Le juge espagnol Fernandez Romeu, jusque-là méconnu du grand public, a décidé, la semaine dernière, la mise en examen de l'actuel ministre israélien, auparavant ministre de la Défense, ainsi que de six autres hauts responsables militaires israéliens pour le massacre de 14 Palestiniens, en 2002, dont un chef de Hamas. La loi espagnole autorise un magistrat de poursuivre n'importe quelle personnalité politique contre laquelle sont portées des accusations de délit de grande gravité. Le massacre des 14 Palestiniens relève du «crime contre l'humanité», a fait savoir le juge espagnol aux sept hauts responsables en les avertissant que la sentence pourrait être des plus élevées si la preuve était apportée par l'instruction du cas de «préméditation». Cette courageuse initiative survient quelques années après la procédure judiciaire engagée par un juge belge contre Ariel Sharon, ex-Premier ministre israélien dans le coma depuis des années, surnommé le «boucher de Sabra et Chatilla», pour avoir inauguré le cycle du «crime contre l'humanité». Jusqu'à son entrée dans un coma profond, Ariel Sharon ne s'était pas hasardé à mettre les pieds sur le territoire Schengen, dont tous les pays membres sont liés par l'euro-order, sans risquer d'être livré au juge qui le poursuit. C'est déjà arrivé pour Pinochet, l'ex-dictateur chilien défunt, retenu des mois à Londres parce que l'Espagne le recherchait pour disparition de ressortissants espagnols lors du coup d'Etat militaire de septembre 1973.Saisissant la portée de l'initiative du juge espagnol, Israël, bien sûr, a protesté «vigoureusement» auprès de Madrid. Cette «démocratie» tant vantée en Occident et soutenue à bout de bras par tous les présidents des Etats-Unis qui ont précédé Barack Obama, même lorsqu'elle rase le Liban et la bande de Ghaza avec tout ce qu'il y a dedans, trouve donc anormale une plainte jugée recevable par un magistrat d'un pays tiers. Il ne faut pas s'étonner de la panique qui s'est emparée des actuels dirigeants israéliens, Ehud Olmert et Tzipi Livni, le Premier ministre et son ministre des Affaires étrangères, la seconde bien placé pour succéder au premier, le 10 février. Olmert comme Livni seront, sans aucun doute, les prochains mis en examen pour des charges encore plus lourdes : le massacre de 1300 Palestiniens, le tiers des enfants, plus de 5000 blessés et une ville rasée. Les images sont là, toutes fraîches dans les mémoires. La voie est désormais ouverte pour un procès qui mettra à l'épreuve la crédibilité des institutions pénales occidentales. Que fera le gouvernement espagnol si le juge Romeu menait jusqu'au bout sa procédure judiciaire ?
Avant lui, le juge Baltazar Garzón a placé l'intérêt des familles sahraouies, qui demandaient justice pour les leurs disparus depuis 1995 au Sahara occidental, au-dessus des «excellentes» relations entre le gouvernement socialiste espagnol et Rabat. Cinq hauts responsables marocains et pas des moindres, dont le patron de la gendarmerie Housni Benslimane, font l'objet d'une enquête judiciaire décidée il y a deux ans par Baltazar Garzón. Elle suit son cours. Dans le cas de la procédure engagée par le juge Romeu, le ministre espagnol des Affaires étrangères Moratinos s'est-il engagé trop vite à rassurer son homologue israélienne Tzipi Livni qui, comme l'a dit cette dernière, lui laissant croire que la loi espagnole allait être revue pour freiner l'initiative en cours ? C'est grossier, ont déjà fait savoir des partis politiques en Espagne qui plaident pour que l'invasion de Ghaza fasse l'objet d'un intérêt par le Tribunal pénal international. A moins que certains juges, qui ont agi avec zèle — pour ne pas dire par la magouille — pour inculper avec effronterie le président soudanais Omar El Bachir de «crimes au Darfour», ne se fassent plus discrets s'agissant de dirigeants israéliens les plus criminels que le monde ait connu depuis Auschwitz. Une justice jusqu'aux frontières d'Israël ? C'est là qu'il faut attendre le TPI. Le juge Andreu aura au moins soulagé sa conscience d'homme et de magistrat honnête.