Les vieux routiers du parti ont progressivement chauffé la salle à blanc. La soirée de lundi à mardi, comme nous l'attendions, a été riche en événements. Et en rebondissements. Alors que les interventions des militants, 70 en tout, traînaient en longueur et que la salle ronronnait d'un bourdonnement monotone et lassant, les dirigeants du parti ont mis en branle un système quasi infaillible pour remettre le congrès et, pourquoi pas le parti, sur les rails. Depuis la conférence de presse de Boualem Bessayeh, porte-parole du congrès, les spéculations sont allées bon train sur les relations exactes, tant organiques qu'institutionnelles, qui lieront désormais le premier parti du pays au Chef de l'Etat. Il est exactement 18h20, lorsque Abdelkader Hadjar prend la parole. Redresseur «modéré», connu pour être proche du président pour avoir été choisi à deux postes d'ambassadeur stratégiques, l'orateur, dans une subtile mise en train, se gardera bien d'évoquer le sujet. Il se contentera juste, en sa qualité de président de la commission des statuts, de souligner que «le FLN n'est ni laïque, ni islamiste, ni communiste». Cela, avant d'enchaîner sur la nécessaire réconciliation et unification des rangs en vue de relever hardiment les multiples défis qui attendent le parti, dans le cadre de la mise en application du programme présidentiel. Un joker nommé Saïdani Déjà, la salle s'anime un peu plus. tout semble prêt pour un premier coup de théâtre, savamment préparé à 20 minutes du journal télévisé, histoire de lui offrir une ouverture pour le moins inespérée. Amar Saïdani, troisième homme de l'Etat, président de l'APN, situé bien au-dessus du simple statut de «militant-congressiste», principal artisan de ces assises nous dit-on, prend enfin la parole. «J'appelle solennellement le président Bouteflika à accepter le poste de président du FLN, que les congressistes lui proposent unanimement.» C'est le délire dans la salle. Tout le monde est debout. Acclamations et youyous fusent à qui mieux-mieux. Des portraits de Bouteflika, cachés on ne sait où et brandis on ne sait comment, sont ostentatoirement brandis. Belkhadem, d'ordinaire prompt à ramener le calme dans la salle, laisse faire «stoïquement». Les rares journalistes et photographes restés assister à ce clou, s'en donnent véritablement à coeur joie. Dire que nous ne sommes pas encore au bout des surprises et des coups de théâtre. 20h 50. Après plusieurs autres interventions monotones, ne réussissant pas à «calmer» une salle désormais chauffée à blanc, l'assesseur de la commission des statuts qu'a présidée Salah Goudjil, prend à son tour la parole. C'est carrément un nouveau parti qui vient de voir le jour avec moins d'une dizaine de voix contre. L'idée de mettre en place le poste de président qu'élira le congrès est retenue. Idem par le remplacement du comité central par un conseil national, fort de quelque 550 élus. En lieu et place du bureau politique, seront mis en place une commission et un secrétariat exécutifs que chapeautera le futur secrétaire général, très probablement le «rassembleur», Abdelaziz Belkhadem, autour duquel un subtil consensus a fini par se tisser à la grande satisfaction de tous. Pour faire partie du conseil national, il faut totaliser sept années de militantisme. Il en faut dix pour entrer à la commission exécutive, forte, elle, de quelque 100 personnes. Pour ce qui est des élections, trois ans d'ancienneté sont exigés pour être présent sur une liste électorale d'APC, cinq pour les APW et sept pour l'APN. Le sort en est désormais jeté et rien ni personne ne pourra stopper la machine. C'est tellement vrai qu'il nous est loisible d'assister à plusieurs prises de bec, notamment entre Amar Tou et Abdelkrim Abada. Amar Saïdani, homme à tout faire dans ce congrès à rebondissements, s'éclipse régulièrement, parle souvent au téléphone, et paraît quelque peu, sinon soucieux, du moins en «stand by». Arrive enfin Abdelkader Messahel. Il est un peu moins de 21h. Toute la salle en conclut que le président Bouteflika est rentré d'Abuja, puisque son ministre délégué aux Affaires maghrébines l'accompagnait dans son déplacement. Historique(s) élection(s) L'homme, qui a sans doute dû avoir des conciliabules avec son président, paraît porteur de nouvelles. Il va de groupe en groupe. Multiplie les conciliabules et les «salamalecs». Tout le monde sent que quelque chose d'important se prépare, même s'il est devenu évident pour tous que Bouteflika ne viendra pas. La fatigue commence à gagner les présents. Beaucoup sortent s'aérer, alors que la pluie a repris, drue et très froide. Qu'importe. Ce n'est pas tous les jours qu'on vit un pareil congrès. Les présents, venus des quatre coins du pays, se battent à qui prendra la meilleure photo face à la tribune, aux slogans du congrès et aux portraits géants du président. Les ministres, eux aussi, sont pris sous les lumières de flashs sous tous les angles. Arrivé enfin ce que tout le monde attendait, espérait secrètement. Il est 21h 30, lorsque l'assesseur de la commission électorale, qu'a présidée Amar Saïdani, secondé en cela par Mohamed-Chérif Ould Abbès, donne lecture d'une motion très spéciale. Celle-ci propose la candidature de Bouteflika à la présidence du FLN afin, indique-t-on, que «ce parti se renforce et soit plus apte à mettre en application le programme électoral du chef de l'Etat, à commencer par les grands chantiers des réformes ainsi que la réconciliation nationale et l'amnistie générale». Les gens votent des deux mains et sautent à pieds joints pour être « mieux » comptés. Le moment semble mal choisi. Pourtant, c'est à ce moment que le sénateur Abderrahmane Belayat, vaincu dans son combat contre le changement des statuts, choisit pour quitter ostensiblement la Coupole, le visage renfrogné, suivi de deux ou trois fidèles. Belkhadem laisse la salle «délirer» pendant plus de dix minutes. c'est aussi le temps des grandes embrassades entre les frères ennemis d'hier, celui de la grande et enthousiaste réconciliation. Ce n'est pas pour rien si le futur secrétaire général et porte-parole du FLN, en reprenant laborieusement la parole, a parlé de «grands acquis pour le parti». L'allusion est aussi bien faite à l'élection spectaculaire de Bouteflika qu'à la réunification des rangs et l'adoption de nouveaux statuts, à même de doter le parti des outils nécessaires à ses nouvelles missions. Avant de clôturer la séance, aux environs de 23h 30, lecture est donnée des «responsables électoraux» pour chaque mouhafadha. Les votes, eux, ont eu lieu durant la nuit de lundi à mardi au niveau des hôtels. Hier matin, dès la reprise, les congressistes, mi-figue mi-raisin, nous annoncent que «les choses n'ont pas été faciles». Plusieurs coups de gueule ont été enregistrés entre les hommes des mouhafedhs et ceux des coordinateurs. Mais grosso modo, les urnes ont fini par trancher. «Un savant dosage entre les deux ailes, déclarent nos sources, a pu être dégagé démocratiquement.»