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"La liberté est plus présente dans le livre"
DEBAT À L'INSTITUT FRANÇAIS D'ALGER AVEC CHAWKI AMARI ET KAMEL DAOUD
Publié dans L'Expression le 21 - 09 - 2015


Deux grands auteurs
«Si la liberté d'expression se limite aux idées qui nous conviennent, ce n'est pas la liberté d'expression», cette citation de Noam Chomsky, correspond parfaitement au débat organisé samedi soir à l'Institut français d'Alger, sur les limites de la liberté dans l'écriture, animé par deux écrivains et journalistes talentueux: Chawki Amari et Kamel Daoud.
C'est dans une salle de l'IFA acquise à leur cause, en présence de l'ambassadeur de France à Alger, M.Bernard Emié, du directeur des Instituts de France d'Algérie, Alexis Andres et du nouveau directeur de l'IFA, Jean-Jacques Beucler, que le débat a eu lieu, en l'absence des principaux écrivains et des journalistes algériens. Il faut dire que la conférence parlait essentiellement de liberté d'expression et de littérature. C'est Noredine Azzouz, le directeur du journal Reporters, modérateur du débat, qui a ouvert le bal des questions et qui s'est interrogé sur le pouvoir de l'écrivain dans la littérature. Kamel Daoud, le lauréat du Goncourt du premier roman en 2015, très attendu par l'assistance, a été le premier à intervenir dans ce débat très intellectuel.
Pour lui, l'auteur est beaucoup moins engagé. Pour lui, la littérature n'est pas acquise, elle est arrachée après plusieurs essais. Il avoue à demi-mot que depuis sa consécration, il n'a plus de liberté d'écrire. Il est depuis, constamment attendu, épié et surveillé sur ses écrits et ses déclarations. «J'aime être dépositaire de la liberté pour échapper au pouvoir et si j'écris c'est pour échapper au pouvoir» a expliqué l'auteur de Meursault, contre-enquête. Pour Amari Chawki, les choses sont plus complexes.
«Quand on écrit une chronique on a une responsabilité? on ne peut pas tout écrire.» L'écrivain et le chroniqueur d'El Watan, ira plus loin dans ses déclarations: «Les médias et les livres façonnent l'opinion, ils ont une responsabilité économique et politique», avant d'ajouter: «Les médias aujourd'hui fabriquent des guerres» et de lancer devant une assistance et quelques journalistes: «Journaliste est un métier honteux.» Kamel Daoud explique pour sa part que depuis le succès de son roman, il a une responsabilité: «J'ai peur, j'ai un regard au-delà de l'épaule, je n'arrive plus à écrire librement.» Le chroniqueur du Quotidien d'Oran affirme qu'après avoir encaissé les coups et les attaques de toutes parts, et qu'il a décidé de répondre et de contre-attaquer. «Aujourd'hui, tout acte littéraire est sur-politisé. La littérature devrait être un acte d'amusement et de sens» affirme l'auteur.
Pour Amari, la liberté est dans la littérature. «Il est plus difficile de critiquer dans un journal que dans un livre. Ceux qui écrivent des livres sont plus libres.» Tout en relevant que l'écrivain est soumis aux lignes rouges de l'éditeur, il affirme que les nouvelles technologies et les réseaux sociaux apportent plus de liberté et de réaction à l'auteur, citant l'exemple de Mustapha Benfodil qui a accepté de mettre en ligne gratuitement son livre sur Internet. Une personne présente dans la salle d'à-côté où la conférence était également projetée pour ceux qui n'ont pas pu accéder à la salle de conférences, posa une question sur la cible des écrivains algériens de langue française. Une question qui a tout de suite fait réagir Chawki Amari, qui se posa à son tour la question: «On écrit en français, on s'exprime en français, à l'Institut français, on fait une conférence, pas à Paris mais à Alger: on est des pieds-noirs!!!!», s'interroge l'écrivain devant la stupéfaction de l'assistance et au premier rang l'ambassadeur de France. Le débat qui se voulait d'échange d'idées et d'expériences s'est vite transformé en une scène de spectacle où Amari Chawki a sensiblement volé la vedette à Kamel Daoud. L'auteur du livre Après-demain aux éditions Chihab revient à sa ligne de conduite et précise que son public est avant tout algérien, tout en critiquant l'attitude de certains écrivains algériens qui ont toujours un complexe du colonisé et qui écrivent exclusivement pour un lectorat français pour s'acheter une notoriété. Le débat sur la liberté d'écrire change aussitôt de direction pour atterrir sur le cas de Boualem Sensal, l'écrivain algérien interdit en Algérie, après avoir fait un voyage en Israël et qui est actuellement sélectionné dans quatre concours en France. La perche est tendue par une journaliste aux deux écrivains. Pour Chawki Amari: un écrivain a le droit d'écrire ce qu'il veut, mais il y a des considérations sociales et économiques. «On ne va pas dîner au Crif, considéré comme une organisation sioniste par excellence et parler d'humanité», s'insurge Chawki. De son côté, Kamel Daoud n'a pas la même approche sur Sensal: «Je suis fier de la sélection de Sensal aux quatre prix, je suis également fier pour tout écrivain algérien qui porte un mot ou un verbe très haut. Pour ce qui est de la position politique de Sensal je ne veux pas le juger! Je suis contre cette mini guerre civile entre écrivains algériens» avant de conclure sous les applaudissements: «L'essentiel, il faut lire et écrire, c'est plus important!». Le débat qui a duré une heure et demie aurait pu voler plus haut si les questions des intervenants étaient plus précises et pointues. Notons enfin, l'autocensure des écrivains sur la question de la religion a été également évoquée entre les lignes dans le débat, mais la question des lignes rouges sur le thème de la guerre d'Algérie dans la littérature algérienne a été soigneusement évitée.


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