Il vivrait à l'étranger depuis longtemps, du moins c'est ce qu'il laissait entendre dans un texte insipide relayé récemment par les réseaux sociaux. Dans ce texte, il est question de «l'incroyable histoire d'un Algérien qui voulait prendre une bière à Alger». Il y raconte les pérégrinations nostalgiques de quelqu'un qui a vécu sa ville à ses heures de gloire. Dans ses lignes et entre elles, on y trouve plus d'aigreur narcissique que de nostalgie, mais ce n'est pas ça le plus important. En poussant un peu dans la condescendance, si ce n'est dans la complaisance naturelle de l'Algérien envers ses compatriotes exilés sous un autre pan de ciel, on pourrait comprendre, voire pardonner ses états d'âme. Surtout que dans ses déclamations, péremptoires quand elles ne sont pas sentencieuses, on retrouve bien quelques vérités doublées d'authentiques repères - géographiques - de lieux qui furent jadis des espaces de référence, depuis longtemps désertés par la vie. Oui, La Brasserie des facultés, qu'on appelait affectueusement «La Brass» n'est plus que l'ersatz de ce qu'elle a été. Elle est même devenue son contraire. Devenue restaurant guindé et sans âme aux mains d'un tiroir-caisse incapable de sourire même sous la torture, elle est à l'image d'une capitale en décomposition organique. Mais à côté de quelques vérités et repères géographiques, il y a trop de mensonges dans ce texte pour ne pas s'y arrêter. Non, aucun serveur méchant n'a demandé à notre exilé s'il était là pour boire un verre. Tout simplement parce qu'ici on ne prend plus de verre depuis longtemps, on mange. Non, La Brasserie des facultés n'est plus «Le Flore» de Paris comme il le dit, mais les nappes ne sont pas sales. Même si l'endroit est déserté par la vie, il reste un restaurant fréquentable comme il y en a des dizaines à Alger. Oui, le «Marhaba» de la rue Charras n'existe plus, mais notre nostalgique dit des énormités quand il raconte d'autres endroits qui n'existent que dans sa boîte à aigreurs. Aucun bar à porte blindée gardée par une armoire à glace n'existe à la rue Hoche. Et «la pute aux dents métalliques derrière le comptoir» sort tout droit d'une usine à clichés manifestement toujours prospère chez notre pérégrin d'une soirée algéroise. Et peut-être bien que la fin de cette «histoire incroyable» aurait dû être son début. Parce qu'à la fin - ou au début, c'est comme vous voulez - le bonhomme raconte qu'en définitive, il ne voulait pas de bière. Et il l'a fait savoir à la serveuse aux dents argentées qui s'apprêtait à lui en ouvrir une : «Donnez- moi plutôt de l'eau et un tapis de prière», lui a-t-il dit dans le bar à porte blindée gardée par une armoire à glace. Ce n'était que ça ? Il fallait le dire, mon vieux ! Finalement, le mensonge n'est pas ce qu'il y avait de plus grave dans «l'affaire». Et la condescendance serait complicité. On peut être nostalgique d'une cité perdue, c'est même une forme apaisée d'indignation. Pour cela, il ne faut pas mentir. Ou pire : suggérer le… pire. Même dans la résignation. Slimane Laouari