Le réalisateur entre Rachida Brakni et Amazigh Kateb «On ne s'est pas donné le mandat de donner de leçon sur la décennie noire. On suit deux personnages. Ne pas donner de leçon politique et être sobre à l'image c'est ce qui importait», a affirmé le réalisateur. Tant attendu, le film de Salem Brahimi, Maintenant ils peuvent venir d'après le roman de Arezki Mellal (2000), a été enfin projeté en Algérie mardi dernier, et ce, dans le cadre de la seconde édition du Festival international du film méditerranéen, au théâtre régional d'Annaba Azzedine-Medjoubi. Le réalisateur était accompagné par la productrice du long métrage Michelle Gavras et de l'acteur/chanteur Amazigh Kateb qui interprète le rôle de Noureddine. Prix du jury au festival de Dubai en 2015, Maintenant ils peuvent venir est une fresque sociale qui traverse l'époque de la décennie noire, avec quelques marqueurs historiques cela dit, sans qu'ils soient les plus implorants dans la chronologie de cette époque en Algérie. Coécrit avec Arezki Mellal, le scénario démarre à l'année 1989, se poursuit en 1992 puis en 1994. Les élections du FIS sont évoquées sans l'arrêt du processus électoral et la mort de Mohamed Boudiaf, épisode qui a tant compté pour les Algériens, est éludé. On évoque avec insistance la crise financière et le FMI. On montre les barbus qui font la prière dans la rue, un vendredi et leur menace qui devient de plus en plus radicale, jusqu'à l'arrivée des chefs terroristes et les exactions qui ont suivi. Noureddine et Yasmina (alias Rachida Brakni) doivent composer avec ces terribles événements. Un détail qui donne cependant un coup dur à la vraisemblabilité de l'histoire est l'emploi excessif de la langue française chez ce couple et les habitants de la localité de la Mitidja, sans parler des deux enfants de bas âge. Une incongruité manifeste dans la langue et son corollaire, cette émotion qui vient décidément à manquer à l'image, fera en sorte que ce film ne nous touche pas, mais nous laissera presque comme à l'extérieur, en bas de la route. En gros, ce film ne nous fera pas pleurer. Et c'est fort dommage! Même les applaudissements du public étaient tièdes. Une impression somme toute mitigée même si l'essentiel du roman qui nous a tant bouleversés est là. En termes cinématographiques le film nous laissera sur notre faim. Le réalisateur qui justifiera les 50/50 équitables entre les deux langues arabe et français pour des raisons «techniques très simples» dira: «Tant qu'on ne peut pas financer un film à cent pour cent en Algérie, on est obligé de le financer en Algérie et ailleurs. Cet ailleurs nous oblige à nous soumettre à des choses réglementaires dont l'usage de la langue française. L'astuce qu'on a trouvé était d'augmenter le 50% français par le biais de radios. Pour maximiser l'arabe. Tant que le financement obéit à ces règles, c'est comme ça.». Répondant aussi lors du débat, à propos de la question liée au manque d'informations relevant du contexte politique et historique de cette période-là, Salem Brahimi fera remarquer: «On est très proche des personnages, on est caméra à l'épaule, il n'y a pas de démarche esthétisante. Je pense surtout que le film appelait à beaucoup plus de sobriété et de retenue... On fait de la fiction. On donne des pistes pour permettre à un public algérien et non algérien de déduire ce qu'il a besoin de savoir. Ce film est-ce une analyse de dix ans de politique algérienne? absolument pas. C'est l'histoire de Noureddine et Yasmina. Ils sont affectés par ce qui se passe autour. Ce film est un hommage aux gens qui résistaient au quotidien, il faut les regarder au quotidien. On ne fait pas d'analyse politique. On ne dit pas tout. Mais je revendique le fait qu'on ne s'est pas donné le mandat de donner de leçon sur la décennie noire. On suit deux personnages. Ne pas donner de leçon politique et être sobre à l'image c'est ce qui est importait.» A propos de l'absence du président Boudiaf à l'écran, Salem Brahimi répondra à notre question en avouant: «Votre question me fait mal, car on avait une séquence sur Boudiaf, dans le film, on a décidé de ne pas la tourner. Parce que raconter c'est choisir. Peut-être que le premier scénario qui fait plus de cent pages vous aurait plu car là on disait tout. Dans la fiction on est fidèle au personnage. J'ai essayé d'être fidèle à Noureddine et Yasmina. L'exercice qu'on s'est donné c'est de les regarder eux. On ne peut pas raconter toute la décennie noire en un seul film. Pour moi le film est noir mais il y a aussi de l'espoir quand on regarde bien, car il n'y a que de la fraternité entre les gens, de la résistance du quotidien. Le film est un hommage à la vie. Yasmina représente un peu ce peuple qui a été balloté par les événements, et qui malgré tout est debout.» Et d'ajouter enfin: «Sur le plan de l'intime j'avais le poids de dire: on va recréer la décennie noire sous les fenêtres des gens qui l'ont vécue. C'est une telle obscénité, quand on y pense! Donc, on est dans la retenue. J'espère ne pas avoir trahi les gens qui m'ont accompagné pour la fabrication de ce film. Car vouloir être fidèle à tout le monde, c'est raté d'avance.»