Dans Lettres à Neyla-Mériem, l'écrivaine ouvre son cœur — sans aller trop loin — à sa petite-fille, lui raconte l'Algérie, celle qu'elle a connue et celle d'aujourd'hui. Une sorte de testament destiné aussi à toutes les petites filles de ce pays. Liberté : Vous adressez votre livre à votre petite-fille, mais, en réalité, il est destiné à tous les petits enfants de l'Algérie. Vous tracez une sorte de ligne de conduite pour les petites filles d'aujourd'hui, femmes de demain… Leïla Aslaoui-Hemmadi : Ce n'est pas une ligne de conduite parce que chaque individu a son expérience dans la vie et chaque individu a son histoire. C'est plutôt, je dirai sans donner à ce mot une connotation prétentieuse, un livre testament. Ce ne sont pas des biens matériels, c'est un petit livre quand les petites filles de l'Algérie — celles de l'âge de ma petite-fille et de mon autre petite-fille, parce que j'en ai une seconde qui vient de naître — seront en âge de le lire. Cela a constitué pour moi l'occasion de revisiter l'histoire de l'Algérie, une histoire tronquée, de revisiter aussi ma vie, parce que c'est plus intimiste que les autres livres, même si je ne suis pas allée au-delà d'une certaine intimité pour ne pas m'enfermer dans un art épistolaire entre ma petite-fille et moi, mais plutôt ouvrir cela à toutes les petites filles d'Algérie. Ce ne sont donc pas des conseils, des recettes miracle ou un code de conduite, c'est lui dire : “Voici l'Algérie que j'ai connue, qui n'a pas été facile, voici mon combat de femme, voici ce qui t'attend dans l'Algérie de demain.” Je ne suis pas très, très optimiste sur l'avenir, notamment en ce qui concerne la condition féminine. J'espère me tromper et qu'elle vivra dans une Algérie de progrès, dans une Algérie où les mentalités, surtout à l'égard de la femme, évolueront. Dans sa préface, le commandant Azzedine écrit : “Dans ce livre qui se lit comme un caramel (…).” Cet ouvrage est-il une manière de vous décharger de certains de vos maux ? Avez-vous fait la paix, à travers ce livre, avec vous-même et vos démons ? Je ne suis pas allé à la recherche d'une paix ou d'une thérapie, finalement. J'ai essayé simplement d'être la plus honnête possible, encore une fois, en revisitant mes souvenirs et en parlant à ma petite-fille de ce que j'ai vécu de bien, parce qu'il y a des moments qui ont été magnifiques dans ma vie ; il y a des moments plus douloureux, plus difficiles, et c'est ce que j'ai voulu lui relater. J'ai surtout voulu relater — cela j'aimerais que les journalistes le comprennent aussi, enfin ceux qui ont pour tâche de le faire, et je remercie la presse parce qu'elle a fait un très bon travail à ce propos — à travers ces lettres une Algérie où toute une génération a été privée de mémoire historique. Il y a eu une confiscation des mémoires, une Algérie où il y a eu des combats, des combats de femmes, des combats de démocrates. Et puis quand cette petite-fille est née, l'unique question que je me suis posé : “Mon Dieu ! Que vais-je lui laisser ?” Dans le post-scriptum, vous vous interrogez sur le testament que vous devez laisser à votre petite-fille, et, par extension, à toutes les filles d'Algérie. Cet ouvrage est-il votre testament ? Pour mes petites-filles oui. Je souhaiterais de tout mon cœur, même si je ne serai plus de ce monde, qu'elles le lisent et qu'elles y trouvent à la fois une source d'inspiration pour leur propre vie et, en même temps, si vous le voulez, une arme pour pouvoir combattre dans ce que j'appelle la jungle de demain, parce que je leur dit que les nouveaux riches nous ont envahis. Ce n'est pas bénin, ce n'est pas banal. Elles vont vivre dans une Algérie très, très difficile, et je ne sais pas ce que leur réserve l'avenir en ce qui concerne la condition féminine. En racontant les années noires de l'Algérie, n'est-ce pas pour vous une sorte de catharsis ? Non, non, non ! Vous savez, l'écriture, en ce qui me concerne, n'a jamais été une thérapie. J'écris dans la souffrance, c'est vrai. Ça fait mal. Mais j'écris aussi dans la joie et je le dis à un moment donné. Je raconte tout ce que me raconte l'écriture comme joie, comme sérénité. Donc, on ne peut pas guérir de cela. Ce n'est pas un livre qui me guérira de ce que j'ai perdu. Le pardon est-ce un mot qui vous parle aujourd'hui ? Pas du tout, alors pas du tout. Je n'en connais absolument pas le sens. Je sais une seule chose, ce sont ceux qui vous offensent qui doivent demander pardon ! Or, ce qu'on nous demande de faire, c'est l'inverse, et alors ce pardon-là ne me parle pas du tout. A. I. Lettre à Neyla-Mériem, de Leïla Aslaoui-Hemmadi, 165 pages, éditions Dalimen, Algérie 2010. 450 DA