Abane Ramdane est un mythe et les mythes ont la peau dure. Malgré les attaques et autres accusations d'autoritarisme et de trahison dont il a fait l'objet, de son vivant comparées à son assassinat, son nom résonne toujours comme une mélopée sacrée dans les coeurs de millions d'Algériens. Abane Ramdane est bel et bien un mythe qui continue à frapper l'imaginaire, à structurer des visions, à susciter des polémiques, à émouvoir, à donner espoir et à faire peur. L'engagement nationaliste Né le 10 juin 1920 à Larbaâ Nath Irathen, en Kabylie, Abane Ramdane a commencé ses études dans son village natal, Azouza. En 1933, il obtient son certificat d'études primaires à titre indigène. En octobre de la même année, il rejoint le collège Duveyrier à Blida où il accomplit toute sa scolarité secondaire, huit ans durant, en tant qu'interne. En 1942, il en sort avec un bac mathématiques. Mobilisé aussitôt, dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, il fut affecté, avec le grade de sous-officier, dans un régiment de tirailleurs algériens stationné à Blida, en attendant son départ pour l'Italie. Une fois démobilisé, au milieu des années 1945, il fut nommé secrétaire de la commune mixte de Châteaudun du Rhummel, aujourd'hui Chelghoum Laïd et intègre, parallèlement, le Parti du peuple algérien (PPA) dont il deviendra, en 1948, chef de wilaya, d'abord à Sétif, ensuite dans l'Oranie. Néanmoins, quelque temps après les massacres du 8-Mai 1945, il quitte son poste, entre dans la clandestinité et se consacre à la cause nationale où il intensifie ses actions, notamment dans le cadre de l'Organisation spéciale, dont il était membre. Condamné par contumace à plusieurs reprises pour divers chefs d'inculpation liés particulièrement «au trouble à l'ordre public» et à «l'atteinte aux autorités», il finit par être arrêté en 1950. Jugé en 1951, il fut condamné à six ans de prison,10 ans d'interdiction de séjour,10 ans de privation des droits civiques et 500.000 francs d'amende pour «atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat». Incarcéré à Bougie (Béjaïa actuellement), à Barberousse (Serkadji), à Maison Carrée (El Harrach) et en métropole, aux Baumettes, au début de l'année 1952, il est transféré à Ensisheim (Haut-Rhin, Alsace) dans une prison de haute sécurité. Soumis à un régime de détention de droit commun, il entame une longue grève de la faim, pour revendiquer le statut de prisonnier politique. Après un calvaire de plusieurs semaines, il obtint gain de cause et fut transféré à la prison d'Albi, à Toulouse, comme détenu politique. En 1954, il a été transféré à la prison de Maison Carrée (El Harrach). Libéré le 18 janvier 1955, Abane Ramdane a été assigné à résidence à Azouza. La Kabylie est alors en rébellion contre l'ordre colonial et l'ambiance n'y était pas festive. La résistance révolutionnaire était le secret que tout le monde se passait, sous le manteau de préférence, publiquement, si nécessaire. De ce fait, après quelques jours passés aux côtés de sa mère alors paralysée, contacté par Krim Belkacem et Ouamrane, il quitte son village et entre à nouveau dans la clandestinité. Aussitôt, il prend la direction d'Alger. Le 1er avril 1955, il fait un appel à l'union et à l'engagement du peuple algérien, ce qui constitue un prélude à la naissance d'un front unissant l'ensemble des Algériens dans un élan révolutionnaire. «En mars 1955, au moment où Abane Ramdane arrive à Alger et y aborde la révolution, celle-ci n'a commencé que depuis quatre mois. C'est bien peu, mais cela suffit, à un oeil exercé et à un esprit lucide pour s'en faire une idée précise, à la seule fin d'en évaluer le chemin parcouru», écrit sur ce point Khalfa Mammeri dans son livre Abane Ramdane: finalement le père de la révolution. Quelques temps après, une évaluation rigoureuse de la situation ayant été faite, la décision d'organiser un congrès pour unir les forces politiques en mouvements et mettre fin aux anciennes rivalités interpartisanes et aux séquelles héritées de la crise du PPA-Mtld est née. Mais personne, à ce moment-là, ne savait à quoi ressemblerait une pareille réunion. Après les événements du 20 Août 1955 dans le Constantinois, Abane Ramdane entame un échange épistolaire avec plusieurs chefs de région ainsi qu' avec les délégués de la révolution présents au Caire, à savoir Hocine Ait Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf et Mohamed Khider. Zighout Youcef lui envoie des émissaires pour le rencontrer à Alger et lui proposer une réunion des responsables de la révolution. Le 1er décembre 1955, il écrit aux délégués de l'éxtérieur: «Nous sommes en liaison avec le Constantinois. Nous avons rencontré les responsables et nous projetons de tenir, quelque part en Algérie, une réunion très importante des grands responsables du Constantinois, Algérois et Oranais. Dès que tout cela sera prêt, nous vous demanderons d'envoyer un ou deux représentants car de grandes décisions seront prises.» Dans son livre Le Courrier Alger-Le Caire, Mebrouk Belhoucine indique que début novembre 1955, Abane Ramdane avait envoyé Dahleb en Zone 2 (Wilaya II historique) pour discuter les formalités d'une telle rencontre. Celui-ci obtient l'accord de Zighoud pour la réunion des responsables des différentes zones et de responsables à l'extérieur, se proposant même de l'organiser dans sa zone et d'en assumer la sécurité. Bien plus, selon lui, Zighout estimait qu'une telle réunion était la suite logique de celle prévue pour janvier 1955, par les six pères de la Révolution, avant même le 1er Novembre 1954. L'objectif de cette réunion était de faire le bilan des opérations et de coordonner leurs actions. Des mois, durant, après plusieurs échanges entre les zones et avec la délégation extérieure au cours desquelles la date et le lieu de la tenue de la rencontre restaient toujours imprécis, la vallée de la Soummam a été retenue et ladite réunion a eu lieu le 20 Août en l' absence de représentants des Aurès, du Sud et de la délégation extérieure et en présence de Zighoud, Bentobbal, Larbi Ben M'hidi (en remplacement de Boussouf qui était prévu à cette réunion), Krim et Abane. La réunion a débuté le lundi 20 Août 1956 à 8h avec six personnes: Ben M'hidi, Abane, Krim, Zighout, Bentobal et Ouamrane. Elle était présidée par Larbi Ben M'hidi et Abane Ramdane en avait assuré le secrétariat. Assassinat de Abane Pourquoi Abane a-t-il été assassiné? Le mystère est toujours d'actualité même si quelques témoignages en donnent des éléments de réponse. Selon Mebrouk Belhoucine, dans une tribune publiée le 1er novembre 2004 sur le journal El Watan, Abane a été liquidé pour avoir refusé de souscrire à l'annulation du principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur, lors de la première réunion du Cnra et pour avoir, longtemps après, continué à revendiquer sa pertinence. Mohamed Lebdjaoui de son côté, écrit, citant Krim Belkacem, dans son livre Vérités sur la Révolution algérienne, que Boussouf a décidé seul d'assassiner Abane sous prexte qu'«il n'y a pas de prison assez sûre pour garder Abane», sachant que Krim, Ben Tobbal, Boussouf, Mahmoud Chérif et Ouamrane avaient pris la décision de le mettre en état d'arrestation, à l'insu des autres membres du CCE, en vue de le juger par la suite parce que, selon Krim, il «créait des situations frictionnelles dans le mouvement». La mort de Abane Ramdane a traumatisé plus d'un et continue de marquer les esprits. Mais ce que ses assassins ignoraient sans doute, c'est que, en tuant l'homme, ils ont donné naissance à un mythe. Un mythe qui a la fluidité de l'eau, la chaleur du feu et la force du temps.