Ce sont les enfants qui se chargent de convoyer le carburant de contrebande vers le Maroc. «Dis à Ghaouti de mettre à l'abri l'auto, les gendarmes viennent de mettre en fourrière plus de 50 voitures et de saisir une vingtaine d'autres tandis que la traque lancée contre les hallabas est farouche à Bab El Assa, Boukanoun et Maghnia». Ce message provient de Mohamed pour informer son frère de la sortie des hommes en vert. La frayeur d'être arrêté en flagrant délit de trafic de carburant et les fâcheuses conséquences qui s'ensuivent a gagné les esprits des bandits spécialisés dans l'alimentation illégale, du Maroc, en ce précieux combustible algérien. «Puisque les gardes-frontières et les douaniers serrent l'étau sur les frontières, je marque une pause pour mieux voir», a indiqué Ahmed, un autre hallab (trafiquant de carburant), habitant Boukanoun, village mitoyen du petit bourg marocain d'Ahfir. Le village d'Ahfir se trouve à 10 minutes de marche de Boukanoun en traversant le petit oued séparant les deux hameaux aux deux nationalités différentes. Autant de choses ont changé depuis la mort dramatique du jeune Boulouiz Amine. Cet universitaire de 18 ans n'a jamais versé dans la contrebande, il est inconnu au bataillon, ont témoigné plusieurs hallaba. Cette déclaration renseigne des liens étroits qui lient les réseaux spécialisés dans le trafic de carburant. «La hallaba a sensiblement baissé durant ces deux jours où des manifestations ont secoué Boukanoun et Bab El Assa», a affirmé un officier des gardes-frontières expliquant qu'au moindre événement, les contrebandiers passent à l'hibernation tout en dissimulant leurs véhicules. La même politique est adoptée au niveau du chef-lieu de la daïra de Bab El Assa. Là aussi, les choses ne sont pas en faveur de ces «exportateurs» de circonstance étant donné que les hommes en vert, mobilisés en force, ont quadrillé toute la ville, ses artères et tous les points stratégiques, y compris les accès menant vers les frontières. Au bonheur des gueux Il est midi de cette belle journée printanière de mercredi. Les rues, auparavant, animées de Bab El Assa, ont revêtu un nouvel habit donnant l'image d'un parfait désert en plein centre urbain. Un seul cybercafé situé au centre-ville est ouvert. En quête de leur habituelle dose de tchatche, le peu d'internautes, bravant les suspicions des gendarmes, se relayaient, à tour de rôle, sur les micro-ordinateurs. Dans le fond ténébreux de la salle, un homme à la quarantaine était en communication audio avec sa dulcinée du village marocain Ahfir lui décrivant, à vive voix, son ras-le-bol du malaise social de sa commune. Cet homme est universitaire de formation et chômeur de profession, a ironisé le gérant du cyber. Soudain, un gendarme, en sueur, fait irruption dans le cybercafé. Des yeux grands ouverts il lorgne furtivement les internautes. Aussitôt sorti, les présents se mettent à le critiquer tout en mettant tout le monde, y compris plusieurs membres du gouvernement, dans le même sac. Ahuris par la gravité du phénomène, plusieurs jeunes ont recommandé l'ouverture de sérieuses enquêtes sur le trafic de carburant, activité dans laquelle seraient impliqués plusieurs cadres locaux. La bezra, cet impôt qu'il faut verser à qui de droit pour faire passer la marchandise existe toujours. En cette journée de mercredi, la circulation routière est très dense. Des dizaines de Mercedes, Renault 25, Renault 21 et fourgons Jumper, parcourent, à vive allure, les deux sens de la route qui lie les daïras de Maghnia et Bab El Assa. Tous ces chauffards sont membres des grands réseaux qu'il faut mettre en prison, a indiqué le chauffeur de taxi en nous emmenant à Bab El Assa. Il explique que la marchandise chargée est aussitôt acheminée, sans se soucier d'être arrêté, vers les villes situées de l'autre côté des frontières, Ahfir et Oujda. La hallaba est cette pratique exercée par des centaines d'habitants de la bande frontalière ouest, sous la bénédiction des cercles très introduits, déplore-t-on. A Maghnia, tout comme à Bab El Assa et Boukanoun, les hallabas inconnus au bataillon prennent les risques. Ils n'ont pas eu l'aval des cercles, accuse-t-on. «Ce ne sont que des allégations mensongères», a riposté un douanier en faction, expliquant que les services douaniers sont victimes de leur bravoure dans l'accomplissement de leur mission consistant à protéger l'économie nationale. Faute d'investissements et de développements locaux, le recours au trafic en tout genre constitue la première solution salvatrice des populations de la bande frontalière en quête de survie. Les trafiquants sont traqués par les GGF et les douaniers. Cette activité des frontières, quoique informelle, n'est pas près de déposer son bilan malgré la mort d'hommes et tant d'autres accidents enregistrés. Les bilans sont révélateurs. Près d'un million de litres de mazout et plus de 65.000 litres d'essence ont été saisis en 2009. «Plus jamais de pratique de cirage», s'est engagé Ben Bella lors de son investiture à la magistrature suprême du pays. Effectivement, cette pratique a disparu tandis qu'une nouvelle opération est née à l'aube des temps modernes, l'exploitation des enfants dans des activités interdites. Après minuit, des dizaines d'enfants empruntent les sinueuses routes des frontières en guidant des dizaines de baudets chargés chacun d'une dizaine de jerricans emplis de combustible. Ils sont exploités par des barons sachant à l'avance que ces gamins seront relâchés dès leur interpellation vu leur bas âge, a indiqué un officier des GGF à L'Expression qui a constaté de visu, mardi soir, l'une des opérations menées par 10 enfants en partance vers la ville d'Oudjda. Des centaines de cafés au lieu des usines «Je n'ai rien à vous déclarer, nous sommes dans un contexte difficile», a affirmé M.Bouchouk, chef de daïra de Bab El Assa qui a préconisé la nécessité de calmer les esprits. Toute déclaration peut se retourner contre son auteur, compte tenu des événements qui ont sérieusement ébranlé, ces derniers jours, Bab El Assa et Boukanoun. Auparavant, Malou El Hachemi, P/APC de Bab El Assa, s'est, lui aussi, confiné dans un silence total hormis les quelques bribes arrachées au prix d'un ingénieux effort après que L'Expression ait abordé la question de développement local et l'emploi des jeunes. «Voilà les sujets qui n'irritent pas nos élus locaux et nationaux», a ironisé un confrère exerçant dans la wilaya de Tlemcen, avant d'entamer l'énumération des projets dont a bénéficié la municipalité qu'il gouverne. A Bab El Assa, les jeunes de la commune déclarent qu'ils ne veulent pas travailler compte tenu de la rentabilité du trafic de carburant. Les quelques jeunes rencontrés tout près de l'enceinte de la mairie sont unanimes. «Pourquoi travailler comme un esclave pendant tout un mois pour gagner, en fin de compte, un salaire misérable de 3000 DA?» Pourquoi avoir fermé tant d'usines?, s'interrogent-ils. Tayeb Louh, enfant de la région, n'est pas épargné. «Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, originaire de M'sirda, n'a rien fait pour son village natal, ne serait-ce que des efforts minimes», critique-t-on. La misère prend des allures fulgurantes. Ce qui contraste avec le luxe des voitures conduites par la majorité des habitants. «A Bab El Assa et Maghnia, hormis l'exercice de la hallaba, aucun avenir heureux ne se profile à l'horizon», déplore-t-on. Faute de développement local, ce sont des dizaines de cafés qui poussent comme des champignons chaque jour. La localité de Maghnia a, en un laps de temps très court, perdu tout son potentiel économique. L'agriculture et l'industrie sont en décomposition très avancée, laissant place à la mafia spécialisée dans l'exportation illégale des grandes quantités de carburant et au trafic de drogue. Le rendement agricole d'antan n'est qu'un rêve nostalgique des vieux fellahs ayant irrigué pendant de longues années leurs terres nourricières. Des dizaines d'hectares de terres fertiles, servant actuellement d'assiettes pour les équipements publics. Les contraintes sont juridiques. La pépinière de la Safa Dahra, qui fournira quelque 500.000 plants à qui borderont l'autoroute Est-Ouest, se trouve dans un infernal engrenage. Un litige l'oppose aux pouvoirs publics autour de l'extension d'un projet d'utilité publique et ce, au détriment de la pépinière. Pourtant, les Plans d'occupation des sols de Maghnia ne sont pas totalement consommés. «Le parc foncier de la daïra est évalué à 600 hectares», apprend-on auprès des sources proches des services de l'urbanisme. La politique de privatisation et de redressement économique a porté un coup fatal aux usines, jadis productives. Le peu qui reste, comme l'usine de la céramique, active au ralenti. Un rythme édicté par la politique du service minimum après avoir libéré des dizaines d'employés.