A la diff�rence des caricatures offensantes de l'ann�e derni�re, la r�action a �t� quasi imm�diate. C'est que la machine de l'indignation est d�sormais rod�e. Des Fr�res musulmans d'Egypte aux baathistes du Y�men, c'est l'unanimisme. Les musulmans d'aujourd'hui ne cherchent plus l'�l�vation spirituelle, ils vivent en �tat d'alerte permanente. Ils chassent le moindre glissement s�mantique, la plus petite atteinte � leur v�rit� historique. Ils sont les Nemrod des d�rapages verbaux, comme les d�clarations du pape Beno�t XVI. Les musulmans ont le doigt sur la d�tente des armes de l'indignation, de la col�re et du ressentiment. Aujourd'hui, au moindre signal, la protestation s'organise et se transforme, pourquoi pas, en actes de repr�sailles. Le pape, c'est combien de divisions ?, disait Staline pour tourner en d�rision la suppos�e puissance du Vatican. Avec quelques phrases bien senties, dont certaines proviennent du fond des �ges de l'Islam, ce pape-l� vient de d�montrer la puissance du verbe. Rendez-vous compte m�me le roi notre voisin incapable tout comme nous de secouer le cocotier, trouve le temps d'�tre choqu�. Il rappelle son ambassadeur au Vatican en signe de protestation contre les d�clarations du pape Beno�t XVI. Apr�s tout, il est dans son r�le de "Commandeur des croyants" m�me si la foi populaire vacille aussi au Maroc sous l'effet des vents d'est. C'est une v�ritable temp�te qui s'est empar�e de la "Oumma" arabe et islamique. Les islamistes, les baathistes, les nass�riens et les mine de rien, tous unis, brandissent l'�tendard de la r�volte. Nos chers petits anges, tax�s h�tivement de terroristes, se proposent comme instruments de notre vengeance. Ils menacent d'attaquer Rome et le Vatican et nous sommes tout dispos�s � les croire. Dans ce climat de fureur et de grondements collectifs, il est difficile de faire entendre la voix de la raison. Ayant abdiqu� depuis longtemps toute tentation de scruter le fond de nos probl�mes, il est normal que nous ne supportions plus le regard des autres. Surtout s'il est d�pourvu d'am�nit�. Surtout s'il provient du pape de la chr�tient� dont l'opinion sur l'Islam nous tient tant � c�ur. Bien que le Beno�t XVI n'ait jamais eu la r�putation d'�tre un fervent admirateur de l'Islam, l'universelle na�vet� musulmane croyait � sa prochaine conversion. Au lieu de cela, il nous poignarde dans le dos en affirmant que nous sommes devenus musulmans avec un couteau sur la gorge. Pourtant, � y regarder de pr�s, Beno�t XVI n'apporte rien de neuf en affirmant que l'Islam s'est propag� par l'�p�e. En dehors de quelques exalt�s friands de mythes, tous les historiens l'ont �crit et, parmi eux, des Arabes et des musulmans. Il ne fait que r�p�ter aussi ce qui se dit en Islam � propos du djihad. Quant aux commentaires et citations emprunt�es, il en existe tout un floril�ge dans la culture occidentale. Attendre du pape qu'il dise du bien de l'Islam, c'est comme demander � Karadhaoui de chanter les louanges de l'Eglise adventiste. Encore que� C'est un peu l'id�e que d�fend, en solitaire, l'imam de la Porte-d'Aix � Marseille, Mohand Alili. Certes, cet imam n'aura jamais la faveur des cha�nes satellitaires arabes mais il aura au moins le m�rite d'aller � contre-courant du discours dominant. "Ce sont les musulmans qui ont la t�te � l'envers" en pensant que le pape va glorifier l'Islam, dit-il. Beno�t XVI "d�fend ce qu'il est" et c'est aux musulmans de dire : "Voil� ce que nous sommes." "Je ne vois pas pourquoi les musulmans s'en prennent au pape au lieu de s'en prendre aux leurs", � ceux "qui ont d�cr�dibilis� l'islam", a encore not� Mohand Alili. "Je ne vois pas pourquoi je vais m'emporter contre le pape." Plus incisif, l'�crivain irakien Hani Nakchabandi signe dans le magazine Elaph ce point de vue dont nous extrayons l'essentiel : " Assur�ment, le pape a commis une erreur mais est-il le seul � �tre tomb� dans l'erreur avec ses d�clarations contre l'Islam et les musulmans? Je dis non ! Nous commettons tous les jours mille fois plus d'erreurs que lui. Dans chaque pr�che du vendredi, nous insultons les p�res des p�res des chr�tiens et les a�eux des a�eux des juifs. Dans chaque pr�che du vendredi, nous demandons � Dieu de les d�truire, de faire de leurs �pouses des veuves et de leurs enfants des orphelins. Dans toutes nos �coles, nous apprenons � nos �coliers que les chr�tiens sont impurs et vou�s � l'enfer. Dans chaque foyer nous apprenons � nos enfants qu'ils sont notre ennemi principal, que nous devons les tuer ou �tre tu�s. Nous interdisons m�me d'invoquer le salut pour leurs d�funts m�me s'ils ont �t� des hommes de bien et utiles � l'humanit� Oui, le pape du Vatican s'est tromp� mais comme lui nous nous sommes tromp�s et plus encore. Le mufti d'Al- Azhar, le mufti de Palestine, les th�ologiens de l'Arabie saoudite et du monde islamique, en g�n�ral, o� en sont-ils de la g�n�rosit� de l'Islam qui pr�che le bien et interdit de porter atteinte aux autres m�me en paroles ? Pourquoi ont-ils gard� le silence devant nos propos sur les chr�tiens et ont-ils boug� lorsque le pape a �voqu� la personne du Noble Proph�te ? M�me si les d�clarations ult�rieures du Vatican ne sont qu'un semblant d'excuse, elles comportent, dans le pire des cas, une reconnaissance de l'ampleur de l'erreur commise. Mais je n'ai pas entendu une seule fois de la bouche d'un mufti ou d'un cheikh musulman des mots pour dire que les injures et les anath�mes lanc�s contre les chr�tiens n'�taient pas permis et s'opposaient � la tol�rance de l'Islam. Je n'ai pas entendu un seul imam dire que ces comportements �taient erron�s. Et pr�cher avant tout � nos enfants et � nos �coliers l'amour du prochain. Oui, le pape s'est tromp�, il s'est lourdement tromp�. Mais nous nous sommes tromp�s comme lui et nous continuons � pers�v�rer dans l'erreur tous les vendredis, et m�me tous les jours." Dans le m�me esprit, la Tunisienne Raja Benslama invite les musulmans � se r�former et � offrir une autre image d'eux-m�mes. "Nous voyons, dit-elle, les musulmans pleurer sur les atteintes � l'image de l'Islam et des musulmans. Comme si cette image n'�tait pas conforme � l'original. Ils d�plorent la mont�e de l'islamophobie comme si l'Islam, tel que nous le vivons aujourd'hui, �tait indemne de toutes phobies. Phobie des femmes et des faibles, phobie des gens qui prient et pensent diff�remment. Viennent ensuite les cris de ceux qui ont impos� leur tutelle � l'Islam, enturbann�s ou non. Ils prennent les devants et r�p�tent � l'envi que l'Islam est la religion de l'amour, de la tol�rance, de l'�galit� et de la raison. Ils exigent de quiconque veut parler de l'Islam qu'il soit musulman comme eux, qu'il appuie leurs opinions sur l'Islam. Sinon qu'il s'excuse. Sinon malheur � lui !" "Les plumes se sont ass�ch�es � force de r�clamer la lib�ration de la femme musulmane, depuis plus d'un si�cle, note encore l'universitaire tunisienne. Les voix se sont enrou�es � demander l'ouverture des portes de l'"ijtihad", l'abandon des ch�timents corporels humiliants, la renonciation � condamner l'apostasie et la reconnaissance de la citoyennet� pour les minorit�s religieuses." "Nous sommes lass�s des discours sur la r�forme et des repl�trages, lass�s des ruses des th�ologiens. Sans doute est-il temps de lancer un appel � reprendre l'Islam aux th�ologiens de la "Charia" et � lib�rer l'Islam lui-m�me de la "Charia". Lib�rer l'Islam des arsenaux d'une th�ologie ancienne et des d�lires des nouveaux th�ologiens", conclut Raja Benslama.