Les mauvaises conditions météo sont l'ennemi numéro 2, après la gendarmerie, des contrebandiers et des trafiquants de drogue. Sur la route de port Say, il fait un froid de canard en cette soirée de dimanche. Seuls les amateurs de queue devant les stations d'essence osent mettre le nez dehors. Les pistes qui “ponctuent” comme des jalons cette route sont boueuses, impraticables pour les simples voitures à gros réservoirs qui sont courantes dans la région. El Hallaba (les contrebandiers de carburant) ne sont pas au rendez-vous en ce soir glacial, ils ne le seront certainement qu'une fois les pistes séchées. Et à défaut, les gendarmes fouillent, identifient et contrôlent les rares téméraires qui empruntent cet axe. L'addition est maigre surtout lorsqu'on sait qu'aucun jour ne passe sans une “prise”, une saisie. Mais ce soir, avec une température qui frise la négative, Boudjdour, près de Boukanoune, en bas de port Say, station balnéaire prisée en été par certains responsables algériens, peut bien se comparer à un frigo à ciel ouvert. Un novice en embuscade peut “attraper” au mieux une bronchite, au pire un rhumatisme articulaire. Le temps se fait long et lent, il s'égrène au rythme des frissons et des pas sur place pour ignorer les dards qui percent même les chaussures renforcées. Au bout du compte de cette longue nuit “solitaire”, des identifications, des contrôles, et, surprise, interception de cas de conduite en état d'ivresse. Pas de quoi ce soir perturber la plus importante activité de la région : la contrebande. Et pour cause ! En plus de l'état des pistes, du froid, les contrebandiers se sont passés le mot par le biais des hadhaya. Des jeunes aux allures oisives, postés devant tout ce qui peut être un siège des services de sécurité, et rivés à leurs portables, prêts à déclencher l'alerte et qui réagissent aussi vite en propageant l'information de mouvements “suspects” dès la perception du premier véhicule vert et blanc en fin de journée. Réflexe quasiment pavlovien, deux jeunes postés en face de la compagnie de gendarmerie sautent sur leurs mobiles. La raison est simple, ils signalent un mouvement de “troupes”, d'une colonne de véhicules de la Gendarmerie nationale, c'est leur fonction, ils sont payés pour. Le système est une évolution naturelle du téléphone arabe. Une fois l'alerte donnée, la contrebande se terre, se planque en attendant de voir passer l'orage, et la “traite” (hallaba) reprendra. En cette période de froid, la demande augmente, ce qui explique les queues à des heures avancées devant les pompes à essence, ces vaches à traire dont le nombre à Tlemcen dépasse toutes les villes d'Algérie. 4 080 litres de carburants saisis Le corps et le reste du corps transis, cette “ronde” s'achève sur le rêve douillet d'un lit. Plus aucun mouvement en face aussi, du côté des voisins dont les officiels ont clairement saisi le mécontentement et les doléances en portant même sur les tribunes internationales l'appel à l'ouverture de la frontière sous-tendu par l'argument humano-génocidaire de la volonté de l'Algérie d'affamer les Marocains de la frontière, pas aucun mouvement non plus. Tout semble inanimé si ce n'est ces lumières qui cassent l'isolement nocturne et le froid. Ce qui n'est pas le cas des cinq derniers jours qui ont connu une intense activité. Les gendarmes ont saisi pas moins de 4 080 litres de carburants, en plus des produits habituels de la contrebande, d'effets vestimentaires, des produits alimentaires, et pour cette fois, une nouveauté, du poivron rouge moulu. Question étude de marché, les contrebandiers sont à jour. Ce produit est très demandé pour l'Aïd, ce qui explique les 13,75 quintaux saisis dans un point de contrôle, en une seule prise. Comme sur un téléscripteur ou une caisse enregistreuse, les affaires dans cette région tombent à un rythme régulier. Il n'y a pas un jour sans. Hormis le trafic de stupéfiants qui connaît une certaine baisse, notamment en quantités saisies pour différentes raisons liées au renforcement du dispositif avec autorisation de riposte armée assorti du durcissement des peines de prison, les rares passeurs préfèrent traverser la frontière à pied en transportant sur le dos le kif, contrairement à la frontière sud-ouest que les trafiquants marocains veulent utiliser comme zone de transit, comme le démontrent les “tonnes” récemment saisies à Béchar, vers le marché du Moyen-Orient. Mais la contrebande ne s'est pas pour autant essoufflée. Un décompte des dix premiers mois de l'année 2008 fait ressortir une hausse de 11,5% des affaires traitées uniquement par la GN par rapport à la même période de l'année écoulée. Rien que pour le carburant, il a été saisi 691 661 litres de gasoil et 16 809 litres d'essence. La valeur de tous les produits saisis est estimée à 245 605 435 000 centimes (plus de 245 milliards) contre 61 milliards de centimes en 2007. Ces armes destinées aux maquis islamistes Il est question aussi d'armes à feu, de munitions, mais plus grave encore, de mines antipersonnel dont la destination peut bien être les maquis terroristes. Les gendarmes ont réussi à intercepter 183 mines antipersonnel, en provenance du Maroc, au cours de cette année, sans compter les fusils, les pistolets, les munitions et la poudre noire. Ce qui devrait logiquement apporter une partie de la réponse aux responsables marocains qui appellent avec hystérie à la levée des barrières. Et que dire des 37 réseaux de trafic de drogue démantelés qui ont tenté d'augmenter la part du kif avec les 1 467,244 kilos de résine de cannabis, et 273,5 grammes de cocaïne, équivalant à une hausse de 54,66% par rapport à 2007. La frénésie des narcotrafiquants marocains à sortir le produit du royaume se mesure à l'augmentation de la production et l'assèchement des couloirs d'acheminement. Pari difficile pour les passeurs qui prennent des risques et sont souvent contraints d'abandonner la marchandise depuis qu'ils savent que les forces de sécurité peuvent leur tirer dessus. En plus de ces activités souterraines contre lesquelles s'ingénie la gendarmerie à trouver des parades au système interne d'information des réseaux qui s'appuie sur des hadhaya recrutés et postés dans une sorte de maillage des localités, il y a l'immigration clandestine qui, contrairement à la notion de “clandestin” accolée au subsaharien, concerne désormais plus les Marocains. En Algérie, les Africains candidats au trip vers l'Espagne sont plus sûrs qu'en territoire marocain, mais l'Algérie demeure pour eux juste une escale. Depuis peu, les Marocains sont beaucoup plus nombreux à venir clandestinement en Algérie, souvent, sous prétexte de quête d'emploi. Ainsi, en 2008, ils ont devancé les Nigérians, Maliens et autre Ivoiriens. Ils étaient 308, contre 136 Nigérians et 71 Maliens. Quant au phénomène national, el harraga, la plus grande proportion s'est déplacée vers la côte est du pays. Les 70 kilomètres de côte de Tlemcen ne sont plus “sollicitées” comme avant. Et les cas enregistrés ont baissé presque de moitié, passant de 31 en 2007 à 17 en 2008. Le froid continue de s'incruster dans les corps et le décor encouragé par un vent décidé qui n'a pas arrêté de souffler depuis samedi dernier. Ce temps entrave quelques activités informelles et illicites mais nettement plus lucratives, mais pas la détermination de ceux dans la mission est de les combattre. Le commandant du groupement, conscient de la sensibilité de son territoire, comme un surveillant général, veille jour et nuit sur tout son périmètre et ses éléments. Il inspecte le moindre détail, les patrouilles mobiles et les barrages. Heureusement qu'il y a la pluie. Elle ralentit les contrebandiers et remplit les barrages qui feront que nous ne parlerons pas cette année et l'année prochaine de la sécheresse à l'ouest. Mais certainement pas de la contrebande et du trafic de drogue même si la frontière demeure fermée. Certainement encore plus si elle est, un jour, rouverte. Djilali B.