Cela fait un bon moment que la télévision, la radio et les journaux ont renoncé à traiter un sujet pourtant bien intégré par le passé dans leurs programmes «spécial Ramadhan». Il n'y a pas grand monde à s'en rendre compte mais il y a des yeux et des oreilles trop vigilants pour que la chose leur échappe : pourquoi on ne parle plus des gens qui… travaillent pendant le mois du jeûne ? On ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure parce que ça ne fait pas une information, paraît-il. Mais nous sommes en Algérie et les trains qui arrivent à l'heure font plus qu'une information : des scoops de première ! Et les «scoops de première», on en a eu par le passé, avant que la source ne tarisse, à moins qu'on ait fermé le robinet d'arrêt, par lassitude ou par désespoir. Pourtant, ça doit bien exister des gens qui travaillent en jeûnant ou qui jeûnent en travaillant. Ce n'est pas tout à fait la même chose mais ça donne quand même la même «matière» : du grain à moudre, comme disent les mauvaises langues, pour la télé, la radio et les journaux. Bien évidemment, sont exclus de l'événement ceux qui sont… obligés de travailler. Les commerçants travaillent. Ils peuvent changer d'activité selon la rentabilité du moment, pratiquer les horaires qui ne dérangent pas leurs adipeuses matinées de veilleurs cliniques mais ils travaillent. S'ils ne font pas le scoop, c'est parce qu'ils bossent «chez eux-mêmes». Ils encaissent loin des caméras, des enregistreurs et des stylos Bic. Ils sont libres et on ne va pas se déranger pour ça. Tenez, l'autre fois, il y a eu des «reportages» sur les braves fonctionnaires d'une mairie. Ils ont tellement le sens du sacrifice qu'ils ont accepté d'aller délivrer des fiches familiales en nocturne et en live. Dommage que personne n'a pensé à les montrer en train de se tuer à la tâche… pendant la journée. Ce n'est pas juste mais ils ont une large compensation. C'est connu, le boulot en live, comme tous les «directs», donne de meilleurs images sous les projecteurs de la nuit. On n'a pas de matches de foot en nocturne mais on a des employés à leurs guichets et des citoyens ivres de bonheur de montrer leurs livrets de famille après les tarawih. Le scoop est d'autant plus spectaculaire qu'il y a une seule mairie qui a fait ça. Ce n'est pas le cas pour la poste qui a ouvert plusieurs de ses agences la nuit. Les légendaires stakhanovistes des guichets de retrait, on les a encore vus à l'écran s'échiner face à leurs… écrans. Pouvoir retirer son argent parfois en faisant la queue sous le soleil était si problématique qu'on a pensé à nous le faire la nuit, vous vous rendez-compte ? Déjà que faire la «chaîne» sous les étoiles aurait été une révolution, voilà qu'il n'y a même pas de chaîne ! Sinon, on ne déplacerait pas les caméras, les enregistreurs et les stylos Bic. Ici, on parle du bonheur et des sacrifices de ceux qui le créent. On ne parle pas des bousculades, des râles, des évanouissements et des stocks de billets épuisés ou jamais arrivés dans les caisses. Ça ne fait pas une «info», encore moins un scoop. Une dernière pour la route, il paraît qu'on travaille même dans les hôpitaux ! Et là, c'est de jour et de nuit. Les cancéreux meurent à la maison, en route lors d'une évacuation désespérée, dans une salle de soins sans soins ou en attendant la date du rendez-vous pour une radiothérapie. Ça aurait pu être un scoop mais il est tellement dépassé… Le scoop, c'est qu'on travaille, n'est-ce pas ?