Aujourd'hui, c'est jour de suspense. Le pouvoir, qui n'a rien à appréhender côté résultats, attend de voir dans quelle mesure le comportement des électeurs pourrait contribuer à relativiser le discrédit du scrutin. L'inquiétude officielle était lisible tout au long de la campagne dans l'excès de moyens engagés, dans les méthodes de rabattage des auditoires vers les salles de meetings, dans l'usage immodéré des moyens institutionnels, dans l'activisme soutenu des émissaires du candidat, dans la pléthore d'orateurs battant campagne. La presse étrangère habituellement encline à la retenue, sinon à la bienveillance, a, cette fois-ci, subi, pour certains titres, l'interdiction d'entrée de territoire en réaction à des articles qui ne sentaient pas l'obligeance. Où sont passés les Jean-Daniel, Jean-Pierre El Kabbach et autres éditorialistes familiers de notre sérail, d'habitude si prompts à se réjouir, avant nous, du haut de leur autorité professionnelle, de la qualité de notre démocratie ? Le régime, à trop verrouiller le jeu politique, a ôté tout intérêt médiatique à sa pratique, si l'on en juge par la relative affluence de confrères étrangers, souvent pas si étrangers puisqu'il s'agit dans bien des cas d'expatriés nationaux. La journaliste tunisienne Sihem Bensedrine, invitée par la LADDH à participer à un programme de monitoring des médias, s'est vu interdire l'accès au territoire national. Il faut croire qu'il n'y a pas de place pour deux : le chef de la délégation d'observateurs de la Ligue arabe pour l'élection présidentielle n'est autre qu'un ancien… ministre tunisien de l'Intérieur. C'est dire le haut degré d'attention au respect des règles démocratiques qu'on peut attendre de “l'observation”. Si l'on ajoute que la délégation de l'Union africaine est conduite par un ancien chef d'Etat africain qui a régné pendant dix-huit ans, on voit bien que ce n'est pas aux adeptes de l'alternance que l'organisateur du scrutin aura fait appel. Le scrutin d'aujourd'hui tient son importance, réelle, dans ce qu'il révélera de l'état d'esprit de l'électorat national. Le dernier rendez-vous électoral, en attirant à peine 35% des inscrits, s'est soldé par un message de défiance timidement reconnu par les autorités. Le ministère de l'Intérieur a même botté en touche en initiant un courrier à l'adresse de millions d'électeurs “non localisés” leur demandant de préciser leur résidence effective. L'élection présidentielle est réputée plus attrayante en ce que la fonction concernée est plus décisive qu'une chambre législative aux prérogatives formelles. C'est justement ce déséquilibre de pouvoir qui condamne cette élection à une forte participation. Sinon, cela voudrait dire justement que c'est au régime dans sa globalité que les citoyens tournent le dos. C'est cet enjeu qui explique la nervosité, difficilement dissimulable dans les milieux officiels, qui entoure cette opération. Tout aura été tenté pour réduire la manifestation d'une incontestable désaffection populaire. Mais, cela dit, si on a tant fait pour la contrarier, ce n'est sûrement pas pour en tenir compte.