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«Amar Ezzahi a vécu une enfance malheureuse»
Saïd Saâd, Ecrivain, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 13 - 03 - 2025

L'Expression: À partir de quel moment avez-vous décidé d'écrire un livre sur Amar Ezzahi?
Saïd Saâd: L'idée a germé au cours d'une conversation. Des amis m'ont proposé un jour d'écrire la biographie d'Amar Ezzahi. Je fus d'abord étonné et j'ai hésité. Ce n'était pas un refus, mais le défi était tout de même de taille: je ne connaissais la personne ni de près ni de loin. Ezzahi? Je l'apercevais parfois au bas de l'immeuble où il habitait, lorsque je remontais la Rampe Louni Arezki, mais j'avoue que jamais l'idée de l'approcher et de lui parler n'effleura mon esprit. Qu'aurait pu dire un journaliste du service économique à un maître de la chanson. C'était deux mondes différents. Ce qui m'a encouragé pourtant à écrire ce livre, c'était la grandeur de l'homme et les encouragements de mes amis, tous des fans de l'artiste. Pour la biographie, j'éprouvai le besoin de revoir tous ses anciens amis et de rechercher à travers leurs confidences le vrai visage d'Amar. Je fus introduit, au fur et à mesure que le livre prenait forme, auprès de ses compagnons, des personnes qui l'ont approché, qui ont vécu avec lui à des époques différentes de sa vie, qui ont fait partie de son orchestre. Chacun donnait son récit avec détails, ses appréciations de l'artiste, ses anecdotes qui furent les premières pierres de l'édifice. Certains témoignages étaient si riches, si précis, si réalistes, que parfois je me sentais physiquement proche de l'artiste.
écrire un livre biographique sur Amar Ezzahi est loin d'être une sinécure, tant plusieurs pans de sa vie restent inconnus. Il a emporté tous ses secrets avec lui. Comment avez-vous surmonté cet obstacle et non des moindres?
Il a fallu arpenter les ruelles autour de la Rampe Louni Arezki, questionner les habitants des immeubles, des maisons, éplucher des documents, des photos et des coupures de presse pour capter les sons et les odeurs des jours que ne sont plus. La construction de l'édifice commençait alors, lentement, régulièrement, elle s'accélérait par moment pour s'arrêter un peu plus loin, au
gré des rencontres. Incontestablement, je prenais beaucoup de notes et j'étais convaincu que je touchais à quelque chose de profond. Je craignais toujours, malgré les mille renseignements que je glanais, de laisser un coin de la vie de l'artiste, inexploré. C'était un homme entouré de mystères et de secrets. Et ce côté mystérieux le rendait encore plus captivant d'autant qu'il n'a pas laissé d'écrit sur sa vie. Cela veut dire que certaines questions ne trouveront jamais de réponses comme le mariage par exemple. Ezzahi ne s'est pas marié et on ne saura jamais pourquoi.
Quels sont les aspects que vous abordez dans votre livre?
Il y a deux aspects fondamentaux dans ce livre: Ezzahi l'artiste et Ezzahi le citadin. J'ai privilégié le second dans ma démarche en apportant une foule de détails sur sa vie privée. Dans toute biographie, l'auteur doit donner le maximum de détails parce que les fans désirent toujours savoir comment vivait leur idole. Dans une biographie de la Lady Diana que j'ai lue récemment, j'ai trouvé une multitude de détails sur la vie de la princesse. Les fans raffolent de détails sur la vie privée d'Amar Ezzahi, ses relations avec les voisins, ses plats et ses cigarettes préférées, ses habitudes, la plage qu'il fréquentait, ses rapports avec les jeunes du quartier etc...
Sur le plan humain, Amar Ezzahi était un homme débordant de bonté et de qualités humaines que peu de gens connaissent compte tenu de la grande discrétion qui entourait ses actes de bienveillance. Abordez-vous cet aspect dans ce livre?
Et comment! Parler d'Ezzahi sans évoquer sa générosité serait un énorme gâchis. La richesse de cette biographie c'est justement la description de la générosité de cet artiste hors pair à travers des anecdotes précises et réelles qui ont laissé bouche bée les premiers lecteurs de l'ouvrage. À titre d'exemple, peu de gens le savent, cet homme a animé les mariages de tous les jeunes de son quartier, je dis bien tous, sans percevoir un centime. Il y a des cas où Ezzahi assure gratuitement la soirée du mariage d'un voisin et plus tard, la circoncision de son fils toujours bénévolement. Cet artiste est atypique dans le sens où l'argent ne comptait pas pour lui. Il avait le dos tourné à l'aspect matériel. L'essentiel pour lui était de faire plaisir aux autres, de jouer pour eux, de les rendre heureux; on a l'impression qu'il a vécu pour les autres. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir ses funérailles. À Bab Jdid ce jour-là et au cimetière d'El-Kettar, c'était du jamais-vu de mémoire d'homme. Des scènes indescriptibles, hallucinantes s'offraient à la vue. Pourtant, cet orphelin vivait seul et n'avait pour toute famille que ses amis. Ne dit-on pas que le peuple ne se trompe jamais...
Quels sont les autres aspects de la personnalité d'Amar Ezzahi que vous mettez en lumière dans votre livre?
J'évoque son enfance passée à Ighil Bouames, puis à la Rampe Valée à partir de 1949. Beaucoup de personnes ne connaissent pas son histoire. Ezzahi a vécu une enfance malheureuse en raison de la séparation définitive de ses parents qui l'a marqué à vie. Il n'aimait pas que cette partie de sa vie fût évoquée. Pour garder de bons rapports avec lui, il fallait éviter ce sujet. Ont raison ceux qui disent que les blessures de l'enfance ne guérissent jamais. J'évoque également la fin de sa vie où le cheikh a changé radicalement. Il est devenu ascète, se contentant du strict minimum pour vivre pour se rapprocher davantage de Dieu. Il était hypnotisé par l'amour du Créateur. Ce rapprochement d'Allah va changer son comportement: il passera beaucoup de son temps à méditer seul au milieu de la nature au jardin Marengo et il aura tendance à privilégier le texte profond, spirituel au détriment de la musique.
En tant qu'artiste, Amar Ezzahi était très différent des autres chanteurs de chaâbi de grande dimension. Peut-on en savoir plus?
Il chantait non pas pour l'argent ou pour la célébrité comme les autres, mais pour lui-même. C'était un homme simple, cultivé, ouvert. Dans les années cinquante, le jeune Amar n'était pas du tout attiré par le chaâbi, il aimait la musique classique, l'andalou, les chants universels, les chants hindous et appréciait particulièrement le guitariste Manitas de Plata. Il lui arrivait d'imiter - et avec quel talent- les chanteurs français en vogue à l'époque comme Charles Aznavour, Dalida, Tino Rossi ou les Compagnons de la chanson. Il faut signaler un paramètre que peu de personnes savent aujourd'hui, c'est qu'Amar Ezzahi a évolué dans un milieu francophone. Chez lui, on parlait français ou kabyle. On peut affirmer que c'est Boudjemaâ El Ankis qui a attiré Ezzahi vers le chaâbi grâce à son énorme succès oh ya n'tiya. Ezzahi a introduit plus tard, un mode nouveau dans la chanson chaâbie, c'était le seul artiste à sortir des sentiers battus dans ce genre musical, il métamorphose la chanson populaire en y intégrant des sons tout à fait nouveaux qui ont subjugué les mélomanes.
Contrairement aux autres artistes, il n'a jamais accordé d'importance à l'enregistrement de manière régulière d'albums, chose qui ponctuait naturellement le parcours de tout chanteur, pourquoi?
Ezzahi fuyait la célébrité. Devenir célèbre et connu à travers le pays n'était pas son objectif. Les mots: presse, journaliste, micro, caméra, interview, le faisaient fuir. La pire façon de vous présenter à lui était de dire que vous êtes journaliste. Il aimait être seul et vivre en paix, tranquillement. Quand un média insistait pour l'interviewer, Amar disait: «Mais pourquoi tout ça? je ne suis qu'un petit chanteur.»
Amar Ezzahi avait un don unique de l'improvisation qui déroute mais emplit d'admiration et de plaisir le mélomane. Pouvez-vous nous parler de cette performance artistique rare?
L'improvisation était sa force, sa marque de fabrique. C'est quelque chose qu'on ne peut jamais expliquer. C'était un don. D'ailleurs Naguib, son bras droit, m'a laissé entendre qu'Amar Ezzahi et Dahmane El Harrachi étaient pour les musiciens, les plus difficiles à accompagner en raison de leur tendance à improviser. «Amar nous déroutait par ses ''sorties'' inattendues et on avait du mal à le suivre.» C'était un virtuose du «loutar». Au banjo, il était d'une autre dimension incomparable, pourtant, faut-il le rappeler, il n'a jamais été au conservatoire. Autodidacte, il a appris sur le tas dans une impasse près de chez lui qui fut durant des années, son conservatoire à ciel ouvert.
Dans sa jeunesse, il lui arrivait souvent d'emprunter la guitare de son ami Bellemou pour s'exercer. Des heures durant, le petit Amar restait littéralement collé à la guitare, les bouts des doigts rouges sur le manche. Il jouait de quatorze heures à vingt heures sans arrêt. Bellemou lui montrait les accords, et Ezzahi répétait, répétait sans relâche. Et cela faisait des «non, refais, refais, ce n'est pas comme ça, il faut appuyer deux fois». On entendait aussi: «Tu viens encore de te tromper, pas ce doigt-là... recommence». On avait l'impression que la guitare se rebellait entre les mains d'Ezzahi, mais ce dernier était d'une ténacité extraordinaire. Il ne se décourageait jamais. Lorsqu'il a terminé son apprentissage et qu'il a joué un morceau à ses copains plus tard, ils ont cru entendre la guitare chanter. Il faut rendre hommage à son voisin Boualem qui a été le premier, à la fin des années cinquante, a l'initier aux instruments comme l'harmonica, la flûte ou la guitare. Parler des débuts du Cheikh sans mentionner Bellemou, c'est comme parler du déclenchement de la révolution sans évoquer le Crua. Or le Crua est la matrice du FLN. Et Bellemou est celui qui a mis le pied à l'étrier au jeune Amar en l'attirant dans l'univers de la musique. Enfin, la «sira» d'Amar, sa conduite, sa vision des choses, sa simplicité devrait inspirer les jeunes d'aujourd'hui: une vie faite de travail, de persévérance dans la recherche de l'excellence, de la rigueur et l'authenticité. Avant tout, il était un être authentique, bon, généreux comme le patrimoine laissé derrière lui.
Plein d'anecdotes se racontent sur Ezzahi, est-ce qu'on retrouve quelques-unes dans votre livre?
Le livre qui vient de paraître regorge d'anecdotes sur la vie de l'artiste. Elles sont toutes belles et évocatrices de son âme. Je les ai sélectionnées. Certaines sont extrêmement touchantes. Par exemple, habituellement à l'approche du Ramadhan, Ezzahi remettait une trentaine, voire une quarantaine d'enveloppes à l'épicier du coin qu'il chargeait de remettre discrètement aux plus démunis du quartier. Ces aides sociales étaient récupérées au fur et à mesure et avec un grand soulagement par leurs destinataires. En sortant ravies, ces personnes étaient loin de se douter que le donateur n'était autre qu'Ezzahi lui-même qui s'asseyait généralement sur un cageot à l'entrée de la boutique. Un autre exemple; un jour de pluie torrentielle, un mendiant trempé jusqu'aux os, mal vêtu, s'approcha du Cheikh et lui tendit la main. Ezzahi lui glissa un billet, ôta son manteau pour couvrir l'infortuné, transi de froid et qui n'en revenait pas. Amar remonta ensuite chez lui pour endosser un blouson et redescendre. Je pense que cela dépasse le cadre de la charité. Cela va au-delà; c'est de l'empathie qui exprime le principe du vivre-ensemble, un respect profond de la dignité humaine. Seul un humaniste de la trempe d'Ezzahi peut accomplir un tel geste.
Vous vous êtes rendu à Ighil Bwames, village d'origine d'Amar Ezzahi dans le cadre de la préparation de votre livre. Peut-on avoir une idée de cette étape dans la réalisation de votre ouvrage?
Une étape émouvante que je n'oublierai pas de sitôt. Voir la maison natale du Cheikh fut pour moi un moment de bonheur particulier. Nous avons parlé avec des personnes âgées qui connaissent la famille d'Ezzahi et qui se rappellent du petit Amar, de ses habitudes, de ses camarades de classe. «C'était un enfant pas comme les autres», nous ont-ils dit. À son âge déjà, il aimait être seul et ne jouait pas avec ses camarades. Au retour de l'école, il rentrait chez lui pour se reposer et il ressortait pour aller dans un coin non loin de sa maison et il s'asseyait admiratif devant la beauté de la nature. Ce coin qu'on nous a montré, domine en effet un très beau panorama avec une large prairie verte plantée d'arbres qui s'enfonce et s'étale jusqu'au pied du Djurdjura. Cette vue magnifique, surtout au printemps, a fortement inspiré le petit garçon.
D'ailleurs, plus tard, l'une des chansons préférée du jeune Ezzahi était «la verte prairie d'où je viens» du groupe les Compagnons de la chanson. Et Amar chantait cette chanson douce en se remémorant son village natal.


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