on ne peut mettre sur un pied d'égalité la revendication légitime du peuple algérien quant à la repentance, et le «devoir de mémoire» agité par l'UMP. La visite à Alger du ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a-t-elle été concluante quant à son principal objectif, la signature du traité d'amitié qui devait intervenir fin 2005? Il semble bien que non si l'on prend en considération les remarques très diplomatiques mais néanmoins explicites de son homologue algérien, Mohamed Bédjaoui. Le ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, a en effet énoncé, lors de la conférence de presse commune, tenue hier en fin de matinée, à Djenane El Mithak, des remarques de grande importance quant au sens, à l'urgence et aux conséquences de ce traité. «L'Algérie, a-t-il dit, reste très attachée à la signature du traité d'amitié qui doit être un traité conclu par les peuples algérien et français sans l'adhésion desquels un tel engagement n'aurait pas la signification qu'il mérite». En ajoutant qu'un tel pacte doit sceller l'union entre les deux peuples et non pas seulement entre les deux gouvernements ou les deux présidents, Mohamed Bédjaoui a clairement signifié que la maturation est loin d'être achevée, surtout qu'il n'a pas hésité à ajouter que «les conditions psychologiques, objectives, ne sont pas suffisamment propices», à l'heure actuelle, pour une éventuelle conclusion dudit traité. «Nous ne perdons pas du tout patience, a rassuré le ministre d'Etat, et nous conservons l'idée que cela devrait aboutir le plus rapidement possible», soulignant que la visite de son homologue français a été l'occasion «d'une évaluation franche et conviviale de nos relations» et l'appelant à partager «l'espoir d'une relance effective» de celles-ci. «Nous souhaitons que, dans nos rapports, nous puissions parler les uns aux autres très franchement et nous dire, enfin, que nous avons, face à face, deux Etats souverains, indépendants et forts», a patiemment expliqué Mohamed Bédjaoui, avant de conclure que «c'est dans une telle rencontre entre deux Etats souverains que nous pourrons trouver la solution à nos problèmes». Le message a été apparemment entendu puisque Philippe Douste-Blazy a formulé sa disponibilité à «continuer à travailler plus que jamais à la conclusion du traité d'amitié». Il y avait donc comme un hiatus entre les deux hommes, d'autant que Mohamed Bédjaoui a rappelé que «depuis une vingtaine d'années, on entend parler, ici et là, de repentance, et nous autres Algériens, qui avons vécu les affres du colonialisme, nous pensons que le colonialisme (français) devrait s'insérer dans ce cadre général de repentance» pour tous les crimes subis par le peuple algérien. A une question de L'Expression sur la genèse de la loi du 23 février 2005, significative de l'état d'esprit qui prévaut au sein d'une partie de la classe politique française, et sur la volonté réelle du peuple français de sceller un tel pacte d'amitié avec le peuple algérien, dénuée de tous calculs et de toutes arrière-pensées, le ministre français des Affaires étrangères a répondu que «20 à 25% des Français ont des attaches directes avec l'Algérie et que tout ce qui touche à ce pays concerne, d'une façon ou d'une autre, l'ensemble des Français, compte tenu des liens géographiques et historiques très forts qui existent entre les deux peuples. Je peux vous affirmer, en ma qualité de maire de Toulouse et président de la Communauté d'agglomération du Grand-Toulouse, et mon ami Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, vice-président du Sénat et président de la Communauté urbaine de Marseille-Provence-Métropole, peut également en témoigner, qu'il y a une volonté très forte du peuple français de conclure le traité d'amitié avec le peuple algérien. Je vous dis cela, et c'est le coeur qui parle», a insisté Philippe Douste-Blazy qui voit dans l'absence de réaction de l'opinion française au déclassement de l'article 4 de la loi du 23 février une preuve de cet attachement. Le ministre français des Affaires étrangères ne doute pas qu'«il y a un problème réel» quant au devoir de mémoire, «perçu différemment» de part et d'autre de la Méditerranée, et qu'il faut «y prêter attention si l'on veut que les relations entre les deux peuples soient mutuellement bénéfiques». Or, on ne peut mettre sur un pied d'égalité la revendication légitime du peuple algérien, opprimé et avili, durant plus d'un siècle, par une puissance coloniale et ce «devoir de mémoire» agité par l'UMP comme une muletta à destination d'un électorat potentiel imprégné des idées et des slogans revanchards de l'extréme-droite française dont on a eu un petit aperçu, en décembre 2005. Certes, Philippe Douste-Blazy a mis l'accent sur l'excellence des relations particulières entre les présidents Chirac et Bouteflika, celui-ci l'ayant reçu pendant plus de deux heures et demie, au point qu'il relève combien «l'Algérie est un partenaire excessivement important qui joue un rôle capital sur le plan international». Il n'empêche que, s'agissant de ses ressortissants, l'Algérie ne saurait admettre les conditions humiliantes et totalement inacceptables qui prévalent dans la gestion et l'octroi des visas qui relèvent, et c'est peu dire, d'un véritable parcours du combattant ô combien indigne des relations de respect et d'amitié auxquelles prétendent les deux pays. La visite du ministre français des Affaires étrangères, fondée sur la relance du traité d'amitié, est, au bout du compte, une initiative qui a permis de confronter les points de vue, d'ausculter et d'évaluer des relations bilatérales, encore empreintes d'aléas et de contingences frustrantes. En témoigne la question du Sahara Occidental sur laquelle on se doit de dire objectivement que le Maroc a renié les engagements pris à Houston dans le cadre du plan Baker sur l'autodétermination qu'il avait officiellement accepté parce qu'il est fort du soutien de la France à sa politique coloniale, notamment au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. En tout état de cause, si cette visite peut permettre de transcender rapidement les vicissitudes et les obstacles entrevus sur la voie d'une amitié recouvrée, elle aura constitué un jalon essentiel dans la concrétisation des ambitions de la Déclaration d'Alger. Force est de constater que, pour le moment, on n'en est pas là et que des efforts doivent encore être consacrés afin de dissiper toutes les équivoques et tous les malentendus. Nonobstant le droit du peuple algérien à une reconnaissance pleine et entière de son martyre durant 132 ans, il y a une exigence première de sincérité qui conditionne, au plus haut point, les tenants et les aboutissants d'un véritable traité d'amitié à même de refonder, sur une base saine et durable, la coopération entre les deux pays. Tant que certaines mesures ne seront pas prises par le partenaire français, notamment au regard de la repentance qui est une condition sine qua non du peuple algérien, on peut dire que le traité d'amitié ne fait plus partie de l'avenir prévisible des relations entre les deux pays.