Pour sa 49e édition, le Festival international du film documentaire dit le «Réel à Paris» quitte ses pénates, le Centre Pompidou qui l'héberge depuis sa création, fermé pour travaux cinq ans durant. Il se transporte donc, du 22 au 29 mars, de l'autre côté de la Seine, dans des cinémas du Quartier latin. Comme à son habitude donc, le festival sous la houlette de Catherine Bizern, propose un programme copieux, entre films inédits, en compétition, rétrospectives et autres hommages, à un moment crucial de l'histoire du Moyen-Orient, et où la Palestine vit une fois de plus un véritable chaos par l'armée israélienne, avec la destruction massive de Ghaza, sans oublier bien sûr le Sud Liban et le plateau du Golan. Par ailleurs, on relèvera nécessairement, donc la carte blanche au cinéaste libanais Ghassan Salhab. À la question posée par le festival: «Comment vas-tu?», le cinéaste du pays du Cèdre répond: «Je suis défait, mais pas résigné». Son dernier opus Contretemps d'une durée de 5h45 est une chronique du soulèvement de 2019 à 2023, de son essoufflement à sa fin, et qui pose une question: «De l'espoir collectif à la douleur intime, le cinéma peut-il contrer l'irréversible?» Pour accompagner la projection de ses films, Salhab a invité le photographe et documentaliste libanais Maher Abi Samra, la cinéaste et fondatrice du festival de Gabès, en Tunisie, Fatma Chérif et l'Algérien Tariq Teguia dont le dernier film Revolution Zendj est le long périple d'un journaliste algérien en Grèce, en Algérie, au Liban et en Irak. Lumière de mes yeux de la Française Sophie Bredier nous plonge, pour sa part, dans un long parcours de soins qui démarre à l'hôpital parisien Saint-Louis., alors qu'elle y était pour réaliser un doc sur la chirurgie réparatrice, elle rencontrera Mahmoud qui lui demande de suivre sa «résurrection». Ce jeune Egyptien participait aux révoltes qui ont conduit à la chute du régime de Hosni Moubarak. Sur la place Tahrir, Mahmoud, pour son malheur, croisera ces tristements fameux «baltaguia», «armés» de fioles d'acide et d'armes blanches.... De ces violentes confrontations, Mahmoud en sortira blessé, défiguré, aveuglé même, il sera évacué, grâce à une association humanitaire, sur un hôpital parisien, spécialisé en chirurgie réparatrice et ophtalmologique plus particulièrement. Durant de longs mois, un chirurgien va tenter de lui refaçonner un visage et soigner son pied également brûlé. La réalisatrice captera tous les instants de cette longue reconstruction, avec ses moments d'espoir, d'incompréhension, mais aussi d'anéantissement quand on lui annonce qu'il est peu probable qu'il recouvre la vue. Mais Mahmoud va retrouver un nouveau visage et commencer une nouvelle vie. Une belle leçon de courage. Parmi les autres films en compétition internationale, Loin de moi la colère de Joël Akafou une coproduction entre la Côte-d'Ivoire et le Burkina-Faso. Pendant la guerre civile de 2011, dans le village de Ziglo, dans l'ouest de la Côte-d'Ivoire, des massacres furent perpétrés. Les morts furent nombreux et des familles décimées. Las d'attendre que la justice officielle poursuive les assaillants, Josiane, dite Maman Jo, une femme autochtone, qui a elle-même perdu plusieurs membres de sa famille, se décide à agir en créant un espace de parole pour les femmes. Vivifiant! Avec Green ligne, la Française Sylvie Ballyot signera un film original et passionnant qui narre le parcours d'une jeune femme, Fida, qui a grandi dans le Beyrouth des années 80. Enfant quand la guerre civile d'alors éclate, elle survivra dans cet «enfer rouge». Et où la banalisation de la mort lui fera douter même de la valeur de la vie. Pour comprendre le sens de cette interminable guerre, Fida reviendra à Beyrouth pour aller à la rencontre d'un échantillon des différentes milices; histoire de confronter sa vision de l'enfant, qu'elle était, avec la leur. Cartes en main, elle sillonne les quartiers de la capitale libanaise, de part et d'autre de cette ligne verte qui divisait en deux la ville. Cette «ligne verte» n'était d'autre qu'un no man's land, vide de ses habitants, et où y avait poussé une végétation sauvage. Les témoignages que cette «Ariane» libanaise, obtiendra grâce à son doigté, illustrera, et d'une puissante manière l'absurdité de ce combat fratricide... La Franco-Marocaine Simone Bitton signe cette année une lettre cinématographique émouvante avec Les mille et une vies du Hadj Edmond. Ce personnage hors du commun fut un temps un dirigeant communiste (PPS), journaliste, professeur de philosophie et militant pour l'indépendance du Maroc, qu'il quitta suite aux évènements sanglants du 23 mars 1965 qu'il réprouva en affichant ouvertement son opposition à la politique répressive du roi Hassan II. Edmond Amran Elmaleh, a aussi laissé une oeuvre littéraire foisonnante habitée par les tragédies, comme celles du départ organisé des juifs du Maroc et auquel il s'opposa farouchement, et de l'exode, la Nekba, des Palestiniens arrachés à leur terre. Ce portrait est tout aussi admirable que la vie de cet homme empreint de sagesse et d'humanité. Edmond el Maleh, au final, retrouvera son pays natal, après trente-cinq années d'exil, en 2000, sans avoir pu exaucer son voeu de prier à Jérusalem, «une fois libérée de l'occupation». Le retour d'El Maleh rappelle celui de Roger Hanin, qui tint à être enterré, lui aussi, dans sa terre natale, l'Algérie...Simone Bitton s'était déjà distinguée par son approche résolument engagée, concernant la question palestinienne à travers des documentaires qui ont jalonné de forte façon son parcours: Palestine, histoire d'une terre (19993), Mahmoud Darwich» (1997), Citizen Bishara (2001) aux côtés de Ben Barka, l'équation marocaine (2001), sans oublier le travail de cette cinéaste sur Les Grandes Voix de la chanson arabe (1991) Hors compétition, la Française Dominique Cabrera, avec Le cinquième plan de La Jetée est partie, sur les traces de son histoire familiale:pendant l'exposition du cinéaste Chris Marker à la Cinémathèque française, son cousin Jean-Henri croit se reconnaître dans un plan du film La Jetée montage d'images fixes et de photos. Il était de dos avec ses parents sur la terrasse d'Orly, aéroport où sont arrivés en 1962 les pieds-noirs rapatriés d'Algérie,durant l'été 1962, justement l'année du tournage du film de Marker. Dominique Cabrera entamera une véritable enquête policière qu'on suit avec un vif intérêt. Archives du cinéaste Chris Marker, témoignages familiales, photos qu'on sort de boîtes à chaussures. Ce jeu de piste nous conduira du côté d'Oran, jusqu'à Saint-Denis du Sig, le village natal de la cinéaste pour une révélation pour le moins surprenante: le père de sa tante a éconduit l'amoureux de sa fille en le traitant de traîne-savate, une façon de souligner le décalage social et de classes, existant alors, à l'endroit de celui-là même qui deviendra un photographe et sculpteur et qui est acteur dans le film de Chris Marker. Jouissif.