Parmi les hommes qui ont donné une impulsion aux affaires de la République algérienne, particulièrement dans l'administration dont il est reconnu comme le père, Ahmed Medeghri, auteur des premiers découpages territoriaux post-indépendance et fondateur de l'ENA aurait-il été victime d'«un accident maquillé» chez lui à El Biar, sur les hauteurs d'Alger ? Aurait-il payé son opposition à la première charte nationale des années 1970, préférant une formule démocratique de la Constitution ? Des questions qui semblent de prime abord déranger, mais pour lesquelles certains compagnons d'armes mais aussi ceux qui l'ont côtoyé ont répondu lors du forum de la mémoire organisé conjointement par le quotidien «El Moudjahid» et l'association Machaâl Echahid. Véritable mémoire vivante, Daho Ould Kablia, qui a connu le défunt en 1950 alors qu'il faisait à Mascara ses études secondaires, a d'abord fait un retour sur le passé révolutionnaire de l'homme issu d'une famille pétrie elle aussi dans le terreau nationaliste. Ahmed Medeghri, dit Si Hocine, a fait partie du groupe Ferradj et du colonel Lotfi avant d'être promu capitaine puis commandant de l'ALN en avril 1962. A l'indépendance, il est nommé préfet de Tlemcen, poste qu'il occupera trois mois seulement, «période courte mais suffisante pour lui faire connaître la réalité du terrain, lui le matheux (licencié en mathématiques supérieures de l'université d'Alger), dira Ould Kablia. Mais c'est sur l'homme politique qu'il s'attardera pour dévoiler l'autre face de celui qu'il qualifiera «de forte personnalité à la limite de l'entêtement». Caractère qui sera souvent à l'origine de divergences avec le président Ben Bella du gouvernement duquel il faisait partie. Ce dernier imposait les cadres du parti, des anciens de sa génération, notamment de l'Organisation secrète (OS), alors que Medeghri donnait l'avantage aux jeunes instruits. «Il a toujours combattu les seigneurs de la guerre», commentera à ce sujet le conférencier. Mais le président ne voit pas cela d'un bon œil, et dès 1964, la taille faite dans le ministère de l'Intérieur va réduire ce dernier à sa plus simple expression. La sûreté nationale, les walis, les transmissions nationales et la fonction publique sont désormais des fonctions ne relevant plus de ce secteur de souveraineté, obligeant du coup Medeghri à démissionner. En fait, Ben Bella touchera tous les secteurs, ce qui aura pour conséquence le fameux coup d'Etat de juin 1965. L'arrivée de Boumediene au pouvoir annoncera le retour de Medeghri aux affaires. L'une des principales actions entamées par ce dernier était de moderniser l'administration algérienne en commençant par faire revivre l'ENA, la création des centres de formation administrative (CFA) en 1966, le statut général de la fonction publique durant la même année, le code communal en 1967 et le code de la wilaya en 1969. Mais là encore, il ne sera pas en odeur de sainteté avec Boumediene en ce qui concerne les trois fameuses révolutions, notamment agraire, dont il critiquera la procédure de nationalisation des terres. «Il considérait cela comme une véritable dépossession», explique le conférencier, ajoutant que Medeghri soutenait qu'avec cette méthode, «on perdait trois valeurs : le savoir-faire, l'autofinancement et la confiance». Cette opposition valut encore une fois à Medeghri d'être marginalisé par une politique de confinement. Il tentera de démissionner mais la crainte de voir les répercussions de sa décision sur les mécanismes de l'administration le pousse à ne pas passer à l'acte. Il passera à l'acte autrement, en ce 10 décembre 1974. Ould Kablia précisera que toutes les preuves étaient réunies pour conclure à un suicide né d'une suite de dépressions dont l'homme avait souffert. Abdelmadjid Chikhi, directeur des Archives nationales, a également rappelé le rôle joué par cet homme dans la modernisation de l'administration algérienne. «Il voulait que l'employé soit au service du citoyen et son souci était avant tout la promotion de l'ENA et des CFA, comme il insistait pour la création en 1973 d'une école supérieure des cadres, projet qui n'a pu être concrétisé». Pour Noureddine Yazid Zerhouni, «l'homme avait une vision futuriste quant à la formation et la modernisation de l'administration».