Ce témoin-clé de l'histoire pense que le monde vit sur un volcan. A l'image de nombreux combattants de la révolution armée, le colonel Yacef Saâdi qui a eu à diriger la Zone Autonome d'Alger pendant les années de feu, est un homme qui parle avec ses tripes. Il évoque avec nostalgie la période où il a eu à diriger directement plus de 1500 militants. «Ce fut la plus belle période de ma vie!», déclare-t-il. Ce personnage incontournable de l'histoire contemporaine de l'Algérie semble encore porter dans son coeur l'idéal de Novembre. Quarante-cinq ans après. Il voue encore un respect intact et indéfectible aux «hommes sérieux qui ont fait que notre pays se libère du joug du colonialisme». Il cite, pêle-mêle, les noms de ceux qu'il a côtoyés de près et alors que la Révolution était à ses premiers balbutiements. Il évoquera Ouamrane et les autres intellectuels tels Abane Ramdane, Ghermoul, Ouzeguène, Bédjaoui, H'didouche...non sans situer les lieux habituels de leurs rencontres, à l'instar du café de La Marsa ou encore sa propre demeure à la Casbah. Plus loin, notre invité rappelle ces moments décisifs où il a eu à rétablir le contact entre les révolutionnaires, comme ce fut le cas lors de son voyage à Maghnia. Il parlera aussi d'un certain Si Ouakli qui avait une ferronnerie à la Casbah. Comme il se rappelle avec émotion les chants patriotiques entonnés en choeur avec Krim Belkacem en plein coeur de l'Algérois, au Ruisseau et alors que les considérations régionales et géographiques s'effaçaient devant la noblesse d'une cause qui a su transcender tous les clivages lors de son déclenchement. Ce pur produit du mouvement nationaliste s'arrête également devant ces circonstances fortes d'un long cheminement tel l'instant où Abane Ramdane, avant de rejoindre l'action armée, devait s'assurer auprès de nombre de moudjahidine de la nécessité de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire. Ce martyr que décrit Yacef Saâdi d'intellectuel chevronné. Mais la cité antique, la Casbah, revient à chaque fois comme repère dans le récit de ce dernier. Ainsi il n'omet pas de préciser que Ben M'hidi, après son retour du Congrès de la Soummam, y a séjourné pendant plus de six mois. Un séjour qui aura permis à Yacef Saâdi d'apprendre énormément de choses de ce leader qui était son chef hiérarchique. Yacef Saâdi prend plaisir aujourd'hui à visiter la Casbah, mais il le fait avec une âme déchirée par tant d'ingratitude à ce lieu mythique qui a servi de véritable rempart contre l'occupant. Il déplore les dégâts occasionnés à la citadelle par le temps, mais surtout par nos compatriotes qui veulent sciemment la délaisser. Une Casbah, poursuit-il, qui sut tenir tête à 800.000 soldats tous corps d'armées confondus, et à toute une administration coloniale. Inévitablement, Saâdi aborde son fameux film La Bataille d'Alger; un film-documentaire détenteur du Lion d'Or et qui s'appuie sur des faits et actions réels ayant émaillé la guérilla urbaine dirigée par ce stratège. Il pense que distribuer des copies de ce Chef-d'oeuvre à la nouvelle génération est une entreprise patriotique dont le soubassement est de réhabiliter le patriotisme chez les générations montantes. «Une génération que l'on a, jusque-là, délaissée!», estime notre interlocuteur. Un film de guerre qui a valu à M.Yacef un passage sur la chaîne américaine CNN après avoir suscité l'intérêt des politiques et des officiers de l'armée US, y compris Bush, pour la qualité de ses enseignements dans l'art de la guerre urbaine. Une aubaine que n'a pas laissé passer M.Yacef Saâdi qui en a profité pour «relancer» le long métrage dont le scénario a été écrit à la prison de Fresnes, en France.