La justice, les partis politiques et les organisations de la société civile ont-ils été à côté d'une belle opportunité pour torpiller cette nomenklatura qui suce le pays? Dans un moment de distraction politique ou simplement par témérité, Djamel Ould Abbès a jeté un pavé dans la mare en révélant aux Algériens que lui, le tout-puissant ministre de la Santé, subit des pressions venant... d'en haut. «Il y a des personnes qui se présentent comme des fils de hauts responsables de l'Etat, afin que je cède à la pression, mais ils se trompent», a-t-il dit. Avec une aussi grave déclaration et dans un secteur aussi sensible que celui de la santé, la révélation n'a pas fait tilt. A part peut-être la secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune qui en fait état dans l'une de ses interventions, il y a quelques jours. Pourtant, la perche tendue par Ould Abbès est l'occasion de faire la démonstration que l'appartenance à la nomenklatura n'est plus un blanc-seing. Une mesure, une autosaisine de la justice, un commentaire de partis politiques ou d'associations auraient eu l'effet d'un avertissement: quelle que soit leur place dans la hiérarchie, les officiels, les fils des officiels et leurs familles s'ils commettent une faute, peuvent être limogés et condamnés par la justice. Le moment distraction - appelons-le ainsi - de M. Ould Abbès n'a pas été exploité et le ministre a vite fait de se rétracter en déclarant, 72 heures plus tard, comme pour s'excuser que «j'ai juste fait des constats et je n'ai accusé personne». La cagnotte du médicament évaluée bon an mal à environ 2 milliards de dollars est ainsi donc entre les griffes des lobbys intouchables! La confrérie doit être plus large et plus puissante. Il est établi que les grandes affaires de criminalité se réalisent par le truchement de trois partenaires: le milieu des affaires, le pouvoir politique et les professionnels de l'escroquerie. Le trio se trouve réuni pour l'occasion dans des joint-ventures frauduleuses et chaque segment joue sa partition en parfaite harmonie pour une mélodie du mal, celle de la corruption dans le médicament et donc de tuer ses concitoyens froidement sans état d'âme. Est-ce le propre des grandes affaires? En tout cas, dans cet attelage qui fonctionne à merveille chez nous, le milieu des affaires, entreprises et banques, commandite les opérations et en assure le montage juridique et financier. Il fixe les modalités et les règles de facturation, choisit les responsables impliqués, désigne les sociétés écrans, aménage le financement, la circulation et le transfert des fonds vers des destinations sûres. On ne verra que du feu. Le pouvoir politique, quant à lui, assure la couverture administrative, policière et juridictionnelle des opérations, quitte à faire usage de certains services étatiques. On fermera les yeux sur les violations des réglementations en vigueur. Si la combine foire, on orientera les investigations et l'instruction pour que cela se termine par des condamnations symboliques. Enfin, les professionnels de l'escroquerie, eux, se chargent de l'exécution. Champions en la matière, ils gèrent des réseaux de sociétés et ils sont capables de réaliser n'importe quelle opération commerciale ou financière et échapper à toute investigation. Souvent leurs ramifications au sein de la classe politique sont très fortes, ils forment des réseaux parallèles et une secte politico-affairiste. On a raté l'occasion de démanteler cette secte.