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L'absurde dans l'oeuvre de Lounis Aït Menguellet
POESIE
Publié dans L'Expression le 05 - 07 - 2011

La fatalité, l'absurdité ne doivent pas miner notre présent
L'oeuvre d'Aït Menguellet est immense et plurielle. On y décèle plusieurs thématiques dont les plus importantes sont ancrées dans le patrimoine de la société kabyle en particulier et algérienne en général, qu'il n'a pas fini de décortiquer, d'analyser et en même temps les caler et les projeter dans l'universalité. (1)
Le concept de l'absurde est défini comme un événement ou situation exempt de clarté et d'évidence, par conséquent marqué par la contradiction ou l'absurdité. Il est aussi ce qui échappe à toute logique et qui ne respecte pas les règles de celle-ci (2). L'absurdité est, ici, celle des comportements vécus et qui sont documentés par Lounis.
L'oeuvre étant plurielle, nous avons choisi quatre poèmes que nous considérons inscrits dans cette thématique: Iniyid ayamãar, Yennad umãar, Dda Yidir, Labas ayahbib labas.
Dans cette analyse, nous allons essayer de les intégrer dans cette vision de l'absurde telle qu'elle ressort dans les oeuvres de Kafka (3) et Albert Camus (4).
Les deux premiers poèmes sont construits sous forme de questions/réponses et le premier étant une réponse à l'autre. Il y a ici continuité de la pensée de l'auteur comme sur les thèmes auxquels répond le sage.
Le poème de Lounis Aït Menguellet «Iniyid ayamãar» débute par une question philosophique: Acimi tesleb addunit/ Aswab ighalbit laghladh/ Anida thebs atwaghit / Ma-naqqan yergazen wiyadh (Pourquoi le monde est fou / L'erreur prime sur la raison / Où s'arrêtera la tragédie/ Lorsque les hommes s'entre-tuent)
Le monde en folie dénué de rationalité et la bêtise humaine sont les deux clés utilisées par l'auteur pour dévider l'écheveau de la trame. Ce poème présente une corrélation avec l'absurde qui, selon Camus, naît de la confrontation entre un monde qui n'a pas de sens et la décision prise pour lui en donner un.
Les passages suivants du poème traduisent l'ampleur de la tragédie absurde dans laquelle on se meut: Anida ithabs atwaãit / Ma neqqen yergazen wiyad (Où s'arrête la tragédie / Lorsque les hommes s'entre-tuent) Ayen yellan yelha / Ennan aãed edjtett yexsar (Tout ce qui bon / Est supplanté par du néfaste) Alhaq yellan zik iruh / Albatal izdeã amkanis (Les droits acquis / Sont envahis par l'arbitraire).
Toutes ces situations sont paradoxalement admises et personne ne s'émeut devant la tragédie vécue par la société. Les travestissements avec lesquels on se pare sont répréhensibles et c'est à ce niveau que le poète trouve l'absurdité dans laquelle on se complaît.
Ces situations sont semblables à celle de Joseph K.(3) qui «est condamné pour des raisons qu'il ne connaît pas, il n'en est pas surpris et n'est même pas étonné de son manque d'étonnement!». Aussi M.Meursault (in L'Etranger) se complaît dans l'indifférence et motive le meurtre de l'Arabe par l'effet du soleil. Paradoxe, il est comme étranger au meurtre qu'il a commis. C'est quelque peu cette situation que l'on décèle dans certains textes de Lounis.
Aussi, lorsque l'homme de Kafka se transforme en scarabée (3), «il n'est pas surpris et n'éprouve aucun sentiment lorsque les pattes et les antennes commencent à pousser». Ce personnage fait preuve ici d'une certaine apathie et ne donne pratiquement aucun sens stupéfiant à sa nouvelle situation (4).
Dans ce poème, les gens conscients du danger qui mine la société sont restés muets même au péril de leur vie.
Dans le poème «Yennad umãar/ le Sage a dit» le poète reprend la tragédie sous un angle de réponse au premier poème, avec un leitmotiv quelque peu fataliste: tout ce qui se passe, même autrement, n'est qu'une réplique de ce qui s'est déjà passé.
Pour commencer, le Sage se place dans l'espace sidéral (asseqef igenni) pour scruter le monde et voir ce qui se fait depuis la nuit des temps. Il se met dans un espace intemporel et déplore les hommes qui s'entre-tuent, sans raisons, et qui perdurent dans leurs agissements ignobles: Il a vu les gens s'entre-tuer/ ceux qui sont dans le faux et qui continuent dans l'erreur.
C'est cette façon d'agir que Camus qualifie de «tuer paradoxalement pour des idées et des illusions qui donnent une raison de vivre (pour certains) et qui est en même temps une excellente raison pour mourir» (4).
Ce comportement est aussi dénoncé par Lounis dans son poème «Labas ayahbib labas» dans lequel l'auteur mène la dérision et l'absurdité à son comble. Il dénonce des situations catastrophiques et tragiques valorisées, par ailleurs, par la gent populaire.
Muqel s-aåbbudh yarwan / Yefka iwallaã taguni (Un ventre plein /Engourdi le cerveau)
Kkra bbin ihalken di suras / Yuãal dahbib n-rebbi (Tous ceux qui sont malades/Sont proches de Dieu)
Lafhama acu id-tettawi / Urfan laåtab ak-ãadhlen (L'intelligence/ la clairvoyance ne produit/ Que le stress qui détruit)
La thématique du poème «Labas aya hbib labas» est globalement orientée sur la dénonciation de l'absurdité du comportement d'une frange de la société dans laquelle nous évoluons. Cette situation réside dans l'accommodation d'abord et ensuite la prise en charge de certains maux auxquels on donne des réponses irrationnelles inscrites dans les registres de l'absurdité et de la fatalité.
Le titre du poème revient comme le leitmotiv qui justifie et appuie les carences constatées.
Pour le poète, l'absurdité réside dans cette propension que nous avons pour dire que «cela va bien»: même si l'intelligence a fui le cerveau (ãas lefhama tegayaã). Ceci n'est autre que l'absurde qui naît justement de cette confrontation entre l'aspect humain et la déraison dans laquelle se perd l'humanité.
Toutes les situations tragiques sont ainsi décrites de façon dithyrambique, apologétique et dérision. Les «bienfaits» de l'inculture (la compréhension des choses ne génère que le mauvais sang), de la maladie (elle rapproche de Dieu), de la pauvreté (Le ventre plein favorise la paresse alors que la faim rend dynamique), etc. sont mis en avant et sont même glorifiés et paradoxalement loués. Est-ce de la résignation? De la fatalité? L'auteur ne le dit pas explicitement. Il l'évoque de façon allusive comme cela se pratique dans les contes anciens (1). Lounis se met dans la position de l'Observateur ou du Scrutateur de la société qu'il regarde, dissèque et analyse.
Selon Rita Maghames (4), pour faire face à l'absurde, l'homme adopte des certitudes qu'il considère salvatrices. C'est de cela que traite Lounis dans le poème «Labas ayah bib labas» dans lequel, l'homme à défaut de combattre l'ignorance, la pauvreté, etc. il en fait l'éloge. Ces situations absurdes deviennent un refuge du fait que l'être s'est détourné de l'espoir pour vivre le destin réel mais imposé.
Dans la dernière strophe, l'auteur quitte le domaine de l'absurde pour se réfugier dans la réflexion objective et émet le message suivant pour terminer le poème:
Tamacint n-zman tfat / nettraððu a dd-tejbu tayedh/lheq n-(a)rekkba neèèat/,
ansib wis ma (a)ã dd-yesiwedh, (La roue (de la vie) a tourné/Nous attendons la prochaine/Le dû a été consommé/A-t-on droit à une autre part?
L'absurde est décrié par cet appel au ressaisissement et l'auteur rejette l'esprit d'accommodation dans lequel on s'est agglutiné malgré le fait qu'il a gangrené la société. Chacun d'entre nous est ainsi interpellé pour être en phase avec soi-même et le monde dans lequel il évolue, pour ne pas rater le Train de la vie qui peut nous ignorer si on ne s'y attelle pas. Les situations que dénonce Lounis se rapprochent paradoxalement de la définition de l'absurde comme étant une indifférence à un appel donné, à la raison.
L'absurdité est certaine et elle est bien cartographiée. Le paradoxe réside dans le sentiment «ressenti» de la même façon par Sisyphe dans sa tragédie (4). Ce dernier «n'est pas malheureux pour autant». Condamné à faire monter un immense rocher jusqu'au sommet de la montagne, Sisyphe le fait sans rechigner. Sisyphe est condamné par les dieux (parce qu'il a osé les défier) et il accepte la sentence.
C'est cet état d'esprit que décrit Lounis avec adresse. Celui que décrit Lounis s'est condamné lui-même, mais accepte cet état de fait sans broncher. C'est à ce niveau qu'il y a paradoxe. Cet homme est conscient de sa situation tragique qui le mine, mais il la perpétue et trouve même des alibis «absurdes» pour se réconforter. Cette absurdité ne correspond à aucune logique reconnue, elle est même contraire à la logique.
Dans le poème «Dda Yidir», le poète interpelle chaque citoyen. En utilisant une panoplie de prénoms communs, l'auteur veut s'adresser à chaque individu et signifier que les maux qui gangrènent la société sont le fruit des agissements de chacun. L'auteur décrit des situations absurdes, dénuées de raison, mais paradoxalement acceptées par la société malgré le refus que l'on peut constater au niveau individuel. Pour illustrer ceci, voilà ce que dénonce le poète: Erray nneã daxessar / Yeskecmaã diyir lãar/Asmi id neffeã dãa nettut (Notre esprit est retors/ Il nous a conduits dans une impasse/Oubliée à la sortie.
Ce passage traduit l'incapacité à tirer les bonnes conclusions des expériences néfastes subies. C'est le paradoxe de l'oubli que l'auteur déplore, l'absurdité de l'éternel recommencement et de l'atavisme perpétué au niveau de la société.
Acuãar nuggi anehlu/ Ur nekrif ur nlehu/ Rohentaã tirga mxalfa/ Idaåwessu?/ S el djil ãel ldjil tattragu (Pourquoi nous refusons de guérir?/ Ni paralysés, ni animés / Nos rêves se sont évaporés/ Et la malédiction? /On la subit de génération en génération. Toutes les strophes de cette oeuvre sont construites sur la base de dénonciation de ces comportements ambigus pour ne pas dire producteurs de subterfuges dans lesquels se réfugient certains esprits générateurs de travestissements absurdes et fatalistes qui font de nous une communauté qui a perdu, à travers le temps, l'esprit d'unité, de tolérance et de convivialité
A-t-on la capacité de transcender ces comportements négativistes et générateurs de malheurs? Partant du principe que l'homme est le produit de son milieu, il serait impératif de juguler tout cela par une culture de l'égalité, de la rationalité et de l'universalité qui sont des valeurs à même de fédérer les actions tout en faisant confiance à l'Elite qui sera la tête de pont de notre société.
Le traitement de la thématique abordée par l'auteur montre que son oeuvre s'inscrit dans la pensée camusienne, pour mieux dénoncer et traiter des fléaux qui gangrènent la société. Comme le dit Camus: Pour que soit possible une oeuvre absurde, il faut que la pensée (du poète) sous sa forme la plus lucide soit mêlée.
Tout comme Kafka, le poète balance entre le naturel et l'extraordinaire, l'individu et l'universel, le tragique et le quotidien, l'absurde et la logique (4).
L'absurde réside dans l'indifférence aux voix qui appellent à la raison et la rationalité. L'Homme auquel s'adresse le poète reste paradoxalement indifférent à cette exigence puisque sa présence dans un monde privé de cohérence ne lui offre pas la possibilité de répondre à cet appel. A quoi cela est dû? A la carence de liberté d'expression, au verrouillage de la sphère politique? à la suspicion qui règne dans l'environnement social? Est-ce dû à tous ces blocages? La réponse peut se trouver en partie dans l'oeuvre du poète qui se penche depuis longtemps sur ces questions des libertés et des comportements.
Dans son oeuvre, Lounis Aït Menguellet mène une quête perpétuelle pour donner un sens à l'existence qui n'est malheureusement pas à la hauteur de ce qui est attendu par l'esprit rationnel.
Les situations décrites dans les oeuvres de Lounis sont kafkaïennes, mais elles sont dénoncées par le poète qui opte à la fin de ces poèmes pour plus de rigueur dans la pensée rationnelle pour s'inscrire dans l'universalité. La fatalité, l'absurdité ne doivent pas miner notre présent et il y a lieu de s'en départir et d'ôter le manteau de la fatalité qui gangrène la société.
(1) M'hamed Djellaoui: L'image poétique dans l'oeuvre de Lounis Aït Menguellet: du Patrimoine à l'innovation
(2) Rita Maghames: Le dépassement de l'absurde chez Albert Camus: Mémoire de maîtrise en philosophie (Kaslik, Liban, 2003),
(3) Franz Kafka: La métamorphose et Le Procès (Romans),
(4) Albert Camus: Le mythe de Sisyphe


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