«Je ne désespère pas de voir les étudiants reprendre les cours.» L'Université Abderahmane Mira de Béjaïa fait face, ces derniers temps, à un mouvement de protestations. Les étudiants sont depuis samedi en grève. Dans toute cette confusion, une majorité d'étudiants subit le contre-coup d'une crise dont ils ne sont pas les responsables. Dans cet entretien, Djoudi Merabet revient sur les derniers événements ayant secoué cette université et tente d'expliquer les tenants et les aboutissements de cet imbroglio. L'Expression: Contre toute attente, les étudiants ont reconduit leur mouvement de grève. Comment l'expliquez-vous? Djoudi Merabet: Je suis aussi surpris que vous. Mais très désagréablement surpris. Nous nous sommes quittés le 16 décembre 2007 à 22h, après une journée de négociations marathon, au terme de laquelle des engagements ont été pris. Des efforts ont été fournis par toutes les parties représentées (Onou, délégués étudiants, université...) pour enfin trouver un terrain d'entente et de négociation. Un procès-verbal d'accord a été signé par toutes les parties présentes. La satisfaction de tous les participants était visible. A la reprise, je pensais, au moins pour les problèmes pédagogiques que l'université s'est engagée à solutionner, que les cours auront lieu. Malheureusement, les étudiants n'ont même pas laissé l'occasion à l'université de montrer sa bonne volonté à éloigner le spectre de l'année blanche qui nous guette. Je vous avoue mon inquiétude devant l'imminence de la fin du premier semestre (mi-février 2008), d'autant que l'organisation des enseignements du LMD est semestrielle. A cela, il faut aussi penser aux milliers d'étudiants qui sont en fin de cycle et pour qui cette situation risque d'être très critique. Pourtant, nous avons multiplié les appels au dialogue et les tentatives de rapprochement, en vue d'essayer de comprendre les raisons qui nous ont fait revenir au point de départ, pour sortir de l'ornière. La seule chose qui reste à faire, c'est d'appeler cette jeunesse estudiantine à la sagesse et à la raison. Cet appel doit être entendu par ces étudiants que nous voulons convaincre de la nécessité, pour eux, de regagner les amphis, quelles que soient leurs motivations, pour ne pas ajouter à leurs préoccupations celle plus grave de l'hypothèque de leur avenir. Est-ce que cela veut dire que les négociations ont échoué? Des négociations échouent quand il y a conflit d'intérêt entre les parties. Or, il ne peut y avoir de conflit d'intérêt entre l'université et ses étudiants, parce que l'un ne peut exister sans l'autre. Mais nous concevons les négociations comme un processus perpétuellement ouvert avec, parfois, des étapes plus intenses que d'autres. Pourtant, beaucoup de revendications ne relèvent pas de vos prérogatives. Certes, beaucoup de revendications ne relèvent pas de mes prérogatives directes, mais je me sens concerné en tant qu'enseignant-universitaire, en tant que recteur d'université, en tant que membre de la société et tout simplement en tant que père, soucieux de l'avenir de ses enfants. C'est au moment où l'université connaît un essor enviable qu'elle vit toutes ces perturbations. C'est paradoxal, n'est-ce pas? C'est précisément parce qu'elle connaît cet essor remarquable qu'elle vit ces perturbations. Ce n'est pas un paradoxe. C'est dans la logique de son développement. Quand vous multipliez le nombre d'enseignants, quand vous multipliez le nombre d'étudiants, quand vous multipliez le nombre d'offres de formation, quand vous multipliez les sites de l'université, quand vous accueillez une composante humaine de plus en plus jeune donc inexpérimentée, il faut donner le temps à la culture universitaire de se répandre, d'être intériorisée dans tous les esprits. Ce processus d'acquisition culturelle est forcément long et lent. Les chercheurs en sciences sociales et humaines en ont fait la démonstration. L'université de Béjaïa, à l'instar de toutes celles d'Algérie, est jeune et la nôtre entame à peine sa 25e année! Elle n'a pas encore, dans sa composante générationnelle, celle qui sert de régulateur, celle des vrais «aînés». Donc, c'est une étape que l'université doit franchir et nous devons oeuvrer à ce qu'elle la franchisse de la manière la plus positive possible. Comment envisagez-vous l'avenir immédiat? Je ne désespère pas de voir les étudiants reprendre le chemin des cours parce que j'ai toujours cru en leurs potentialités et à l'impact positif de ce que leur inculquent leurs enseignants. La situation de crise permanente n'existe pas. Cela fait quelques années que vous êtes à la tête de l'université de Béjaïa, des signes de fatigue... Merci de me rappeler que je suis recteur depuis longtemps et j'espère ne pas vous décevoir en vous disant toute la joie, l'honneur et la chance que j'ai à gérer l'université de Béjaïa, ville de sciences, d'histoire et de grande culture. L'université de Béjaïa est devenue un pôle de formation et de recherche important. Un positionnement dû à la réussite des changements initiés et à l'importance de l'investissement accordé. Des atouts et des performances qu'il faut préserver et surtout promouvoir davantage. Donc, vous imaginez le plaisir que j'éprouve à mener des projets d'une telle importance à Béjaïa dont le substratum culturel peut résister à toutes les difficultés.