Je dois signaler, tout de suite, que ces deux ouvrages n'ont pas un objet commun. Il y a, néanmoins, un certain intérêt à lire l'un et l'autre. Le premier, Violence, trauma et mémoire (1), réunit des études et analyses très soignées d'un collectif de psychanalystes dont des Algériens. L'idée s'est présentée comme un besoin impérieux, et quelque part libérateur, de répondre à «de multiples questions qui m'étaient posées non sans émotion, écrit Fadhila Choutri, la coordinatrice, sur le pourquoi de l'horreur dans mon pays, le pourquoi de tant de mal (...) Si l'on accepte d'aller voir tout ce qui a été dit et écrit sur ce sujet, on réalise que les discours produits sont souvent limités, voire compulsifs. Leur déconstruction dévoile leur fonction défensive, dans la mesure où dénégateurs, ils portent dans la trame trouée de leur texture la trace muette d'une mémoire traumatique dont, après tout, les Algériens sont dépositaires». Le second ouvrage, L'utopie de la communication (2) est de Philippe Breton, chercheur au CNRS à Strasbourg, professeur à la Sorbonne et auteur de nombreux ouvrages sur la fonction multiple de la communication que le monde d'aujourd'hui, à des degrés divers, semble activer tous azimuts. Le présent essai, très dense, rappelle la pensée générale selon laquelle «Le pouvoir des médias, le quasi-monopole qu'ils exercent sur la circulation de l'information se sont affirmés de façon sans équivalent dans l'histoire humaine» et se propose de montrer et d'analyser «Le fantasme d'un village planétaire en forme de «cyber-space» [qui] se tisse chaque jour derrière la progression des très médiatiques «autoroutes de données». Autrement dit, il y aurait, «parallèlement à cette apologie d'une «communication sans contenu», qui devient à elle-même sa propre finalité, la montée de l'intolérance, de la xénophobie, de l'exclusion et des idéologies qui en sont les vecteurs actifs n'a jamais été aussi forte depuis les années quarante. Un peu partout, ces forces obscures, que l'on croyait, sans doute par naïveté, disparues à jamais, font surface et repassent à l'offensive. Qu'il s'agisse des milices de l'extrême droite américaine, des mouvements «blancs» les plus conservateurs, de mouvements nationalistes en Serbie, en Russie ou ailleurs, des mouvements xénophobes en France et partout en Europe.» Et nous pourrions ajouter : des mouvements intégristes de tous bords, religieux ou politiques ; ce qui s'est passé (pourrait-on parler au passé?) dans notre pays, ce qui se passe en ce moment en Palestine, et ce qui se passe ailleurs. Cela observé, est-ce que la communication n'aurait pas une portée sociale d'une nouvelle valeur? Ne pourrait-elle pas apporter à la thérapie psychanalytique, sinon «quelque chose de neuf», du moins une aide à ne pas négliger dans l'examen de la dimension événementielle subie par le sujet et dont celui-ci ne peut, ne sait ou n'ose parler? La communication bien orientée viendrait éclairer, mieux peut-être, ce que Fadhila Choutri appelle «l'invisible du trauma». Mais Philippe Breton, en fait, ramène toutes ses observations à des thèses «politiques et les rattache à l'existence de ces «forces politiques qui ont en commun le désir d'exclusion», comparablement à la communication post-coloniale française qui, ainsi que Fadhila Choutri le souligne en quelque manière en écrivant: «Dans ce pays où la tragédie fait image à la une, une telle vérité est oubliée: c'est le silence médusé, témoin de l'impensable et de l'irrémédiable.» Elle ajoute avec juste raison: «De ce côté de la Méditerranée, la vérité sur ce drame en tant que trace d'un noeud compact où le traumatisme collectif lié au désastre de la colonisation agit toujours, est simplement désavouée.» Elle va même plus loin et elle précise: «Si ces projections génèrent l'ambigu représentationnel, elles opèrent en tout cas un déplacement diabolique sur «la banlieue» en tant que territoire d'accueil des communautés étrangères, surtout maghrébines. Ce à quoi, l'opinion de Philippe Breton est d'un précieux jugement. En effet, d'une certaine façon, la communication finit toujours par être pertinente lorsqu'elle est outil de libération. C'est ce que l'on pourrait appeler avec ce chercheur «La nouvelle utopie». Mais celle-là, on ose le dire, est vraie, c'est-à-dire une nouvelle manière de faire la science et de faire que la communication soit «une valeur post-traumatique». Chez les psychanalystes, on retrouve quelques-uns de ces aspects ou éléments de la communication. Ce sont «la représentation» et «le message» inclus dans «l'état de guerre», de «terreur de masse» et de «violence sociale», comme en Algérie. Ici, le problème est posé clairement par nos chercheurs et leurs confrères étrangers appelés à analyser, ensemble et diversement, la violence et ses pratiques et à tenter de circonscrire «cette profonde souffrance» par l'évocation de scènes traumatiques rapportées par leurs victimes de tout âge, et où la mémoire exprimée, où «toute opération amnésique» donnent des résultats de «souvenir» et d'«oubli». Sont alors abordés avec une conscience extrême de très nombreux cas dans l'ouvrage Violence, trauma et mémoire. Citons L'implication indirecte par «laisser faire», Le cas arménien, présenté par Janine Altounian ; Violences sociales: la question de l'accueil du traumatique et sychothérapie et temps de mort, par Fadhila Choutri ; Ruptures catastrophiques et travail de la mémoire, par René Kaës ; Penser le trauma, par Anne-Marie Mansuy ; Le psychologue et la problématique de la mort, par Fatima Moussa ; Trauma et fiction, par Heitor O'Dwer De Macedo ; Mémoire sociale et sentiment d'appartenance, par Janine Puget ; et Une clinique en situation de violence sociale, par Dalila Samai-Haddadi, une étude de cas de «mémoire qui se dérobe» absolument époustouflants d'émotion et de «réalisme vrai», car ces cas se rapportent aux événements qui ont marqué l'histoire de l'Algérie pendant le terrorisme. A cet excellent recueil de «contributions», peut-être manquerait-il une grande conclusion. Mais peut-être aussi, cette conclusion est-elle laissée volontairement à la discrétion des lecteurs...