Qui a gagné la présidentielle ukrainienne? C'est la question qui se posait hier alors que le syndrome géorgien tendait à se reproduire à Kiev. Des centaines de milliers de sympathisants du candidat de l'opposition Victor Iouchtchenko manifestent depuis mardi devant le Parlement ukrainien exigeant la proclamation de la victoire de leur favori. Ce dernier conteste en effet les résultats qui donnent la victoire au Premier ministre Victor Ianoukovitch, soutenu par le président sortant et Moscou. D'ailleurs alors même que les résultats ne sont pas encore officiellement proclamés, Vladimir Poutine s'est empressé de «féliciter» M.Ianoukovitch de «sa victoire» de ce que d'aucuns ont estimé comme étant une «gaffe» de la part du président russe. Parlant de fraude massive, l'opposition indique que «la farce politique qui est à l'oeuvre (...) est très dangereuse et peut conduire à des conséquences inattendues». De fait, devant l'ampleur que prend la contestation, le président sortant, Leonid Koutchma demande «à toutes les parties d'ouvrir immédiatement des discussions pour mettre un terme à la crise». Ce qui n'a pas manqué de faire réagir Irina Herachtchenko, la porte-parole de l'opposant Victor Iouchtchenko, indiquant: «Il n'y a pas eu de négociations. Nous sommes étonnés par l'attitude de Léonid Koutchma (président sortant) qui refuse d'admettre ce qui se passe dans le pays, refuse de reconnaître que le scrutin a été falsifié». Selon elle, «les autorités doivent reconnaître ces fraudes massives. C'est une condition sine qua non à la tenue de négociations». De fait, la crise ukrainienne est en phase de s'internationaliser avec les réactions très vives de l'Union européenne qui fait part de sa préoccupation et de ses craintes d'éventuels dépassements dans une situation qui risque de devenir incontrôlée. Aussi, l'UE fait-elle une supplique aux autorités ukrainiennes, déclare Emma Udwin porte-parole de la commissaire européenne aux Relations extérieures Benita Ferrero-Waldner, qui indique dans une déclaration à la presse: «Nous pressons nos partenaires ukrainiens de résister à (la tentation) d'annoncer les résultats tant que cette révision n'a pas eu lieu». Javier Solana, Mr.Diplomatie de l'UE, renchérit: «Ce pays est maintenant à la croisée des chemins. Nous ne pouvons exclure une explosion de violence», a-t-il dit devant la commission des Affaires étrangères du Parlement européen. «L'Ukraine est un pays très important pour la stabilité en Europe» ajoute-t-il. Le président de la Commission européenne, le Portugais Manuel Durao Barroso, fraîchement élu à la tête de l'UE, est encore plus ferme en affirmant que la question ukrainienne serait au centre du sommet Union européenne-Russie qui s'ouvre aujourd'hui à Bruxelles indiquant sa détermination à livrer le fond de sa pensée au président russe Vladimir Poutine, «Dans les discussions que nous aurons demain (aujourd'hui), nous allons dire haut, clair et fort ce que nous pensons aux autorités de la fédération de Russie». M.Barroso de souligner: «Il est de notre devoir de dire haut et clair que nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont se sont déroulées les élections en Ukraine», ajoutant dans une déclaration à la presse faite hier: «En faisant cette déclaration, nous avons l'intention que l'on trouve une solution, que l'on évite les violences, et donc cette déclaration doit être vue dans un esprit constructif. C'est ainsi que demain, nous transmettrons ce message aux autorités russes». Plus pondéré le président bulgare, Solomon Passi, président en exercice de l'Osce (Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe) invite les deux parties ukrainiennes au dialogue appelant «toutes les parties en Ukraine à mener un dialogue pacifique et à s'abstenir de violence et de déclarations encourageant la violence». «J'appelle les autorités à enquêter de manière globale, active et rapide sur les irrégularités établies. Celles-ci doivent être corrigées dans les délais prévus par la loi», a-t-il souligné dans une déclaration diffusée hier à Sofia. De fait, la situation était hier assez incertaine à Kiev, la capitale, et dans les principales villes du pays, paralysées par d'imposantes manifestations de l'opposition. A tel point que le ministre ukrainien de la Défense, Oleksander Kouzmouk, a diffusé hier un démenti, certifiant que les manifestations n'induiraient aucun mouvement de troupes. «En dépit de toutes les rumeurs et de toutes les déclarations provocatrices, je veux vous assurer qu'il n'y a eu aucun mouvement de troupes ou d'équipements militaires non programmé et qu'il n'y en aura pas à l'avenir», déclare-t-il dans un communiqué. Le bras de fer entre Victor Iouchtchenko, pro-occidental, -qui veut arrimer l'Ukraine (frontalière avec les nouveaux membres de l'Union européenne telle la Pologne) à l'Europe-, et le vainqueur désigné, Victor Ianoukovitch, pro-russe, - qui souhaite au contraire renforcer les liens avec Moscou et, voire, «(ré)intégrer» l'Ukraine à la Fédération russe- risque fort de déraper si la sagesse et la pondération ne sont pas mis à contribution.