Devinez qui est de retour ? Le réel vainqueur de la crise politique italienne qui semblait toucher à sa fin mercredi est le sempiternel Silvio Berlusconi, insubmersible malgré les scandales et ses multiples procès. L'ex-chef de gouvernement, aujourd'hui âgé de 76 ans, ne devrait pas faire partie du prochain gouvernement dirigé par Enrico Letta, numéro deux du Parti démocrate (PD, gauche), mais personne ne doute qu'il jouera un rôle clé dans les coulisses du pouvoir. "Berlusconi ne réussit pas à cacher sa joie", observe Stefano Folli, éditorialiste du quotidien économique Il Sole 24 Ore. Cette crise politique, qui a traîné en longueur, a de fait offert au Cavaliere "un chèque en blanc", renchérit Claudio Tito, du quotidien de gauche La Repubblica. Le parti de Berlusconi, le Peuple de la Liberté (PDL), est arrivé juste derrière la gauche aux élections de fin février, avec presque un tiers des voix grâce à des promesses de baisse des impôts. La gauche avait exclu toute alliance avec son ennemi juré, mais elle a dû virer casaque lorsque ses efforts pour s'allier avec les contestataires de Mouvement 5 Etoiles de l'ex-humoriste Beppe Grillo sont restés vains. En politicien madré, le Cavaliere n'a cessé de répéter que la seule solution était un gouvernement de "large entente" entre droite et gauche. Bon prince, il acceptait même de se rallier à un chef de gouvernement issu du camp victorieux, le Parti démocrate (PD). Les événements lui ont donné raison. Bon gré, mal gré, M. Letta devra former un gouvernement de "large entente", soutenu à la fois par la droite et la gauche, comme l'a exigé le président Napolitano. Autre alternative, faisait valoir M. Berlusconi: de nouvelles élections. Or aujourd'hui, son Peuple de la Liberté (PDL) serait quasiment certain de l'emporter avec plus de 32% des suffrages, alors qu'il atteignait les profondeurs du classement l'hiver dernier, lorsqu'il a lui-même déclenché la crise en cessant de soutenir le gouvernement technique de Mario Monti. A cette époque, le Cavaliere, qui venait d'être condamné à un an de prison pour violation du secret de l'instruction, était considéré hors course. Mais une campagne électorale plus tard, le revoilà dans le rôle du sage, du modéré ayant à cœur les intérêts du pays. Le quotidien de la famille Berlusconi, Il Giornale, n'a pas hésité à affirmer qu'il "prenait le pays sur ses épaules (...) et suscitait un consensus universel". "Le réel vainqueur de toute cette crise est Berlusconi", a reconnu lui aussi Stefano Rodotà, constitutionnaliste respecté et candidat malheureux du Mouvement 5 Etoiles à la présidence de la République face à Giorgio Napolitano. Berlusconi "impose ses conditions" au nouveau gouvernement, croit savoir M. Rodotà dans un entretien avec le quotidien de gauche Il Manifesto. Même si certains observateurs soulignent que Berlusconi aurait préféré voir à la tête du gouvernement Giuliano Amato, un ex-Premier ministre réputé encore plus modéré. "Il a vaincu, mais pas archi-vaincu", tempère à ce sujet Giancarlo Santalmassi, sur Inpiù, nouveau site d'experts politiques en Italie. D'autres voient encore plus loin, affirmant que le Cavaliere vise la présidence de la République une fois que M. Napolitano, 87 ans, aura démissionné sans attendre la fin de son septennat, comme chacun s'y attend. L'éditorialiste Barbara Spinelli estime ainsi qu'il n'est pas difficile d'imaginer Berlusconi chef de l'Etat "dans un horizon pas si lointain que cela". Autre avantage collatéral pour Silvio Berlusconi: ses deux embarrassants procès -l'un pour fraude fiscale l'autre pour prostitution de mineure- n'ont cessé d'être reportés, les remous politiques offrant, à lui et ses avocats, qui sont aussi parlementaires, de multiples "empêchements légitimes" de se rendre au tribunal. Passées au second plan, les audiences doivent toutefois reprendre en mai. A l'annonce de la nomination de M. Letta mercredi, la bourse de Milan a baissé mais les actions de Mediaset, l'empire médiatique de M. Berlusconi, ont grimpé de 1,8%, signe de sa confiance retrouvée auprès des investisseurs.