre visite dans notre nouvelle maison. Elle ne connaissait pas très bien le chemin, eh bien il l'avait conduite tout droit à la porte d'entrée et à l'aide de ses pattes frappa à la porte. Malheureusement, Rex ne faisait pas l'unanimité à la maison, et ce, à cause de l'exiguïté de notre maisonnée ; deux chambres, une cuisine, une petite cour et une salle de bains plutôt restreinte, il est évident que dans ce réduit il était de trop et surtout, il prenait beaucoup de place ! De plus, il fallait l'entretenir. Pour ma mère et mon père il constituait une bouche supplémentaire à nourrir dont ils pouvaient se passer, mais ils savaient qu'ils allaient faire beaucoup de chagrin à leur petit bout de chou Rabah qui s'attachait de plus en plus à son Rex. Mais ce n'était pas de gaîté de cœur qu'un jour ils prirent la décision de s'en séparer. Ainsi, ils prirent leur courage à deux mains et arrivèrent à me convaincre de donner Rex à ma tante qui habitait la campagne. «Ne t'inquiète pas, tu verras, il sera heureux là-bas et ils prendront bien soin de lui», me disaient-ils, «et en plus tu pourras lui rendre visite quand tu voudras». Il m'était difficile d'imaginer ma vie sans mon chien. Je ne cessais de penser à l'idée de me séparer de lui. C'était un mardi, jour du marché hebdomadaire. Une fois leur marchandise écoulée, mes cousins attachèrent Rex à l'arrière de leur charrette et l'emmenèrent avec eux à la campagne. Journée très triste pour moi, je n'arrêtais pas de penser à ce qu'il faisait, comment il a été accueilli... A-t-il accepté facilement son nouvel environnement ? Toutes ces questions me taraudaient l'esprit. J'ai passé une nuit très agitée et au fond de moi, je reprochais à mes parents de m'avoir privé de mon chien, mais je n'osais pas le leur avouer. Un jour, alors qu'on était tous dans la cour de la maison, on entendit des coups de pattes à la porte. En l'ouvrant, quelle fut grande notre surprise en découvrant que c'était Rex ! Eh oui ! Il a parcouru des kilomètres pour retrouver son ami. J'étais aux anges et j'ai senti que tous les membres de la famille étaient heureux de le revoir. Je lui ai vite reconstruit sa niche au coin de la cour et juré de ne plus m'en séparer. En rentrant, mon père était lui aussi content de le revoir. A cet instant, je me suis rendu compte qu'en fait tout le monde aimait mon Rex mais ils le cachaient bien, et moi qui pensais être le seul à l'affectionner ! A l'école, quand notre instituteur de français nous demandait de décrire un animal, je n'hésitais pas un moment à écrire des phrases et des phrases sur Rex à tel point qu'il me félicitait durant la séance du compte rendu de l'expression écrite, et voulait que je lise à haute voix mon paragraphe. Je le décrivais comme si c'était un être humain à part entière ! Les souvenirs de mon chien Rex sont en moi, toujours vivants et je n'ai juste qu'à fermer les yeux pour qu'ils m'envahissent et soudain m'assaillent et fassent renaître des images, des visages, des sensations, des odeurs... Un jour, il tomba malade et malgré toutes mes tentatives pour le guérir il succomba à la maladie. Je n'oublierai jamais le souvenir douloureux de sa disparition que je considère toujours comme étant le jour le plus triste de mon enfance. Ce jour-là, je me suis absenté de l'école et je n'ai rien mangé de toute la journée. N'étaient les consolations de ma tendre mère, je pense que je n'aurais jamais pu surmonter cette dure épreuve. Et depuis, j'ai juré de ne plus adopter un animal car j'ai senti les affres de la séparation... Cela ne veut absolument pas dire que je n'aime plus les animaux, au contraire j'ai toujours un faible pour eux. Hélas, le plus grand malheur dans le monde c'est d'aimer de tout cœur un être cher et le perdre brutalement. La mort nous rappelle à chaque instant qu'elle est toujours là et qu'elle peut frapper à tout moment.