L'assaut fini, les passagers libérés, les animosités commencent. Alger et Paris ne se regarderont plus en face. Le 24 décembre 1994, un commando du GIA, dirigé par Yahia Abdellah, prend possession d'un Airbus d'Air France. Les pirates de l'air, munis de badges des agents de sécurité de l'aéroport, avaient pu, avec une facilité déconcertante, monter dans l'appareil. Ils commencent par demander aux passagers de présenter leur passeport. Une heure après cette prise d'otages, intervenue trois mois après la prise en main du GIA par Djamel Zitouni, les salles de rédaction du monde entier suivent avec intérêt ce qui va advenir du vol AF 8969. Pendant cinquante-quatre heures, les 227 passagers vont vivre l'angoisse et la tourmente. Le doute s'installe et la confrontation politico-militaire semble s'exacerber: d'un côté Liamine Zeroual, Mokdad Sifi et Meziane Chérif, tentent de libérer les otages par une intervention des troupes d'élite de l'armée, de l'autre, Balladur, Pasqua et Juppé privilégient la négociation et le contact direct avec les preneurs d'otages. Les négociations entre les autorités algériennes et le chef du commando piétinent. Abdelhaq Layada, chef historique du Groupe islamique armé tente de faire revenir le chef du commando sur sa décision de détourner l'avion. La mère de Yahia, le chef du commando, avait été jointe aux pourparlers, en vain. Un groupe d'élite de l'armée avait même pris position autour de l'avion, immobilisé sur le tarmac de l'aéroport d'Alger, et attendait le signal pour intervenir. Quelques minutes plus tard, un officier de police algérien, un diplomate vietnamien, puis un cuisinier français sont, tour à tour, abattus froidement et jetés hors de l'avion. Le gouvernement français, par le biais de ses trois hommes forts de l'époque, Edouard Balladur, chef de l'Exécutif, Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, acculent leurs homologues algériens. «Meziane Chérif va mentir en nous affirmant qu'il avait l'affaire en main alors que les messages alarmistes affluaient», suggèrent ces trois hommes forts de François Mitterrand. Selon un témoignage de Omar Chikhi, membre fondateur du GIA, le groupe preneur d'otages fait partie de l'élite combattante du GIA de la Casbah et des Eucalyptus, «les Signataires par le sang» dirigé, à l'époque, par Yahia Kronfel, mais qui, retenu à la dernière minute, avait laissé faire le chef du groupe des Eucalyptus, Yahia Abdellah. Celui-ci est accompagné de trois autres kamikazes: Makhlouf Benguettaf, Salim Layadi et Mustapha Chekiène, des jeunes djihadistes issus de la jeunesse néo-urbaine et âgés entre 24 et 28 ans. Un premier communiqué du GIA exige des autorités qu'elles laissent libre champ à Kronfel, principal dirigeant du Groupe preneur d'otages, d'accéder à l'avion, mais celui-ci ne donne pas signe de vie. Le chef du commando des Eucalyptus, Abdellah Yahia, prend les choses en main. Il répond à Meziane Chérif, qui lui demandait de se rendre en contrepartie d'un «accord de braves», qui lui épargnerait, ainsi qu'à ses compagnons, toute poursuite judiciaire: «Ta clémence, tu la garderas pour toi, je n'en ai que faire, nous sommes des djounoud de Dieu!». Sous la pression de Paris, l'avion quitte Alger pour Marseille-Marignane. Les preneurs d'otages font preuve d'un prosélytisme exceptionnel: plusieurs passagers sont gagnés par le «syndrome de Stockholm», qui consiste à prendre corps avec son propre bourreau. Le pilote est le premier à être contaminé. A Paris, les décisions sont prises: l'avion ne doit pas repartir vers la capitale et s'il décolle, des chasseurs de guerre devraient l'immobiliser «de force». A Marseille, les négociateurs tentent de gagner du temps. Yahia sent la ruse et suspend tout contact. Il entrouvre même la porte et mitraille la tour de contrôle où étaient assis les deux négociateurs, dont Alain Gehin. «Nous sommes des moudjahidine de Dieu, vous ne nous faites pas peur. Nous sommes des hommes qui ne reculent pas et nous pouvons maintenant, si nous le voulons, faire exploser l'avion», répond Yahia à Gehin. Manipulateur rusé, Gehin tente encore de gagner du temps. «Aucun camion-citerne ne veut s'approcher de l'avion et vous ramener le kérosène nécessaire à votre départ vers Paris». Les preneurs d'otages «sont déjà ailleurs». Le contact est définitivement rompu. Les quatre hommes récitent la «prière de la peur». La radio est éteinte. Après cinquante-quatre heures, le Gign donne l'assaut. Trois membres du GIA, exténués par près de trois jours de veille, sont immédiatement tués, le dernier blessé va faire face, pendant de longues minutes, à une bonne vingtaine des membres du Gign avant d'être finalement blessé puis abattu après avoir blessé neuf gendarmes. L'assaut fini, les passagers libérés, les animosités commencent. La France tient Alger pour responsable d'un laisser-aller criminel au niveau des accès de l'aéroport. Un froid s'installera pour longtemps entre les deux pays et ne s'estompera qu'aux alentours de l'année 2000.