C'est à partir de 1952, avec la parution de La Grande Maison, qu'il sera propulsé sur le devant de la scène. S'envoler dans les bras de l'arbre, rêver d'un pays lointain, le vent, la musique qu'on ne pourrait pas dire. Peut-être une lumière ? C'est peut-être ça. C'est ce que nous inspire l'un de ses derniers romans, intitulé L'Infante maure. Les romans de Mohammed Dib sont pleins de sève d'une Algérie profonde qu'on cherche. C'est la lumière, l'arbre, le miroir, la figue, l'olivier et le désert. C'est un roman de l'exil et de la solitude… Un monde qui chavire et nous tient prisonnier. Mais «il n'y a pas de plaisir sans folie, sans vertige», c'est le monde de Lyyli Belle. Le roman commence par : «C'est aujourd'hui dimanche. Comment je le sais ? Tout a l'air d'être en congé ; la maison et nous, et les choses.» La petite Lyyli Belle issue d'une mère européenne et d'un père maghrébin recrée son monde. Perchée sur un arbre de son jardin, elle voit se dessiner sous ses yeux, ou plutôt elle voit deux mondes contradictoires qu'elle n'a pas faits et qu'elle ne peut défaire… elle en est le résultat. Un univers magique fait de chants d'oiseaux matinaux, de sons de cloches, de halètements de locomotives et de vagues de rêves. L'arbre ! Celui qui fait la forêt, qui donne l'ombre et le symbole identitaire. Il s'est inspiré du peuple algérien et de sa ville natale Tlemcen C'est là où se cache Lyyli Belle, mi-Européenne, mi-Maghrébine, et qui se pose tant de questions quand elle découvre que sa mère est blonde alors qu'elle est brune. «Qu'elle y aille à cette ville, mais seule. Elle sera la lumière et papa l'ombre qu'elle projettera loin, loin.» Mais les arbres de Lyyli Belle sont là, ce n'est pas comme la neige et le froid. Eux, les arbres, ils se rappellent, ce n'est pas comme le vent qui passe entre les feuilles et ne réussit pas à entrer dans l'histoire. Mais pour l'infante maure, elle s'en fiche du vent. Le miroir nous projette nos malheurs et nos joies, il nous met à nu. Il extirpe le faux-semblant. Mohammed Dib a écrit ce roman dans un style dépouillé de lourdeurs. Il a utilisé des phrases courtes mais chargées de sens. S'inspirant des souffrances des Algériens durant la période coloniale, il publie en 1954 L'Incendie. En 1959, il s'exile puis publie en 1962 Qui se souvient de la mer ?, roman fantastique et hallucinant. Dib a diversifié son écriture en travaillant en alternance le roman, la poésie et la nouvelle. Tout au long de sa carrière d'écrivain, il s'est inspiré du peuple algérien, particulièrement de sa ville natale Tlemcen, capitale religieuse et intellectuelle de l'Ouest algérien et héritière de l'artisanat, des sciences et des arts qui avaient fleuri en Andalousie. Mohammed Dib est né le 21 juillet 1920 à Tlemcen. Après la mort de son père en 1931, il commence autour de 1934 à écrire des poèmes mais également à peindre. Sa rencontre avec un instituteur français, Roger Bellissant, le conforte dans la voie de l'écriture. De 1938 à 1940 Mohammed Dib devient instituteur, enseignant à Zoudj Bghal, près de la frontière marocaine De 1950 à 1952, il travaille, en même temps que Kateb Yacine, au journal progressiste Alger républicain. Il y publie des reportages, des textes engagés et des chroniques sur le théâtre en arabe parlé. Il écrit également dans Liberté, journal du Parti communiste algérien. Après avoir quitté en 1952 Alger républicain, Dib séjourne à nouveau en France, alors que paraît aux Éditions du Seuil La Grande Maison, premier volet de sa trilogie Algérie, inspirée par sa ville natale, qui décrit l'atmosphère de l'Algérie rurale. Une grande partie de son œuvre est imprégnée d'une pensée mystique Tandis qu'il aborde plus explicitement la guerre d'indépendance dans Un Été africain, Dib est expulsé d'Algérie par la police coloniale en raison de ses activités militantes. André Malraux, Albert Camus, Jean Cayrol interviennent pour qu'il puisse s'installer en France. Il s'établit alors à Mougins, dans les Alpes-Maritimes, chez ses beaux-parents, effectuant des voyages dans les pays de l'Est. En 1962, Qui se souvient de la mer manifeste une bifurcation de son écriture vers l'onirisme, le fantastique et l'allégorique. Dans ses derniers livres, Simorgh, puis Laëzza, terminé quelques jours avant sa mort, il revient, sous la forme d'un puzzle littéraire, sur ses souvenirs de jeunesse. Il meurt le 2 mai 2003 à l'âge de 82 ans, près de Paris.Une grande partie de son œuvre est imprégnée d'une pensée mystique et portée par «une esthétique des demi-tons et des sous-entendus, frottée à une fréquentation du surréalisme et répercutant les échos du soufisme», disait l'universitaire Nadjet Khadda. Un Été africain puis un recueil de nouvelles, Le Talisman et la Danse du Roi, marquent le retour de Dib au réalisme, empreint d'un certain symbolisme. Dans Habel, Neige de marbre et L'Infante maure, l'auteur déplace ses personnages hors d'Algérie. L'œuvre de Mohammed Dib a un goût de nostalgie, d'un pays qu'on perd mais qu'on traîne comme un remords.