C'est un jeune venu d'Alger qui a semé la stupeur parmi une petite assemblée joyeuse réunie dans un café du 19e arrondissement de Paris. Document en main, cet expert un peu particulier muni d'un visa de circulation permanent, et qui s'est spécialisé dans l'assistance aux émigrés, explique à son auditoire que, désormais, pour être exonéré des droits des douanes lors d'un déménagement, le ressortissant doit restituer définitivement son titre de séjour aux autorités du pays d'accueil. Notre “expert” ne se trompe pas : c'est une disposition passée quasiment inaperçue et qui figure dans la Loi de finances complémentaire, un texte de reconquête fiscale tous azimuts comme la taxe sur les véhicules neufs. Jusque-là, chaque ressortissant avait le droit de rentrer au pays une fois dans sa vie avec des marchandises équivalent à un montant n'excédant pas les 22 000 euros. Selon la disposition en question, l'émigré doit donc restituer son titre de séjour et présenter un document le prouvant pour espérer bénéficier des avantages douaniers. Après avoir écouté sagement les explications de notre “expert”, le serveur Djilali perd brutalement sa bonne humeur. Et se met à maugréer. À la place du sourire, c'est une mine renfrognée qu'il affiche devant les clients surpris par ce retournement inattendu. Djilali n'a pas la réputation d'un homme lunatique. Arrivé depuis de nombreuses années à Paris, il espérait aider sa famille restée dans le dénuement des montagnes par l'achat d'une voiture. Un tel geste le fait grimper dans l'échelle de l'affection maternelle et de l'estime villageoise. Tout près d'exaucer ce vœu, Djilali est obligé de le mettre dans le rayon des illusions quand fut prononcée à Alger l'interdiction d'importer des véhicules de moins de trois ans. Revenu de sa déception, il se console en se disant, un tantinet philosophe, qu'à quelque chose malheur est bon. Au lieu d'un véhicule d'occasion, ce sera une voiture flambant neuve qu'il va donc offrir à sa famille. Il fallait juste se remettre au labeur, ce à quoi il ne rechigne pas en digne fils des montagnes pétri dans l'épreuve et la patience. Et voilà son rêve s'évaporer encore une fois. Peut-être définitivement ! “La famille attendait cette voiture depuis des années”, lâche-t-il en laissant tomber ses bras sur le comptoir. En signe d'impuissance et de résignation. “C'est une loi qui connaîtra le même sort que celle sur l'importation des liqueurs”, tente de le consoler son ami Moussa. Il se réfère à la loi d'inspiration islamiste, abrogée depuis, qui interdisait l'importation de liqueurs. Moussa, qui n'a pas de projet de déménagement, ne contient pas sa colère, teintée d'ironie. “C'est une loi qui va toucher les pauvres. Les véhicules de luxe vont continuer à être exonérés en raison des titres, fonctions et relations de leurs propriétaires”, s'indigne-t-il. “C'est une loi aberrante, stupide et irréfléchie”, s'emporte aussi un président d'association très connu au sein de la communauté. En tout cas, le texte ne fera que compliquer son activisme pour le raffermissement du lien entre l'Algérie et ses émigrés. Elu au nord de la France, le député du RCD Rafik Hassani explique que la loi a été adoptée sans aucun débat à l'Assemblée nationale et surtout sans consultation des représentants de l'émigration. Pour lui, elle fait partie de “ces lois répressives adoptées par voie d'ordonnance”. Sans un exposé des motifs officiels, il suppose que la loi découle peut-être de la volonté du gouvernement de réduire le parc automobile dans une tentative de mettre de l'ordre dans la circulation. Un autre opposant trouve l'explication un peu angélique. Pour lui, c'est juste un cadeau aux importateurs installés en Algérie. Il observe que les nouvelles dispositions sur la construction sont frappées de la même suspicion. En interdisant aux citoyens de louer leurs biens sans la délivrance d'un certificat de conformité, c'est seulement permettre à ceux qui construisent des immeubles de bureaux de récupérer cette clientèle... Dans les consulats, la note ne semble pas être parvenue. Les dossiers de déménagement continuent d'être déposés. Et à défaut d'information officielle, les agents se contentent de mises en garde verbales. “Attention vous risquez d'avoir des problèmes à l'arrivée”, répètent-ils. Il semble qu'il n'y a pas de préavis et que la loi est déjà en application dans certains ports. Hamid a déboursé 14 000 euros pour l'achat d'une petite voiture et de quelques autres effets. Il est pris au piège. Il évalue à plus de 50 millions de centimes les frais de dédouanement. Une somme qu'il ne peut pas régler. S'il garde sa voiture en France, il est obligé de s'acquitter de la TVA. Et puis, c'est une perspective qui ne l'enchante pas. Tel autre a commandé une voiture et a versé une avance. Il est obligé d'y renoncer. La loi risque de pénaliser en priorité les retraités et les petits salariés qui préfèrent garder une voiture lors de leurs séjours au pays. Personne n'est fou pour se séparer définitivement de son titre de séjour quand d'autres bravent la mer et ses dangers pour l'avoir. A. Ouali