Il s'agit d'une nouvelle victoire pour celui qui a fait trembler les parachutistes de Massu. Censuré en France depuis sa sortie en 1965, La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo sort de son «ghetto» avec sa diffusion sur Arte, dans des salles de cinéma et la mise inédite sur le marché d'un double DVD. Yacef Saâdi, héros du film et détenteur de ses droits, nous expliquait dans un entretien qu'il nous a accordé depuis peu, à l'occasion de ce cinquantenaire, que ce film dont il assure la promotion partout dans le monde, est avant tout un message de paix, de tolérance, qui interpelle les consciences et dit à l'homme de ne plus jamais tomber dans les travers des guerres coloniales, avec les crimes odieux qu'elles engendrent. Interdit en 1965, sorti en France et très vite retiré des écrans en 1971, ce film-culte, présenté pour la première fois au festival de Cannes et ressorti discrètement dans une salle parisienne en 2004, est enfin édité en DVD sur une initiative de son producteur Yacef Saâdi. Le DVD est produit par Studio Canal et parrainé par le journal Libération et le magazine Courrier International. Il sera disponible dans les réseaux de distribution dès le 8 novembre prochain. La chaîne de télévision Arte qui l'aura diffusé déjà le 4 novembre, le rediffusera le 8 novembre au cours de soirées «Théma» généralement rythmées par des débats. Yacef Saâdi, également héros de La Bataille d'Alger, devrait prendre part à ces débats avant de s'envoler pour la Suisse où l'attendent de nouvelles tribunes dans le cadre de la promotion de son film et des messages humanitaires qu'il porte. Malgré son Lion d'or au festival de Venise et trois nominations aux Oscars, La Bataille d'Alger sera interdit en France et n'obtiendra son visa d'exploitation qu'en 1970. A Paris comme en Province, l'exploitation du film est vite remise en cause à la suite de nombreux actes de sabotage dans les salles projetant le film. Charges explosives, écrans lacérés, bobines détruites à l'acide sulfurique, menaces de mort, écrits et lettres de lecteurs rageurs : rien n'aura été évité pour ostraciser le film. Une preuve que les nostalgiques de «l'Algérie françaises», sinistres descendants de la criminelle OAS sont encore loin de désarmer, même si de nos jours ils tentent de se faire quelque peu discrets. Ironie tragique du sort, les scènes de torture ultra-réalistes tournées caméra à l'épaule pour leur conférer un cachet d'authenticité, furent utilisées comme modèles par des généraux français pour assurer l'enseignement de la Question aux différents dictateurs latino-américains dans les années 70. «Magnifique! C'est proche de la vérité comme on ne peut pas mieux faire», s'était écrié à propos du film, un grand spécialiste, le tristement célèbre général Paul Aussaresses. En août 2003, quelques mois avant la révélation des «sévices d'Abou Ghraïb» en Irak, une projection de La Bataille d'Alger a été organisée au Pentagone. L'information devait nous en être révélée en exclusivité dans l'entretien cité plus haut. Un responsable du ministère de la Défense américain a déclaré, à ce propos, que cette projection était destinée à «provoquer une discussion informelle sur les défis auxquels les Français ont dû faire face» pendant la lutte de Libération nationale. La Bataille d'Alger, des années plus tard, reste d'actualité plus que jamais parce que l'homme n'a pas tiré les leçons de ses errements passés. Tant qu'il en sera ainsi, Yacef Saâdi, infatigable, ne laissera pas tomber son bâton de pèlerin et continuera de sillonner le monde entier, plaidant en faveur de la paix et du règlement pacifique de tous les litiges entre communautés ou Etats.