Dahmane était l'aîné d'une famille très nombreuse et équilibrée. Il passa une enfance des plus joyeuses. En effet, leur regretté papa gagnait bien sa vie et ne les privait de rien. Mais pour Dahmane, les beaux jours étaient comptés. Lycéen, il était parmi les rares jeunes de son époque à avoir son permis de conduire et il conduisait même la R16 de son père. En séance de sport, il avait toujours le plus beau survêtement et des Adidas dernier cri. Il n'avait jamais manqué de rien, ce qui attisait la jalousie de ses camarades de classe. Dahmane décrocha avec brio son baccalauréat série lettres et s'inscrit à l'institut de droit d'Oran, mais il dut interrompre dès sa première année, n'ayant pas pu s'adapter à la vie estudiantine, lui qui était gâté et choyé par sa famille. Il revint à Tissemsilt où il obtint un poste d'enseignant de lettres françaises dans un petit village pas loin de sa ville natale. Il était très apprécié de ses supérieurs. Ponctuel, assidu, appliqué, studieux, laborieux, perspicace, opiniâtre et surtout très élégant. Il avait toutes les qualités d'un vrai gentleman. Il créait beaucoup d'ambiance dans la salle des professeurs et avait toujours une nouvelle blague à raconter. Dès qu'il y avait un éclat de rires dans la salle ou dans le couloir du bloc pédagogique, c'était sans aucun doute Dahmane qui racontait sa dernière. Grâce à son sérieux et son amour pour son métier, il fut titularisé, se maria et eut quatre adorables filles qu'il choyait. Il les gâtait énormément et ne leur refusait rien. Il les emmenait là où elles désiraient : campagne, montagne, stations thermales et surtout la plage. Même ses élèves l'aimaient beaucoup et adoraient ses cours. Quand il commençait sa leçon, ils voulaient qu'il n'arrête point sa phonétique qui résonnait comme une belle chanson. Jusqu'au jour où il ressentit une douleur à la gorge. En effet, et selon ses dires, de son vivant, il avait ressenti cette douleur lors d'une excursion scolaire, que leur établissement avait organisée, lorsqu'ils se sont arrêtés pour se désaltérer au niveau d'une source naturelle. Il pensait que ça allait lui passer comme d'habitude. Eh oui, les angines ! Il en a eu à chaque coup de froid. Mais cette fois-ci la douleur s'intensifiait malgré tous les traitements qu'il suivait. Il dut prendre un congé de maladie pour consulter des spécialistes. Ces derniers lui prescrirent des analyses... et la machine médicale s'est mise en marche. Des radiographies, des échographies et des scanners s'enchaînèrent. Malheureusement, c'était une tumeur maligne qu'il fallait enlever au plus vite. La nouvelle tomba comme un couperet sur lui, sa famille, ses amis et surtout ses deux collègues de français, Boualem et Amrane. Ces derniers n'en croyaient pas leurs oreilles et ne voulaient pas imaginer un seul instant la salle des professeurs sans l'ambiance de Dahmane ! Commença alors le parcours du combattant avec les séances de chimiothérapie. Des va-et-vient incessants entre Blida et Tissemsilt, c'était soit l'un de ses frères ou son beau-frère Slimane qui faisait des pieds et des mains pour décrocher un rendez-vous. Et malgré tous les traitements et soins prodigués, la tumeur ne cessait de grossir et apparaissait sur sa gorge comme une sangsue qui ne voulait pas le lâcher. Tous ceux qui lui ont rendu visite ont remarqué et senti qu'il tenait à la vie et s'y accrochait de toutes ses forces, de la même façon qu'un escaladeur s'accroche aux prises de la paroi pour ne pas tomber. Il souffrait le martyre et son entourage avec lui, surtout sa mère, sa femme et ses filles... Il maigrissait de jour en jour au point où on ne remarquait que ses yeux et cette grosse créature autour de son cou qui l'étranglait. Elle finit par le terrasser le 15 mars de l'année dernière. La nouvelle de sa mort se répandit dans toute la ville de Tissemsilt et à Ouled Bessem, le village où il travaillait, telle une traînée de poudre. Et comme un malheur ne vient jamais seul, sa sœur aînée succomba elle aussi au même mal quelques mois seulement après lui.