Miguel Angel Moratinos qui se déplace d'une capitale à une autre, jusqu'à trois fois dans la même journée, tout le long de l'année, aurait fait deux fois le tour du monde depuis qu'il est à la tête du ministère des Affaires Etrangères de son pays, en mars 2004. A-t-il réalisé ce marathon aérien exceptionnel pour le seul intérêt de l'Espagne ? Dans cet agenda diplomatique dosé à fond, il trouve, néanmoins, une place pour des séjours, dans l'année, à Tanger et Marrakech, histoire de tenir à jour ses relations intimes avec la classe politique marocaine auxquelles seuls les liens «familiaux» de Jacques Chirac avec le palais royal peuvent faire contre-poids. Privés ou officiels, les contacts du chef de la diplomatie espagnole avec les Marocains vont dans le sens que voulait l'ancien président français et le leader socialiste espagnol Felipe Gonzales, lui aussi un familier de l'hospitalité marocaine: défendre les intérêts du régime alaouite. Moratinos meilleur ministre des AE marocain Cette vocation lui a valu d'être taxé par les médias de son pays de «meilleur ministre des AE du royaume alaouite» où il est toujours reçu comme Chirac et Gonzales, en membre de la famille. Exagérée peut-être, cette idée véhiculée par les médias colle parfaitement à la peau du ministre des Affaires étrangères de Zapatero qui semble s'en accommoder. Mardi, devant la Commission des affaires étrangères du Congrès des députés, Moratinos a rempli ce rôle avec un remarquable zèle lorsqu'il s'est présenté, à sa propre demande, devant les parlementaires pour commenter les résultats du Sommet UE-Maroc, dimanche dernier à Grenade, qui avait été marqué par de retentissantes manifestations contre les violations des droits de l'homme au Sahara occidental. Les «27» n'eurent pas d'autre choix que de céder partiellement à ces pressions et de rappeler au Maroc, par la voix du président Belge du Conseil européen Herman Rompuy, que le statut avancé qui lui a été octroyé, en 2008, après un forcing de la diplomatie espagnole, s'accompagne de conditions dont le respect des droits de l'homme n'est pas la moindre. La présidence espagnole de l'Union européenne avait persuadé ses pairs européens d'évacuer cet aspect du problème et de parler coopération. Un gros détail a tout fait basculer. Dehors, Aminatou Haider a pris la tête des manifestants et annoncé un prochain voyage aux Etats-Unis où elle sera reçue par les membres du Conseil de sécurité et des parlementaires américains. Au menu : la question des violations des droits de l'homme que la présidence espagnole a tenté d'évacuer de l'agenda de Grenade. Un problème que le régime marocain traîne comme une casserole depuis la retentissante grève de la faim de Aminatou Haider à la fin de l'année dernière. Droits de l'homme… à Tindouf Cet échec, Moratinos a voulu le masquer, au plan politique interne, à travers sa vision de la situation des droits de l'homme qu'il observe exactement avec les yeux du gouvernement marocain. Devant les députés espagnols, il a repris, parfois sans même le souci d'en remanier la forme, les arguments du Premier ministre marocain Abbas el Fassi, à Grenade. Il a estimé que «les droits de l'homme doivent être respectés non seulement au Maroc mais également dans les camps de réfugiés de Tindouf». Prétendant que «l'Espagne a été ferme avec le Maroc» sur cette question – une fermeté exprimée plutôt du bout des lèvres, selon les médias – il lance que le respect des droits de l'homme au Sahara occidental s'impose aussi «à tous», que ce soit «au Maghreb, au Proche-Orient ou dans les camps de réfugiés de Tindouf». L'allusion est nette. Front Polisario seul ? Algérie ? Des interrogations pour le moment. l est, en outre, le seul à avoir constaté «quelques progrès» en matière de respect des droits de l'homme au Sahara occidental lorsqu'il affirme que les activistes sahraouis, de retour d'un séjour à Tindouf, n'auraient pas été inquiétés, selon ses dires, une fois arrivés à Al Ayoune. Tel n'est pas l'avis des organisations civiles espagnoles qui ont dénoncé, hier, la vaste campagne de répression qui se poursuit au Sahara occidental contre les indépendantistes à Al Ayoun. La police marocaine aurait réprimé, selon ces témoignages, les manifestants venus accueillir un groupe de douze Sahraouis, de retour d'un séjour à Tindouf et que la police ne tarda pas à arrêter. M. Moratinos a parlé trop vite. Durant le long débat, des députés ont critiqué le soutien franc apporté par le gouvernement socialiste espagnol à l'occupation marocaine et d'avoir tout fait pour faire l'impasse sur les violations des droits de l'homme dans l'ancienne colonie espagnole et de chercher à brouiller les cartes en faisant un amalgame de tous les sujets. Ce que fit Moratinos devant les parlementaires lorsqu'il a enchaîné sur les relations algéro-marocaines que l'Espagne veut promouvoir. La fixation sur la frontière algéro-marocaine Certains députés espagnols se sont interrogés sur le but recherché par Moratinos quand il affirme qu'en marge de la réunion informelle de New York sur le Sahara occidental entre Rabat et le Front Polisario «l'Algérie et le Maroc ont accepté de reprendre leurs échanges de visites ministérielles». Ils comprennent par là que le MAE espagnol veut accréditer la thèse que l'Algérie est partie à ces négociations, donc elle est impliquée dans le conflit du Sahara occidental, alors que comme la Mauritanie elle n'avait qu'un rôle d'observateur. Ces arguments sont exactement ceux de son homologue marocain Fassi Fihri. Les parlementaires espagnols ont constaté, eux, que visiblement déçu à la suite de l'échec de son scénario élaboré à Grenade, Moratinos a mis en place un scénario pour masquer la question des droits de l'homme au Sahara occidental. Il a sorti, à cette fin, le grand jeu. Les grands moyens même pour, dit-il, favoriser la «réconciliation» entre les deux pays en vue d'une «nouvelle relation». Le premier diplomate espagnol perd parfois aussi son self-control et devient même suspect aux yeux des députés quand il qualifie d'«inacceptable» la fermeture de la frontière terrestre algéro-marocaine. Un problème, dans ce contexte, surgi de nulle part, qu'il entend soulever lors de la réunion des «5+5», le 15 avril à Tunis. Sur cette lancée, il fait un appel du pied à la France, ignorant que Paris, à ce stade des relations franco-algériennes, inspire autant confiance à Alger que Madrid dans les camps de réfugiés de Tindouf. Même, argumente-t-il, la Géorgie et la Russie, en conflit armé durant l'été 2008, ont ouvert des points de passage entre elles. Le problème de la frontière algéro-marocaine est, depuis quelques années, un axe majeur de la diplomatie espagnole. Gouvernement espagnol et journaux qui lui sont proches font régulièrement campagne, au même titre qu'au Maroc, pour la réouverture de cette frontière. Moratinos, qui a fait deux fois le tour du monde diplomatique et jouit en permanence du privilège des institutions européennes, a certainement fait mieux, à cette fin, que le jeune Fassi Fihri pour le Maroc.