La chanson raï a-t-elle perdu son statut de contestat-song par excellence d'une jeunesse désabusée ? Pour beaucoup, le raï est en plein déclin et rien ne peut arrêter sa chute dans les abysses de l'oubli. Il a fait son temps et ceux qui s'y accrocheraient seraient les nostalgiques d'un air révolu, les «baba- cools» de demain. Pourtant, rien ne prédestinait ce genre musical à une fin aussi dure. Les stars mondiales qui s'en étaient inspirées pour gagner des places dans le hit-parade (Sting et autres) ne l'ont utilisé que comme tremplin sans rien lui donner en retour. Khaled et Mami grisés par une ascension fulgurante ont été vite «bouffés» par les exigences du show-biz toujours aussi contraignant. Mekki Nouna, un chantre de la chanson oranaise n'épargne personne pour désigner ceux qu'il accuse d'être derrière le déclin de cette chanson symbole. «Le raï n'est pas né dans les bouges, il n'était pas le condensé de vulgarités qu'il est maintenant. S'hab El Baroud était le cri de coeur d'un conscient qui avait refusé de rejoindre les rangs de l'armée française. Condamné à une très lourde peine de prison et au bannissement, il avait écrit les paroles de la chanson devenue célèbre plus tard», dira-t-il. «C'était comme les célèbres paroles d'un autre circonscrit condamné à mort et exécuté à Héliopolis en 1924» (allusion à Abderrahmane El Kafi qui avait pondu un poème en arabe algérien truffé de vulgarité, ndlr), dira M. Nouna. Puis le raï a perdu de se verve pour devenir une musique qui accompagne les libations dans des bouges et autres beuveries. Cette situation durera longtemps malgré les tentatives de feu Ahmed Saber, Ahmed Wahbi ou encore Blaoui Houari, de reprendre les paroles de Benkhlouf et autres paroliers de l'époque. Malgré cela les préjugés avaient la peau dure et le raï continuait d'être un boulet que traînait difficilement la musique algérienne. Il continuait à se transmettre via quelques éditeurs audacieux qui lui permirent de faire de furtives incursions dans l'espace musical (Bouteldja Belkacem avec son célèbre Milouda ou encore Boutaïba Sghir et son compère Bellemou). Cela n'a pas empêché les puristes de maintenir le raï dans le ghetto des bas-fonds. Durant les années soixante-dix, les cassettes de cheb Khaled, Hamid, El Hendi ou encore Rimiti circulaient sous le manteau. On ne pouvait pas crier sur les toits les refrains du raï, on se mettait entre groupes d'amis pour écouter, en sourdine, les complaintes des chanteurs. Les scènes publiques étaient interdites aux chanteurs de raï qui devaient se contenter des discothèques et autres cabarets pour ne pas perdre de temps. «Puis, il y eut le premier festival de la jeunesse en 1985 à Ryadh El-Feth et l'incursion en fanfare de cheb Khaled aux côtés de Touré Kounda et autres Alpha Blondy et son fameux Brigadier Savary», dira M.Nouna. Ce fut la revanche de la musique raï qui avait réussi à casser les carcans et à gagner d'autres auditoires. Il serait naïf de croire que le régime politique n'avait pas favorisé l'émergence du raï. Pour contrer la vague islamiste qui déferlait et la colère citoyenne qui annonçait la révolte du 5 octobre 1988, le régime en place avait trouvé en cette musique le moyen de donner un peu d'évasion à la jeunesse. L'ascension se poursuivra en 1986 avec le festival de Bobigny en France qui consacrera l'irruption du raï sur les plates-bandes du show-biz mondial, Khaled, Mami, Rimiti, Fadhéla, Faudel, profiteront du besoin de la musique occidental d'une touche d'exotisme pour gravir les échelons de la renommée. Cette période faste durera jusqu'au début des années quatre-vingt-dix et à l'apparition de la guerre entre éditeurs. «A cette époque, un titre était édité par 3 ou 4 éditeurs, parfois le même mois. Feu Hasni s'est retrouvé même à enregistrer 2 albums différents pour 2 éditeurs différents. Cette guerre mettra sur le devant de la scène des cohortes de chebs qui retombaient dans l'oubli aussitôt connus. Le terrorisme aidant, le raï perdra de sa verve et de son mordant pour devenir la musique ronronnante qui n'intéressait plus personne. Même les grands éditeurs mondiaux s'en détournent», dira M.Nouna. Aujourd'hui, avec l'éruption de l'outil informatique et des multiples possibilités qu'il offre, le raï a continué sa chute, supplantée par la vogue hip-hop et R'nb. Les éditeurs aujourd'hui peuvent se livrer à leur guerre sans risque de perdre gros. Ils peuvent prendre n'importe quelle voix, la soumettre au dernier opérateur en informatique pour avoir leur tube prêt à enivrer des auditeurs l'espace d'un été. La voix, les paroles sont devenues de simples accessoires. «Le raï est comme le phoenix, il renaîtra de ses cendres un jour, l'essentiel est d'y croire», dira notre interlocuteur qui ne veut pas se mettre dans la tête, l'idée que pour la musique raï, la sentence est belle et bien entendue.