[email protected] Elle le regardait en buvant ses paroles. A vingt ans il croque la vie à pleines dents. Il se confie à cette adolescente juste un peu moins âgée que lui, lui raconte les souvenirs de sa plus tendre enfance, cette maman qui l'a quitté alors qu'il n'avait que trois ans. Ryma le fixa et ses yeux s'embuèrent. - J'étais au CEM, en deuxième année, j'avais 13 ans quand on m'expliqua qu'elle est morte d'un cancer du sein, elle avait 23 ans. Ma grand-mère pour ne pas me perturber ne voulait pas parler de ça avant. Elle estimait que j'étais trop jeune pour comprendre. Et c'est cette même année que j'ai quitté l'école. - Mais tu étais trop jeune... - C'est à cause de la maîtresse d'arabe. Il faut dire que j'étais un garçon plutôt rebelle. Je détestais transporter ces tonnes de cahiers dans mon cartable. Alors, de mon propre chef, j'ai acheté un gros cahier où j'écrivais toutes mes leçons. En tout cas il était très bien tenu, et j'arrivais à suivre comme le reste de mes camarades. D'ailleurs j'étais bon élève. Mais un jour l'enseignante passa dans les rangs pour vérifier les cahiers, elle m'a alors demandé de sortir celui de la grammaire, je lui ai montré mon fameux registre. Là, elle a piqué sa crise. Pourtant toutes les leçons y étaient. J'ai eu beau lui expliquer que l'essentiel, c'est que j'étais à jour ; elle ne voulait rien entendre. Il fallait faire comme tout le monde. Elle m'a insulté en criant que ma mère ne m'a pas bien élevé. Mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai pris alors une chaise et je l'ai jetée sur elle. Je suis sorti de la classe et j'ai avisé le directeur de ce qui s'est passé. Depuis, j'ai juré de ne plus jamais remettre les pieds dans une école. - Je te comprends, cela devait être douloureux pour toi. - Oui, une douleur qui ne s'effacera jamais. - Et ton père comment a-t-il réagi ? - Mon père vit à l'étranger. Il ne s'est jamais remis de sa mort. Un an après le décès de ma mère, il a quitté le pays. Il vit seul. Je le vois deux fois par an. Financièrement je ne manque de rien. C'est ma grand-mère qui s'est très bien occupée de moi, elle m'a donné beaucoup d'amour. On s'adore. Mais ma maman me manque. - Et comment tu as fait pour tes études ? - J'ai pris des cours par correspondance, et c'est moi seul qui l'ai décidé. J'ai compris qu'on pouvait s'instruire sans avoir à supporter et à subir les bourreaux qui nous servent de professeurs. J'ai passé tous mes examens avec succès, je viens de décrocher mon bac avec mention, je pars bientôt rejoindre mon père pour poursuivre mes études en électronique. Tu ne peux imaginer à quel point j'aurais aimé que ma mère soit là, elle aurait été fière de moi. En fait, à chaque heureux évènement je ressens toujours au fond de moi comme une amertume ; comme ma grand-mère d'ailleurs, qui me répète chaque fois : «Si ma fille chérie était encore parmi nous, elle serait la maman la plus heureuse au monde.»