Voir Hassen Lalmas avec ses prouesses techniques, assister au derby mettant aux prises Betrouni, Bachta, Bachi, du MCA, d'un côté et de l'autre, Bouyahi, Youcef Oualiken, Bousseloub, Bahmane du NAHD et clôturer la soirée avec Lehmam d'El Anka, telle était la beauté d'Alger. «Alger des années 70 respirait le football, chantait le chaâbi et le haouzi. Elle appréciait Omar Guetlatou, Chronique des années de braises et Hassan Terro. Alger aimait la plage, vivait de jour comme de nuit. En un mot, Alger rayonnait de joie.» Ainsi, se souvient Amina D, 53 ans, fonctionnaire, de la ville de son enfance. Cependant, fait-elle remarquer «le respect mutuel, c'était le maître mot de nos rapports. A l'époque, les gens étaient d'un humanisme et d'une jeunesse exemplaires», appuie-t-elle en poussant «un long» soupir nostalgique. Son regard devient rêveur. Elle retrouve les beaux jours de sa jeunesse. Ses propos en disent long: «Vous savez, la femme algérienne, c'est la maturité, la finesse, l'élégance, la sensibilité et le savoir-vivre. A l'époque, on appréciait ces qualités à leurs juste valeur.» Elle en veut pour preuve: «Les femmes pouvaient se promener dans la rue, de jour comme de nuit, sans que personne n'ose les déranger. Aujourd'hui, nous ne pouvons même pas sortir en famille à cause de ce qui se passe dehors», allusion faite aux dépassements que subissent les femmes dans les rues. Amina se souvient également des fêtes de mariage ayant bercé son enfance et enchanté sa jeunesse. «Bekri (autrefois), le marié était vêtu en costume et portait le burnous de son père ou de son grand-père pour avoir la bénédiction, la baraka. La terrasse était préparée et ornée pour les zornadjia (formation d'instruments de percussion et hautbois), les m'samiya (les femmes chanteuses) et les chouyoukh (les maîtres du chant traditionnel). La soirée artistique commençait avec les airs joués par le grand maître de la zorna Boualem Titiche. Arrivent ensuite les chouyoukh qui prolongeaient la magie jusqu'à l'aube.» Le souvenir de ces soirées lui revient comme si c'était hier: «On n'oublie pas des soirées animées par El Hadj (El Anka), Guerrouabi, El Ankis, Ezzahi et autres.» Ses souvenirs se précisent de plus en plus: «La mariée était vêtue d'habits traditionnels. Elle portait une robe en lin brodé, le karakou le khwiyyet (pantalon brodé), seroual testifa et sa bedliya (gilet). Sans oublier le burnous de sa grand-mère qu'elle portait pour la baraka.» Safia N. «l'Algéroise», comme elle se présente avec fierté du haut de ses 50 ans, tient les mêmes propos que Amina: «Durant les fêtes de l'Aïd, nous préparions le makrout. Nous nous rendions au cimetière puis, nous nous retrouvions au domicile familial. Le lendemain était réservé aux visites réciproques entre proches, voisins et amis.» Dans ses yeux, luit le souvenir d'une jeunesse tendre. Elle renchérit: «Avec nos voisins, nous formions une famille. Le plus petit respectait le plus âgé. La femme était portée aux nues.» Cependant, un brin de regret altère ses pensées: «Nous avons perdu tout cela. Les moyens de communication moderne, se sont substitué aux rapports humains chaleureux d'autrefois.» Alger des années 70 était celle des virtuoses du ballon rond. Voir Hassen Lalmas, maître à jouer du CRB et de l'équipe nationale de l'époque, avec ses prouesses techniques légendaires, était un pur régal. Assister au derby mettant aux prises Betrouni, Bachta, Bachi, Bousri, Benchikh du MCA d'un côté et de l'autre Bouyahi, Nazef, Youcef Oualiken, Bousseloub, Bahmane du NAHD, signifiait la réalisation d'un rêve fou. Lehmam (Le Pigeon) d'El Hadj El Anka partait des terrasses de la Casbah, il survolait tout Alger et répandait sur ses quartiers, les odes enivrantes du chaâbi, El Mequnin Ezzin (le Chardonneret) d'El Badji appelait l'être chéri emporté par Bahr Etoufan (la mer). Alger des années 70 était jalouse de sa culture et de son savoir-vivre. A l'époque, se souvient Aâmi Ahmed Brahimi, 75 ans retraité «le fils, arrivé à l'âge adulte, prenait en charge ses parents. A l'occasion de l'Aïd, nous organisions des ouziya (offrandes collectives) et chacun, surtout les plus démunis, prenait sa part. Nous étions comme des frères.» Au «café 45» à Kouba, aâmi Saâdi Kadi, 72 ans, retraité des chemins de fer, nous invite à siroter un café. La discussion s'engage. Aami Saâdi nous lance: «Dans ces quartiers que vous voyez, je pouvais entrer dans n'importe quelle maison, voir mes amis (lehbab) partager le manger et d'agréables moments, nous étions une famille. Les filles du quartier était protégées par les habitants. Personne n'osait leur manquer de respect.» Un moment, Aâmi Saâdi effectue une digression sur l'ère coloniale: «Savez-vous pourquoi ce cafétéria où nous sommes, s'appèlle Café 45?» Et à lui d'expliquer «Durant la colonisation, les colons se rendaient aux endroits de loisirs nocturnes, sis dans la rue là-bas (ex-la République), où ils aimaient passer leur soirée. En 1945, un vote fut organisé pour la construction d'une cafétéria réservée, uniquement, aux Arabes. Le projet fut adopté et ce café fut érigé.» Revenant aux années 70, notre interlocuteur affirme: «L'ambiance était impeccable. Par exemple, sur les lieux de notre travail (les chemins de fer, il nous arrivait de pousser avec nos propres épaules les wagons, chargés, pesant 20 à 30 t. Le travail se faisait par équipe. Le coeur épris de notre pays, l'esprit et le corps soumis à une discipline de fer, nous nous mettions au service de cette terre.» Pour conclure, aâmi Saâdi, du haut de ses 72 ans, lance cette phrase comme de la foudre «Bekri khir». Nostalgie quand tu nous tiens.