La situation demeure inchangée et les Américains exigent toujours le droit de frappe automatique de l'Irak. Au moment où la communauté internationale conjugue ses efforts pour arriver à une issue pacifique de la crise irakienne, les Etats-Unis, en solitaires soutenus par la seule Grande-Bretagne, se préparent à porter la guerre et le meurtre contre un peuple étranglé par onze ans de blocus international. Dans cette perspective de guerre, le Pentagone a annoncé vendredi des acheminements de matériels, notamment le transfert des quartiers généraux du 5e Corps d'armée de l'US Army (armée de terre en Europe) et de la 1re force expéditionnaire des Marines, basée en Californie, au Koweït. Les officiels militaires américains arguent que ces transferts «doivent permettre de réagir rapidement si on nous le demande. Mais nous n'en sommes pas là», ajoutent-ils. Poussant à son ultime phase sa logique de guerre, l'administration américaine, plus impériale que jamais, veut ainsi imposer au monde un recours aux armes auquel, unanime, il s'oppose. Le Conseil de sécurité dans la quasi-totalité de ses membres, à l'exception des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, est d'accord pour renforcer les prérogatives des inspecteurs en désarmement, rejette, en revanche, la possibilité d'une frappe militaire automatique de l'Irak, et qu'une telle option doit faire l'objet d'une résolution spécifique du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est à un véritable dialogue de sourds que s'adonnent les membres du Conseil de sécurité qui, pour le moment, résistent à la pression de Washington qui ne tient compte d'aucune des ouvertures de l'Irak, même le fait d'avoir accepté le retour sans condition des experts en désarmement onusiens. C'est ce qu'affirment les Irakiens dans une lettre au directeur de la Cocovinu, Hans Blix, dans laquelle il est écrit: «Nous confirmons que nous sommes complètement prêts à recevoir une équipe avancée (...) le 19 octobre». Ce qu'appuie une déclaration de l'ambassadeur irakien auprès de l'ONU, Mohammed Aldouri, lequel indique: «Nous souhaitons la venue (en Irak) des inspecteurs le plus rapidement possible. Nous ne voyons pas de problèmes», affirmant: «Si des problèmes se posent quand les inspecteurs auront commencé à travailler, je suis sûr qu'il sera alors possible de trouver des solutions positives.» Les Américains, qui ne veulent entendre que leur propre logique, balayent toutes avancées concédées par l'Irak, estimant même que la dernière lettre de Bagdad à l'ONU est «(...) une page et demie de rhétorique qui dit tout sauf ‘‘oui''». «Oui» à quoi? Seuls les Américains en connaissent la réponse, du moment que les Irakiens se disent prêts à ouvrir tous les sites que demanderont à voir et à vérifier les inspecteurs de l'ONU. De fait, en plus de son désarmement, les Etats-Unis se sont donné pour objectif prioritaire le changement de régime à Bagdad. Ce qui pouvait encore passer pour une pression supplémentaire s'avère de plus en plus le véritable but de Washington. Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a même confirmé une information du New York Times, lequel révélait, vendredi, qu'il existait un plan d'occupation militaire de l'Irak. Selon le quotidien new-yorkais, le projet d'occupation qui est au stade des discussions, «prévoit une période transitoire avant la mise en place d'un gouvernement civil élu, allant de plusieurs mois à des années». Un commandement militaire américain gérera le pays le temps, pour les Etats-Unis, de «trouver tous les sites d'armes de destruction massive et de les détruire», indique-t-on encore. C'est ainsi que le chef de la diplomatie américaine explique: «Si une invasion du pays devait être décidée, nous aurions l'obligation de mettre en place un meilleur régime», indiquant: «Nous faisons évidemment des plans prospectifs, et il y a différents modèles dans l'histoire que l'on peut regarder» (en référence à l'Allemagne et au Japon, sanctionnés par les vainqueurs, au lendemain de leurs défaites lors de la Seconde Guerre mondiale de 1945) Relevant au passage que la Maison-Blanche ne considère pas cette longue présence militaire américaine en Irak, comme une «occupation». Nous sommes ainsi, quelque peu loin de ce qui préoccupe la communauté internationale : le désarmement de l'Irak et uniquement son désarmement. Impériaux, les Etats-Unis font fi de la communauté internationale et, dans la foulée, des Nations unies, dont dorénavant, il devient patent, que le rôle qui leur est assigné se limite à approuver les décisions arrêtées par les Etats-Unis en tant que hyperpuissance mondiale. Dès lors, peut-on se demander, de quelle utilité et quel est l'objet du débat public que les Nations unies organisent mercredi prochain autour de la crise irakienne? Ce débat est demandé par le groupe des Non-alignés qui veulent recentrer la discussion notamment dans la perspective d'une meilleure prise en charge, sans parti pris, par les Nations unies des problèmes récurrents qui agitent le monde. De ce point de vue, d'aucuns de relever que l'on reproche à l'Irak de n'avoir pas «respecté» 16 fois les résolutions de l'ONU, au moment où 28 résolutions le concernant n'ont pas été prises en compte par Israël, qui les a ignorées et continue, toujours, de les ignorer. Les Arabes, notamment, veulent mettre en exergue ce deux poids, deux mesures, fortement encouragé par les Etats-Unis, qui ont toujours bloqué par leur veto les condamnations d'Israël par le Conseil de sécurité. Aussi, l'enjeu aujourd'hui, est que, face à la logique de guerre américaine, l'ONU joue sa dernière carte en tant qu'organisation mondiale représentative. Une résolution donnant aux Américains le feu vert d'attaquer l'Irak sonnera définitivement le glas des Nations unies lesquelles connaîtront alors, à brève échéance, le sort qui a été celui de la défunte Société des Nations (SDN).