L'Expression: Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs du journal L'Expression? Kahina Benkhellat: Je suis native d'Akbou, wilaya de Béjaïa. Diplômée en droit et en psychologie à l'université Abderrahmane-Mira de Béjaïa. Je suis enseignante et coach en développement personnel, un domaine que j'ai entamé en 2016 par amour et passion. Comment êtes-vous venue à l'écriture? Je me revois encore, pas plus haute que trois pommes, écrivant et dessinant sur tout ce qui me passait par la main. J'adorais mon ardoise et mes craies de toutes les couleurs. Je passais des heures à dessiner et écrire les mots que j'avais appris en classe. En fait, je suis quelqu'un de très calme et laconique, alors l'écriture a été pour moi un exutoire, c'était l'unique façon qui me permettait d'évacuer et calmer tout le tumulte assourdissant à l'intérieur de moi. L'écriture m'a permis d'être en paix avec moi-même. J'ai toujours eu une passion pour l'écriture, exprimer mon vécu et mon ressenti à travers les mots, glisser mes émotions avec finesse sur le papier loin des yeux et des oreilles indiscrètes. Petite, j'ai toujours inventé des personnages fictifs dans ma tête, ils conversaient librement et partageaient ma bulle enchantée. Je prenais plaisir à passer de longues heures à observer les insectes et les animaux, en particulier les fourmis, en imaginant leurs échanges muets. L'écriture est une thérapie douce et magique. En écrivant je peux hurler de toutes mes forces en silence, sans qu'aucune oreille ne puisse me percevoir. Ecrire, c'est la respiration de l'âme, un voyage intime à l'intérieur de soi sans masque ni maquillage... Vous avez publié un premier roman, pouvez-vous nous dire comment est née l'idée de l'écrire? Oui, mon premier roman qui s'intitule La croisée des destins a été publié en décembre 2023 chez les éditions (Sarahmed). En réalité, j'ai puisé mon inspiration dans une histoire authentique, celle de ma protagoniste nommée wiza. En 2016, en tant que coach en développement personnel au sein d'une association, j'ai rencontré ma future héroïne que j'ai appelée par la suite wiza. Elle a quitté la capitale pour s'installer à Béjaïa-ville en attendant son visa d'étude. Elle venait de sortir d'une phase très sombre, elle cherchait un moyen d'exprimer et d'extérioriser ce qu'elle avait vécu. Et le destin a orchestré notre rencontre simplement. Wiza est une brune très séduisante aux yeux verts, qui reste calme, douce et très optimiste malgré la phase perturbante qu'elle a récemment traversée. Je me rappelle ma réflexion lorsque j'ai entendu son histoire: «Ton histoire est digne d'un roman wiza...». Elle m'a répondu en toute spontanéité: «Toi l'amoureuse des romans, tu peux l'écrire, et je suis certaine que tu le feras un jour et tu réussiras à transmettre le message...». Je lui ai répondu avec un sourire: « Oui, pourquoi pas, Inchalah!». Le temps a filé rapidement et wiza et moi avons perdu contact, surtout depuis son départ à l'étranger. Puis la pandémie de Covid-19 est survenue entraînant un premier confinement en mars qui a perduré pendant huit mois. Nous étions confinés à la maison ma petite famille, et moi, et pour rendre cette pénible période moins stressante, mon mari et moi avons élaboré un programme à suivre et à respecter à la maison (partager les tâches, faire du sport, lire, rédiger des résumés de nos lectures et en débattre en famille...) C'est ainsi que l'idée d'écrire l'histoire de mon amie wiza m'est venue. C'est vrai ce n'était pas une mince affaire dans laquelle je voulais m'engager. Ecrire l'histoire de quelqu'un d'autre, c'est tellement délicat, mais je me suis dit, il faut le faire Kahina, il faut aller jusqu'au bout de ta promesse. Huit mois plus tard, quand j'ai écrit le mot fin, je me suis dit, voilà, c'est fait; que vas-tu faire maintenant? Il a fallu attendre trois ans pour que le livre puisse enfin voir le jour, trois ans d'obstacles... hélas... La croisée des destins, qu'est-ce qui vous a inspiré ce titre? Le titre m'est venu après avoir fini de l'écrire, juste après le mot fin. J'ai hésité entre Les destins croisés et La croisée des destins, alors j'ai demandé à mes enfants de choisir à ma place, ils ont voté pour La croisée des destins, ils m'ont dit en même temps: celui-là rime bien maman. J'ai inscrit sur mon cahier de brouillon le titre de mon roman. Wiza, le personnage principal de votre roman, ne cesse de se battre inlassablement contre son passé douloureux en puisant dans ses forces intérieures. Votre livre est-il un roman psychologique? Tout à fait, étant moi-même coach en développement personnel. La condition féminine dans notre société me préoccupe grandement. J'ai toujours observé les individus qui m'entourent sous l'angle psychologique, la facette cachée de chaque être humain. J'essaie constamment de saisir le sens derrière chaque acte, action, geste et réaction en plongeant dans le fond de la personne. En effet, ce qui caractérise les individus, c'est leur côté obscur, l'aspect dissimulé de leur personnalité ainsi que les circonstances ayant façonné et forgé cet individu. Un roman psychologique, naturaliste et réaliste oui. Je suis inspirée par l'école naturaliste d'Emile Zola fondée au XIXe siècle. En effet, si on examine attentivement les oeuvres littéraires algériennes de nos célèbres écrivains tels que Mouloud Maameri, Mouloud Feraoun, Mohammed Dib, Rachid Mimouni et Assia Djebar...etc., on constate qu'elles sont toutes marquées par cette tendance. En réalité ce mouvement littéraire est le plus apte à décrire l'être humain dans toute sa complexité, avec ses défauts et ses vertus, il souligne les aspects psychologiques et physiques de l'individu. Il dépeint avec clarté et transparence les évènements et les conditions sociales. Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi que l'héroine de votre roman soit une étudiante en psychologie? Quand j'ai rencontré wiza en 2016, elle venait d'obtenir son master en psychologie, et son séjour à Béjaïa était dans le cadre professionnel, c'était pour mener une petite étude sur les enfants de la Dass et les mères célibataires. Le pardon et le véritable amour sont les clés de sortie de la tourmente, est-ce le message que ce roman veut transmettre? Le message que j'ai voulu délivrer à travers ce roman, c'est: quand on veut on peut. Il est essentiel de pardonner sincèrement pour avoir la paix et la sérénité, ce qui nécessite une certaine force morale qui nous incite à surmonter le tort causé par nos proches. Aller de l'avant, se focaliser sur le présent et mettre de côté le passé et avancer pas à pas vers un avenir meilleur. Dans mon domaine de coaching on appelle ça: le lâcher prise et la résilience. À travers wiza et sa maman, j'envoie un message positif, un message d'espoir et d'encouragement à toutes les personnes qui passent par le même chemin épineux, par une période sombre. C'était ma manière de les encourager à persévérer, à garder espoir, car derrière chaque phase obscure, il y a une lueur d'espoir, après chaque tempête vient la lumière de la sérénité et de l'accomplissement. Il y a également une quête identitaire dans votre roman, celle de Wiza, et à travers elle, celle des autres femmes algériennes. Pouvez-vous nous éclairer sur cet aspect? Effectivement, dans le tumulte, le chaos et les bouleversements vertigineux que subit le monde aujourd'hui, avec l'avènement des réseaux sociaux et l'intelligence artificielle, et leur impact néfaste - pour ainsi dire- sur la société, et spécifiquement sur la nouvelle génération. Entre féminisme qui appelle à la nudité et à la liberté de prendre une bière et une cigarette en plein public comme expression de civisme et d'émancipation, les réseaux sociaux qui incitent à danser pour attirer des likes et des followers, face à un divorce croissant qui déstabilise et fragilise la société algérienne de plus en plus, sans oublier la précarité économique vécue quotidiennement. Malgré tout cela, la femme algérienne persiste à défier le temps et les circonstances pour échapper à ce gouffre qui l'entraîne vers les abysses obscures et incertains... Est-ce que vous vous êtes inspirée de votre propre vie pour écrire ce roman? Mon roman La croisée des destins raconte l'histoire vraie de Wiza et sa maman dans les détails les plus intimes. Comme j'ai essayé d'évoquer de nom- breux autres fléaux qui rongent notre société, tels que la harga, le mariage forcé, le divorce, les enfants abandonnés, le suicide et la drogue... C'était ma manière de tirer la sonnette d'alarme, et m'interroger à haute voix où va notre société? Tout s'effrite autour de nous, et nous restons là, à regarder, les bras croisés, hélas! Ces dernières années, il y a une explosion du nombre de femmes qui écrivent des livres, particulièrement des romans dans notre pays? Pourquoi d'après vous? J'ai toujours pensé que la plume est le moyen idéal de s'exprimer en catimini, loin du brouhaha des médias et des réseaux sociaux. La femme qui décide d'écrire, est une femme éclairée et fortement détachée du superflu de la société et du virtuel. Ecrire, est une échappatoire qui permet de se placer en périphérie de la société, l'observer et tenter de la comprendre. écrire, c'est jouir d'une liberté précieuse dans une société pleine d'interdits et de mensonges... La femme écrivaine que vous êtes peut-elle vraiment écrire, dans un roman, tout ce qu'elle pense et tout ce qu'elle ressent ou bien le recours à l'autocensure est incontournable? Une question très délicate, vraiment. Personnellement, je ne me fixe aucune limite quand je commence à rédiger sur un sujet qui me passionne ou qui m'interpelle. Il m'est impossible d'écrire sans une réelle authenticité dans mes propos. J'ai abordé sans détours certains sujets sensibles dans notre société. J'ai reçu des remarques et interrogations à propos de ça, et j'y ai répondu avec toute sincérité et transparence. Peut-on avoir une idée des réactions des premiers lecteurs de votre roman? Je suis quelqu'un qui travaille en catimini, loin des regards et des médias. Avant la sortie de mon livre, j'étais tellement déconnecté des médias sociaux et du monde virtuel. Donc quand ma soeur ainée a publié mon roman sur Facebook en décembre 2023, c'était la surprise totale et un évènement heureux de fin d'année. Le premier lot d'exemplaires s'est écoulé en une seule semaine, exclusivement au sein de la famille et parmi les amis proches. L'écho a été tellement positif et encourageant... Votre prochain livre sera-t-il également un roman? Sincèrement, je suis indécise entre un travail de traduction et un recueil de nouvelles, je ne parviens pas à prendre une décision.