Si le leader du parti dissous arrive à convaincre le chef du Gspc, il aura alors une carte maîtresse à jouer avec Bouteflika. «Le cheikh Abassi Madani est en phase finale d'élaboration de son projet politique, dit «initiative de paix», qu'il devrait soumettre encore aux autres leaders du FIS pour approbation, avant de le remettre aux autorités algériennes.» Selon notre source, un des sept derniers «légalistes fondateurs» du FIS, parti dissous par voie de justice le 4 mars 1992, «le principal axe de l'initiative de paix pourrait bien être une reddition conditionnée de Hassan Hattab», émir du Groupe salafite pour la prédication et le combat, principale organisation armée, et qui rejette encore tout compromis avec les autorités. L'idée a germé depuis deux ans déjà dans la tête des dirigeants de l'ex-FIS qui sont bien conscients d'avoir été définitivement exclus de l'échiquier politique, bien que leur poids « en sous-sol » demeure prépondérant. Ne pouvant plus rien faire en 2003, date de la libération des deux chouyoukh, les dirigeants du FIS tentent de profiter de la situation de déliquescence dans lequel se débat l'Etat algérien depuis quelques mois. Le duopole Bouteflika-Benflis, au lieu de permettre une joute spectaculaire et qui, somme toute, aurait consacré le jeu libre du pluralisme politique, a, au contraire, conduit à une situation pré-insurrectionnelle et obstrué toutes les voies politiques, en tétanisant, d'une part, l'ensemble de la classe politique et, d'autre part, en paralysant toutes les assemblées élues, aussi bien au niveau de l'Assemblée populaire nationale, du Conseil de la nation que des APW et APC. Cette situation de blocage, que l'Etat s'entête à ne pas reconnaître, profite au président de la République qui continue à légiférer par ordonnances. La précarité sociale, l'indigence à la périphérie des villes et le profond abattement de la population, dus notamment au manque de perspectives réelles, ont créé une sorte de «no man's land», une absence de l'Etat régulateur, caractérisée par le retour aux émeutes, le recours de la part des citoyens aux moyens violents et le soulèvement des jeunes (même de jeunes lycéens de la région de Djelfa ont manifesté, en septembre 2003, en bloquant les routes). Tout cela se passe dans un contexte politique de pré-campagne présidentielle et l'on se retrouve face à cet antagonisme cruel: une population désabusée qui fait face à un pouvoir ultra-hégémonique qui n'entend pas se renouveler de sitôt. En deux mots, c'est une situation propice aux islamistes dont le retour est toujours motivé par une forte exacerbation sociale. Si Abassi Madani, qui attend toujours une réponse claire et favorable de Hassan Hattab, arrive à mener à terme son initiative de faire déposer au Gspc les armes, il peut espérer sinon un retour à la scène politique légale, du moins une reconnaissance officielle des autorités. En d'autres termes, le FIS pourra dire: «Voilà, on peut arriver à une solution négociée avec les groupes armés pour peu qu'on laisse les leaders agir librement». Le n°2 et figure emblématique du parti dissous, Ali Benhadj, est en train de dire qu'il n'est pas «un terroriste». Son plaidoyer devant Rafik Ksentini, le président de la Commission nationale pour la promotion et la protection des droits de l'Homme, et qui a été rapporté sur le site internet du FIS, a démontré la faculté des deux leaders de l'ex-FIS à rebondir politiquement et profiter des contextes difficiles pour se placer comme une alternative aux modèles existants aux yeux de la jeunesse islamiste urbaine. Il y a près d'un an, Mourad Dhina, le maître à penser du FIS à l'étranger, avait exprimé son souhait de contacter tous les chefs des groupes armés en vue de les amener à rester à l'écoute des instances dirigeantes du parti et de déposer les armes, le temps voulu. Finalement, il semble bien que c'est le Gspc qui focalise aujourd'hui toute l'attention de la direction du FIS. Créé fin 1998, le Gspc a bénéficié de l'apport de plusieurs officiers déserteurs et d'anciens militaires qui ont rejoint le maquis. Parfois contesté, Hassan Hattab reste, à ce jour, le véritable et unique chef de l'organisation qui bénéficie d'une structure super-organisée et d'une stratégie qui lui permet de ne pas s'aliéner les populations locales. Les dissensions dont ont parlé les médias à profusion ces derniers jours restent à confirmer, car même les chefs locaux de Tizi Ouzou, Bouira et l'Extrême-Est prêtent toujours allégeance à Hattab. L'autonomie dont usent certains chefs du Gspc, tels Mokhtar Belmokhtar au Sud, ou Amari Saïfi, dit «Abderezak El Para» au Sud-Est n'ébranle pas pour autant la prépondérance de Hattab sur ses lieutenants, qui à l'instar d'Okacha El Para et les chefs des katibate de la région kabyle, lui restent attachés par l'acte de foi, «la moubayaâ», prêté en septembre 1997, dans le maquis de Sidi Ali Bounab, «jusqu'à ce que mort s'ensuive» («moubayaâ âla el-maout»). Hattab a très souvent rejeté le dialogue qui lui a été suggéré, préférant mener une guerre d'usure sans objectifs politiques clairs. Fort de l'apport d'au moins 500 hommes, le Gspc reste hégémonique à Boumerdès, à Tizi Ouzou, à Bouira, à Tébessa, à Batna, à Sétif, à Jijel, à Skikda, à Annaba et à Souk Ahras, d'où son principal rival, le GIA, a été totalement banni.