Pour «regarder la vérité en face» sur la guerre d'Algérie, la France a décidé d'ouvrir «avec 15 ans d'avance» les archives judiciaires de l'époque. L'annonce faite par le gouvernement français s'inscrit dans la logique de la politique des «petits pas» amorcée par Emmanuel Macron. Le président français qui tient à la réconciliation mémorielle avait, en septembre 2018, reconnu que la disparition du mathématicien et militant communiste Maurice Audin, en 1957 à Alger, était le fait de l'armée française. En mars dernier, le président Macron avait annoncé une simplification des accès aux archives classifiées de plus de 50 ans, permettant d'écourter les délais d'attente. Mais très vite, cette déclassification est remise en cause par un vote au Sénat qui restreint à nouveau l'accès aux archives. La nouvelle loi relative à la prévention des actes terroristes et au renseignement (Patr) restreignait une nouvelle fois la consultation des archives classées «secret défense», dont celles relatives à la guerre d'Algérie. Emmanuel Macron est revenu à la charge et sa décision sonne comme un signe d'apaisement après la crise d'une rare gravité qu'il avait déclenchée en tenant, octobre dernier, des propos jugés «irresponsables» par Alger. La France a décidé donc d'ouvrir l'accès aux documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions et à l'exécution des décisions de justice et ceux relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966. Cette déclassification est très prometteuse surtout pour les historiens. Car, dans l'histoire de la guerre d'Algérie, il y a beaucoup de zones d'ombre comme par exemple celle des disparus. À ce jour, des milliers de familles ne savent pas dans quelles conditions leur proche a été exécuté ou enterré. Une lumière sera portée sur les nombreuses ratonnades, les lieux d'enfermement divers et variés, officieux et officiels ou encore sur les crimes de «la Main rouge» -l'organisation française secrète qui a commis des attentats dans les années 1950- et les crimes du 17 octobre 1961. L'ouverture de ces archives ne permettra cependant pas de lever le voile sur les massacres extrajudiciaires ni la torture exercée pendant la guerre d'Algérie, ces pratiques n'étant pas consignées par écrit ni dans les procès-verbaux des services de sécurité ni dans les documents de la justice. Cela a bien été prouvé par l'affaire de Maurice Audin dont la consultation des archives nationales n'apportait pas grand-chose, mais c'est dans les archives de la Présidence, celles de l'époque du général de Gaulle qu'une note trouvée, de quatre pages, datant du 4 août 1960, éclairait sur le sort réservé au militant de l'indépendance de l'Algérie. Il faudra donc rendre publiques toutes les archives comme les registres d'Aussaresses et de Massu pour dévoiler au grand jour toutes les horreurs commises par la France coloniale. Certes, avec l'ouverture de ces archives judiciaires, un nouveau petit pas est fait vers la vérité, mais si la France cherche réellement à regarder toute la vérité en face et «ne pas construire un roman national sur un mensonge» comme l'a déclaré la ministre française de la Culture, Roselyne Bachelot, il faut lever le verrou «secret défense» et assimiler une fois pour toutes que l'intérêt d'informer le public sur son histoire est supérieur au secret d'Etat. Mieux, si la France cherche sincèrement à réconcilier les mémoires entre nos deux pays, il faut d'abord apaiser les esprits en commençant par dire toute la vérité.