Les hommes d'une époque dorée de l'Algérie indépendante Noureddine Nait Mazi, l'un des pères fondateurs de la presse algérienne est décédé jeudi à Paris à l'âge de 81 ans. C'est par cette triste nouvelle que le monde de la presse, et plus largement celui de la grande muette constituée par l'intelligentsia, a appris le départ pour des cieux plus cléments de ce météore qui a marqué des générations d'hommes des médias et a qui su, quand il a décidé, se retirer sur la pointe des pieds quand ses convictions n'étaient plus en phase avec le maelström qui s'est emparé de la presse. Qui est Noureddine Nait Mazi? A travers tous les éloges qui ont fusé rapidement, quel que soit le bord, tant il faisait l'unanimité auprès de la profession qui avait, comme on le dit la reconnaissance du ventre, on apprend que, comme tout jeune Algérien des années cinquante, ce fils d'un fellah émigré, originaire de la wilaya de Tizi Ouzou, a rejoint très jeune le Mouvement national au sein du PPA-MTLD. Il a par la suite contribué au journal Libre Algérie à Paris. Arrêté par la police française à Paris en avril 1956, il est incarcéré à la prison de la Santé, puis à la prison de Fresnes. Condamné pour insoumission et atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, il est détenu en France en 1956-1957. A son élargissement, il déserte l'armée française et se réfugie en République Fédérale d'Allemagne. Après la reconquête de l'indépendance, il rentre en Algérie. Il aura alors la grande tâche de continuer à donner au journal El Moudjahid de la révolution, en inculquant à ses collaborateurs, par-dessus tout, la rigueur, l'objectivité. Ce qui ne fut pas facile pour un journal d'Etat et comme il le dit: «Je ne recevais pas de coup de fil chaque matin du ministre.» En clair, il avait fait des interstices de liberté à la presse permis par le pouvoir, un boulevard où chacun y trouvait son compte et où l'honneur de la profession était sauf. Boumediene meurt, il sera libéré de ses fonctions avant d'être rappelé en 1983, il éditera alors un autre journal, le quotidien du soir Horizons en 1985. En 1990 il se retire avec élégance et dans la discrétion dont seuls les grands hommes ont le secret. Les éloges mérités Pour N. Krim: «Nait Mazi sut allier rigueur et ouverture d'esprit, inculquant à tous ceux qui l'ont côtoyé l'humilité et le travail bien fait. Avant de devenir l'un des pivots du journal El Moudjahid, Noureddine Nait Mazi a fait ses «humanités» journalistiques au journal Le Peuple, le tout premier journal algérien fondé au lendemain même de l'indépendance. C'était en septembre 1962 quand les Européens, dans le sillage de la libération de l'Algérie, ont quitté le pays laissant le vide derrière eux (...) De fait, les premiers six mois d'indépendance ont été une période charnière pour des hommes qui avaient alors tout à apprendre, à assimiler dans un métier longtemps fermé aux Algériens durant la période coloniale. Cela a été certes, une étape difficile, mais une page extraordinaire que la presse algérienne commençait alors à écrire. Il faut le relever et le dire, Noureddine Nait Mazi a été l'une des chevilles ouvrières de cette bataille, gagnée, (...) Surtout, Noureddine Nait Mazi fit d'El Moudjahid une véritable école de journalisme, laissant une empreinte indélébile parmi ses disciples et confrères. Nombre de responsables de la presse privée aujourd'hui sont d'ailleurs sortis de cette école de journalisme qu'a été El Moudjahid. Nous sommes fiers d'avoir travaillé aux côtés de M.Nait Mazi et d'avoir beaucoup appris sur le métier sous la supervision d'un grand homme qui fit du journalisme un art.». (1) Même sollicitude de notre aîné Kaddour M'Hamsadji qui lors d'un hommage qui lui a été rendu lors du salon du Livre 2011, s'est adressé à lui sous la forme d'un élégant discours: «Lorsque l'on rencontre un journaliste, il devient de plus en plus important de croire à la vertu qu'on lui donne qu'à celle qu'il se donne lui-même. Toutefois, la première comme la seconde se méritent non par le préjugé favorable, effet de la profession, mais par la pratique qualitative du dévouement personnel à la profession. Eh bien, notre ami Noureddine Nait Mazi en est un splendide et très utile spécimen(...)» (2) L'apostrophant d'une façon amicale, voire fraternelle, il poursuit: «Plus je te regarde et plus je constate que tu as toujours l'oeil limpide et doux et le même léger penchement de la tête tantôt à gauche tantôt à droite pour faire connaître discrètement le sens de ton sentiment. En avais-tu conscience? Cette attitude parfois conciliante, parfois énigmatique, toujours instructive, je l'avais déjà observée, il y a maintenant presque cinq décennies, presque un demi-siècle! Je veux dire que l'image de toi n'a pas changé et certainement le fond non plus. La formation des jeunes, assurer la relève, c'était pour toi une inflexible nécessité. Mon cher Sî Noureddine Nait Mazi, je ne vais pas évoquer le journaliste émérite qui a débuté, à l'indépendance, au journal Le Peuple, ni le directeur général à El Moudjahid que tu as été par deux fois (de 1971 à 1979 et de 1983 à 1990), car mieux que moi, tes collègues en général et tes confrères du quotidien spécialement, c'est-à-dire les plus proches, ont su le faire par ailleurs avec élégance et estime. Au reste, toi-même, quand l'actualité t'a interpellé, en 1997, tu as publié dans El Moudjahid dont tu n'étais plus le directeur depuis sept ans, un article très significatif de ta passion pour le journalisme de grande portée.» (2) «(...) Dans ton langage quotidien, on entendait, me répétait ton entourage, des mots forts de l'instant et de l'avenir: modernisme, informer autrement, curiosité, patience, culture, indépendance, observation, de l'humour pour gommer les humeurs, pour concilier les personnalités, l'ambition, le bon sens critique, la formation des jeunes en vue d'une prise de responsabilité, l'honnêteté intellectuelle, la juste indignation,... La liste est longue de tous ces mots qui ont du sens et qui claquent comme des drapeaux de toute presse nationale, triomphante et salutaire faite par des hommes et des femmes au service de leur société et de leur seul pays, l'Algérie.(...) En ce moment exceptionnel de ta vie d'homme ayant accompli sa mission d'homme, et face à tous ceux qui t'entourent de leur affectueuse présence, tu peux encore laisser - de modestie et d'émotion - s'exprimer ton sentiment par un paisible mouvement de la tête de droite à gauche ou de gauche à droite: oui, sois bienheureux vieux frère Noureddine Nait Mazi! Bonne santé et longue vie!».(2) Nait Mazi, un homme, un style Parlant d'une autre facette de l'homme, à savoir l'élégance naturelle et le port altier, un autre de ses admirateurs écrit: «On peut porter les meilleurs costumes du monde et s'habiller des plus beaux tissus, si on n'a pas la classe qui va avec, on ne sera jamais qu'un boudin drapé de deux-pièces et d'un gilet, la couture comprise... Noureddine Nait Mazi n'avait pas besoin d'être élégant pour en jeter, sa classe naturelle lui servait amplement de griffe. Et il en imposait, le bougre. Tous ceux qui l'approchaient étaient frappés par l'extraordinaire rayonnement qui irradiait de sa personne. Particulièrement, les visiteurs qui venaient le solliciter à El Moudjahid. Quant aux journalistes qui traînaient la patte, ils doivent sûrement se souvenir aujourd'hui de ses gueulantes mémorables dans les couloirs de la rédaction. (...) Ouvert au dialogue, mais cassant quand il s'agit de l'essentiel, Nait Mazi fait partie de ces hommes qui ont fait ce pays au moment où tout était à faire. Sans rechigner, comme un brave soldat. Et parce qu'il a été précisément un soldat de la construction en restant volontairement dans l'ombre qu'il a droit aujourd'hui à toute la lumière et à toute la reconnaissance de ses pairs. J'ai travaillé sous ses ordres pendant 20 ans et j'en suis fier. Son heure de gloire est enfin arrivée.» (3) C'est aussi l'éloge sincère de Hamid Grine. Nous lisons: «(...) Il était habité par la foi comme d'autres le sont par la passion de l'argent, du jeu ou des femmes. Et cette foi donnait à son physique à la Rock Hudson une sorte d'austérité qui en imposait. Ah! On allait l'oublier: Nait Mazi a un physique atypique dans la presse: très grand, très beau, élégant(...). Il a dû faire battre bien des coeurs. Mais lui son coeur ne bat que pour l'Algérie. (...) Un autre que lui aurait sans doute fait d'El Moudjahid une feuille de chou, lui en a fait un formidable outil de propagande pour le régime. Il a su fédérer les multiples talents contradictoires pour en tirer le meilleur de chacun. (..) La délation n'est pas son style. La danse du ventre non plus. Engagé dans la bataille de construction du pays, il sera marqué par le rôle grandissant qu'occupera l'Algérie dans le concert des nations. (...) Il a commencé sa carrière avec un stylo pour toute richesse, au moment du départ il aura la même richesse matérielle. Mais quelle formidable aventure intellectuelle et humaine!»(4). Ce que représente pour moi Monsieur Nait Mazi Je suis peut-être l'un des derniers à avoir découvert l'homme et le connaître que depuis quelques années. Naturellement, je savais comme tout un chacun qu'il avait présidé aux destinées du journal El Moudjahid et lui a fait tenir la tête hors de l'époque, à une époque où le politique ne s'embarrassait pas de respecter stricto-sensu la déontologie journalistique. L'exploit de M.Nait Mazi c'est d'avoir bâti un journal, en le crédibilisant. Il me rappelle quelque part Joseph Pullitzer qui écrivait:«Notre République et sa presse prendront de l'essor ou s'effondreront ensemble, écrivait Pullitzer.» Une presse compétente, désintéressée, dévouée à la chose publique, intelligente, exercée à discerner le bien et ayant le courage de le faire peut préserver la morale publique sans laquelle un gouvernement populaire est une imposture et une parodie. Cette conviction de Joseph Pulitzer devrait de notre point de vue, être le bréviaire de la profession du journalisme, qui, on le sait, est, à la fois, capable du meilleur comme du pire. C'est à se demander s'il existe encore une presse libre de par le monde. Tout cependant n'est pas noir! Il existe et c'est heureux, des gens honnêtes au sens de l'honnête homme de Voltaire. Justement, l'occasion nous est donnée de rendre hommage de l'extérieur à un Monsieur du journalisme qui, à sa façon, a donné à cette profession ses lettres de noblesse.». (5) «On le voit, être journaliste c'est rentrer dans les ordres et faire voeu de vérité.» Comment ne pas penser à Noureddine Nait Mazi qui fait l'unanimité en tant que repère pour la profession. C'est ainsi que de quel côté qu'on l'observe - ses détracteurs comme ses amis- il fait l'unanimité en termes d'admiration et de déférence. Un slogan d'une campagne présidentielle en France m'a permis de trouver une expression pouvant le cerner-mais peut-on le faire?- «la force et la conscience tranquilles». Il en imposait par l'élégance de son physique, la limpidité du verbe et la netteté des idées. Le mérite de Nait Mazi c'est d'avoir donné une responsabilité au journal El Moudjahid et donné un professionnalisme à la profession balbutiante, profiter des interstices de liberté pour présenter un journal - qui tout en étant respectueux de la ligne- n'en respecte pas moins et il faut le saluer, les fondamentaux du journalisme.» (5) Noureddine Nait Mazi ne laissait pas indifférent. La majorité des anciens journalistes ont tous appris le métier sous sa gouvernance. Il m'a été donné de le connaître par un ami commun, M.Ahmed Fattani, qui m'a dit un jour que M.Nait Mazi me faisait la charité d'apprécier certaines de mes chroniques. De fil en aiguille l'idée de collationner certaines de mes contributions sous forme d'un ouvrage m'a amené à solliciter de lui une préface. C'est ainsi dans l'ouvrage Le Monde comme je le vois a vu l'immense privilège d'être préfacé généreusement par M.Noureddine Nait Mazi. Sans en faire une forme de publicité qui serait indécente, je veux proposer au lecteur quelques extraits de cette préface où on sent suinter à chaque phrase et devrais-je dire à chaque mot le bel usage du français, le mot juste, percutant et pourquoi ne pas le dire? généreux: «Comme il nous en avertit d'emblée en toute franchise, c'est le regard qu'il porte personnellement sur notre monde que le professeur Chems Eddine Chitour nous présente dans les pages qui suivent et qui contiennent une somme impressionnante d'observations, de citations... Mais en pédagogue expérimenté et pour mieux emporter notre adhésion, il fait oeuvre de décrypteur..Il appelle un chat,un chat pour mieux détruire les mythes. L'Algérie, cela va de soi est au coeur de son propos...Pour ma part, en refermant ces denses pages, j'ai gardé du professeur Chems Eddine Chitour l'image d'un homme d'une grande érudition, attaché à une défense sereine mais opiniâtre de la Vérité, de la Liberté et de la Justice.» Quelque part, ces lignes valent pour moi plus que cent diplômes, j'ai, en quelque sorte acquis une légitimité pour être écrivain au sens de M.Nait Mazi. Par ailleurs, j'ai apprécié plusieurs fois des conversations immatérielles par mails interposés, il me faisait profiter souvent d'informations qui m'avaient échappé et au fil des mails, j'ai compris quel en était le message sous-jacent; il voulait que mon jugement de valeur soit plus pertinent. Ainsi, d'une façon élégante sans rien «imposer», il me demandait, indirectement de témoigner. «Les lions dit un proverbe kabyle, ne meurent pas, ils disparaissent.» Nait Mazi fut un seigneur de la plume qui se retirera avec panache de la vie publique. Partez en paix cher M.Nait Mazi, vous avez bien mérité de la communauté des hommes, à votre façon de guerrier de la plume vous avez donné à la profession ses lettres de noblesse. Puissions-nous faire autant pour le plus grand bien de cette Algérie qui peine à se redéployer. Amen! 1.N. Krim http://www.lexpressiondz.com/ autres/dossiers/139990-noureddine-nait-mazi-recoit-l-hommage-du-sila.html 2.Kaddour M'Hamsadji http://www.lexpressiondz.com/autres/dossiers/139987-mon-cher-vieil-ami.html 3.http://www.lexpressiondz.com/autres/dossiers/139989-nait-mazi-un-homme-un-style.html 4.Hamid Grine: Noureddine Naït Mazi mythes vivants de la presse. Liberté 20 mars 2011 5.C.E. Chitour http://www.lexpressiondz. com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/139882-le-talent-et-l-elegance-du-pulitzer-algerien.html