Il y a de l'argent mais cela ne suffit pas pour en faire un sport en plein développement. Le football russe, qui a créé la surprise à l'Euro-2008 après vingt ans de sommeil, est massivement financé par la manne des matières premières. Les noms des grands clubs, qui fascinaient à l'époque soviétique, sont restés les mêmes: le CSKA, l'équipe de l'Armée rouge, le Dynamo du ministère de l'Intérieur, le Lokomotiv des Chemins de fer, et le Spartak. A une exception près, Ivan Saenko, qui joue à Nuremberg en Allemagne, les 23 joueurs retenus par le sélectionneur Guus Hiddink pour l'Euro-2008 et qui ont affronté l'Espagne jeudi en demi-finales, sont tous issus de clubs russes. Ils étaient peu connus à l'étranger jusqu'à présent. Leurs clubs sont pour la plupart financés par de grandes compagnies publiques ou des budgets locaux. En Russie, les stades affichent rarement complet et l'essentiel des budgets provient des sponsors. Le Zenit Saint-Pétersbourg, club du meneur de jeu Andrei Arshavin, devenu l'une des stars de l'Euro, est financé par le monopole du gaz russe, le géant Gazprom, qui parraine également Schalke 04, troisième du Championnat d'Allemagne 2007-08. Le Dynamo dépend du vaste holding minier et sidérurgique, Metalloinvest, en partie détenu par le magnat Alicher Ousmanov, propriétaire d'une partie du club anglais d'Arsenal. Le Spartak est lié à la compagnie Loukoïl, numéro deux du pétrole russe. «Une des grandes différences avec l'Occident, c'est que l'argent va principalement aux salaires et que l'on consacre très peu de moyens à l'amélioration des infrastructures: en un mot, nous n'avons pas de stades», souligne Alexandre Bobrov, journaliste spécialisé du quotidien russe Sport-Express. «Ces dernières années, le seul stade correct qui ait été construit est celui du Lokomotiv», dit-il. «Nos footballeurs ont des salaires excessivement élevés, allant de un à trois millions d'euros annuels net, sans compter les énormes primes, déplore-t-il. Un footballeur qui voudrait jouer dans un club européen serait sûr de perdre de l'argent». Le Néerlandais Guus Hiddink est lui-même entièrement payé (2 millions d'euros par an officiellement) par le milliardaire russe Roman Abramovitch, propriétaire du club anglais de Chelsea. «Il est clair que si l'on compare l'Europe et la Russie, le football des jeunes est peu financé», relève un spécialiste d'une autre publication russe sous couvert d'anonymat. L'Union de football du pays (RFS) ne s'en cache pas et dresse une longue liste des «principaux problèmes du football russe» dans une «stratégie de développement» qui sonne comme un appel à l'aide. «Financement insuffisant des écoles de football pour enfants et adolescents», «excès de transferts venus de l'étranger dans les clubs», «état insatisfaisant des équipements»: le constat est sévère. «L'ampleur des problèmes est telle que l'on ne peut espérer qu'ils soient résolus par l'Union et l'Etat seuls», ajoute la RFS. Dans un tel contexte, les spécialistes russes espèrent que des joueurs iront acquérir de l'expérience et contribuer au prestige de la Russie dans des clubs européens. Pour M.Bobrov, la victoire en quarts de finale contre les Pays-Bas n'est pas due à l'afflux d'argent. «C'est plus le travail de Hiddink et cela a moins à voir avec les clubs: le choix des joueurs chez nous est limité». «Il y a peut-être environ 300 joueurs professionnels en Russie, dont seulement une soixantaine sont russes», a récemment souligné Hiddink, qui veut travailler avec l'Académie nationale de football du milliardaire Abramovitch sur les moyens de «moderniser» la formation des enfants et les infrastructures.