Chargé de former le gouvernement italien, Enrico Letta continuait de batailler samedi, à la recherche de la formule magique pour faire travailler ensemble gauche et droite et convaincre la vieille garde de céder un peu de place aux jeunes talents. Pour donner le jour à cette nouvelle équipe -de préférence ce week-end avant l'ouverture des marchés lundi-, le jeune dirigeant du Parti démocrate (PD), 46 ans, ne ménage pas sa peine. Après de longues tractations jusque tard vendredi, il s'est entretenu dans la matinée avec son ex-patron, Pier Luigi Bersani. Puis, il a rencontré pendant deux heures et demie une forte délégation du Peuple de la Liberté (PDL, droite) : l'ex-chef du gouvernement Silvio Berlusconi, le dirigeant du PDL Angelino Alfano, et le conseiller spécial du Cavaliere, qui n'est autre que... son oncle, Gianni Letta. L'objectif est de taille: faire cohabiter deux camps qui se détestent depuis des années afin de sortir la troisième économie de la zone euro d'une crise qui dure depuis des mois. Après la démission de Mario Monti fin 2012, les législatives de février n'ont dégagé aucune majorité claire, avec trois blocs quasi égaux au Sénat : le PD, le PDL et le Mouvement Cinq étoiles de Beppe Grillo. Le PD, arrivé premier, a tenté sans succès de s'allier avec les contestataires menés par l'ex-comique, puis a dû se résoudre, sous forte pression du président réélu Giorgio Napolitano, à s'allier avec la droite. Mais "le PD ne réussit pas à digérer l'idée de faire partie d'un gouvernement de large entente avec Berlusconi (...)". Pas prêt à une "pacification", "il cherche un moyen de faire naître un gouvernement sans y adhérer pleinement", analyse Marcello Sorgi dans La Stampa. "Non à un gouvernement à tout prix", a d'ailleurs prévenu samedi M. Bersani, dirigeant démissionnaire de la coalition de gauche. Les partis se comportent comme si le futur gouvernement était "une alliance formée avec le pistolet sur la tempe", renchérit Luciano Fontana dans le Corriere della Sera. Selon lui, les conditions imposées par les deux parties "compliquent la conclusion d'un accord, jusqu'au risque de rupture". Car de son côté, Silvio Berlusconi, redevenu indispensable alors qu'on le croyait fini il y a encore quelques mois après maints procès et scandales, fait monter les enchères. Il a soufflé le chaud et le froid affirmant qu'il se voyait bien ministre de l'Economie puis qu'il renonçait à tout portefeuille, qu'il était "confiant" dans la formation de la nouvelle équipe mais posait son veto à plusieurs noms. Depuis deux jours, les media italiens se livrent au "totoministri", glosant sur des "exécutifs virtuels", comme au Totocalcio, où les Italiens parient sur l'issue des matches de foot. Selon eux, la bataille fait rage notamment autour des noms de vieux routiers de la politique comme les ex-chefs du gouvernement de gauche Massimo d'Alema ou Giuliano Amato. D'autant que le président Napolitano, réélu quasiment contre son gré à bientôt 88 ans, aurait plaidé pour "une rénovation, un changement générationnel et une forte présence féminine". Une façon de répondre au besoin de changement exprimé par les Italiens, notamment par le succès inattendu de Beppe Grillo, qui a estimé samedi sur son blog que ces jeux tactiques témoignaient d'un "mépris pour les 8 millions d'Italiens" qui ont voté pour lui. "Pour renforcer la vigueur du gouvernement Letta, il est important que les dirigeants des partis et les seniors donnent leur soutien sans entrer au gouvernement", a affirmé Mario Monti, en apportant son soutien à Enrico Letta. Les deux camps doivent aussi s'accorder sur une politique économique au moment où le pays est plongé dans la récession. L'agence d'évaluation financière Moody's Investors Service a confirmé vendredi la note accordée à la dette de l'Italie, "Baa2", malgré la crise politique. Mais l'agence se réserve la possibilité de l'abaisser à moyen terme, car sa perspective d'évolution reste "négative". Enrico Letta a déjà mis en cause, tout comme M. Berlusconi, les politiques d'austérité. Mais le Cavaliere milite pour la suppression d'une taxe immobilière -dont il avait même promis le remboursement durant sa campagne-, ce qui pourrait coûter jusqu'à 8 millions d'euros à l'Italie, plongeant la gauche dans l'embarras. Si le Cavaliere réussit à imposer ses vues sur cette taxe, prévient Piero Ignazi dans La Repubblica, "on verra qui est le véritable pilote derrière ce gouvernement". Même sentiment chez l'expert Gianni Dragnoni: "aujourd'hui celui qui tient le couteau du côté du manche c'est Gianni Letta, pas Enrico".