«De Abane à Boudiaf, combien de crimes orchestrés? Krim, Khider et autres». Renié pendant 28 ans par l'Algérie officielle, Si Tayeb El-Watani rentre au pays fin janvier 1992 pour présider le Haut comité d'Etat (HCE), crée après la démission de Chadli Bendjedid et l'annulation du second tour des législatives du 26 décembre 1991. Mohamed Boudiaf au patriotisme farouche a répondu à l'appel de l'Algérie qui se trouvait prise entre la mâchoire de la déferlante intégriste et celle des rentiers du système du parti unique. Dès son installation à la tête du HCE, le Président Boudiaf a tendu la main à tous les Algériens sans pour autant faire la moindre concession aux islamistes intégristes. Résolument opposé à ce courant, il a procédé à la dissolution du FIS en mars 1992 et envoyé des milliers d'islamistes en internement administratif dans «les camps du Sud» (c'était l'urgence du moment, car il fallait contenir la déferlante intégriste). Boudiaf ne s'est pas arrêté là. Avec un discours populaire, franc à l'antipode de la phraséologie démagogique et de la langue de bois, l'homme historique s'est révélé à la nouvelle génération algérienne en véritable «machine à communiquer» suscitant ainsi un immense espoir dans l'opinion. Boudiaf a déclaré expressément qu'il allait poursuivre toutes les parties en accusation dans les affaires de détournement de fonds quelle que soit leur position. L'on se rappelle l'affaire «Hadj Bettou» ou le dossier «du général Belloucif». Dans la foulée, Boudiaf a lancé le RPN (Rassemblement patriotique national) qui a suscité une adhésion massive. Les 180 jours qu'il a passés à la tête de l'Etat, ont permis de faire comprendre que l'intégrisme islamiste n'est pas une fatalité en Algérie pour peu que la «hogra», les détournements et le «beni-aâmisme» soient banis. C'est dans cette perspective que Boudiaf a déclaré la guerre à la corruption, il s'est attelé à la réforme des institutions (la justice et la douane) et au calendrier électoral. La «mafia politico-financière», voilà un concept fatal pour le chef historique. Ce dossier a pris des tournures aiguës quand Boudiaf par «naïveté ou excès de patriotisme» s'est attaqué de front à cette nébuleuse aux contours indéfinis et qui ne lésine pas sur les moyens pour éliminer tout obstacle humain. Le 29 juin 1992 vers 11 heures, un illustre inconnu, un lieutenant chargé de sa sécurité de surgit de derrière le rideau et lui vide le chargeur à bout portant. Boudiaf s'écroule et avec lui l'espoir des réformes. «Ils l'ont ramené et l'ont tué», disait-on alors dans la rue. La veuve du Président, Mme Fatiha Boudiaf, a créé une fondation portant son nom et n'a cessé de demander que la vérité soit faite sur cet assassinat. «De Abane à Boudiaf combien de crimes orchestrés? Krim, Khider et autres laisseront cette terre ancestrale entre les mains de ces tristes sieurs ou entre les griffes de ces lâches qui l'ont plongée dans le chaos?» hantait le barde assassiné, lui aussi, un certain 25 juin 1998.